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Célia Forget. Vivre sur la route. Les nouveaux nomades nord-américains. (Montréal, Liber, collection Carrefours anthropologiques, 2012, ISBN : 978-2-89578-372-5, 222p)[Notice]

  • Pierre Bonte

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  • Pierre Bonte
    Directeur de recherche émérite au CNRS, Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France, Paris

L’ouvrage que vient de publier Célia Forget, issu d’une thèse dirigée dans le cadre d’une cotutelle des Universités de Provence (Aix-en-Provence) et Laval (Québec), traite d’un monde bien particulier, celui de populations non négligeables numériquement en Amérique du Nord (Canada et États-Unis) qui ont fait le choix d’un mode de vie conçu sous le signe de la mobilité à bord de leurs véhicules aménagés, significativement appelés « véhicules récréatifs ». On les désigne comme des RVistes et une image forte, qu’il nous faudra réexaminer, les inscrit parfois dans les grandes traditions américaines de déplacement des populations, des pionniers déplaçant les frontières du Far West aux hippies, en passant par les hobos dont la légende s’élaborera avec les chantiers de construction des chemins de fer, et les beatniks… Cette image, s’agissant des RVistes, reste cependant floue et n’a pas suscité de talents littéraires, tels ceux des Steinbeck, Kerouac et autres, qui illustrent ces mythes de l’errance et du vagabondage, contraints ou choisis. La recherche effectuée par Célia Forget n’en est que plus novatrice, menée à l’occasion d’un « terrain » véritablement ethnologique qui lui a fait partager la vie d’un certain nombre de ces adeptes de nouveaux choix de mobilité, dérivés des pratiques déjà anciennes de mobil homes déplaçables, de camping estival associé aux vacances, de vie professionnelle itinérante (routiers, saisonniers, représentants, etc.), qui ont investi le monde de la route avec la généralisation et la démocratisation de la possession et de l’usage de l’automobile. Cette observation participante dans la longue durée a contribué à la production de fines études ethnographiques qui révèlent les convergences, mais aussi l’hétérogénéité de cette population dont le nombre va croissant avec son vieillissement tendanciel et l’accroissement du nombre des retraités. La richesse de l’ouvrage réside d’abord dans cette précision des données ethnographiques et dans l’intérêt de leur interprétation pour caractériser un groupe, répétons-le, profondément hétérogène. Faute de pouvoir rendre compte ici de l’ensemble de ces données, nous en retiendrons quelques exemples privilégiant les points qui nous apparaissent les plus importants. Le chapitre 2 est ainsi consacré au « véhicule récréatif », artefact central dans sa dimension de « chez-soi », mais infiniment déplaçable, qui perpétue immédiatement les différences situationnelles et statutaires de leurs propriétaires, ainsi que les choix de mobilité. Le chapitre 3 cerne l’espace continental des parcours en soulignant la forte différenciation induite par les saisons et la descente massive annuelle des RVistes du nord vers les régions plus méridionales et ensoleillées de Floride, d’Arizona ou encore de Californie. Ces itinéraires sont en fait assez strictement codés par les choix de stationnement qui sont plutôt recherchés sur les autoroutes, les stations-service routières fréquentées par les camions et les aires des grands magasins (la chaîne Walmart en particulier) qui offrent des facilités d’installation à des prix réduits. Mais ces itinéraires ont aussi leurs objectifs plus ou moins temporaires (chapitre 4), des points de fixation plus ou moins longs, généralement connus des RVistes et où la plupart effectuent des séjours réguliers. Ceux-ci ne remettent pas en cause le choix de mobilité qui conditionne plus généralement le mode de vie caractérisé par le détachement vis-à-vis d’un certain nombre d’objets culturels matériels qui donnent sa signification à la vie sédentaire, à l’idéal anglo-saxon du home et, même si ce chez-soi en définitive sous cette forme sélective continue à être une référence, par le déracinement qu’implique aussi son déplacement périodique en des lieux différents. Les chapitres 5 et 6, peut-être les plus éclairants, mettent en évidence deux pôles entre lesquels se distribuent les choix de déplacement et les conditions du parcours. Même s’ils se défendent d’être des campeurs, en …

Parties annexes