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On Historicizing Epistemology. An Essay. Par Hans-Jörg Rheinberger (Stanford, Stanford University Press, 2010 [2007]. Pp. 128. Coll. « Cultural Memory in the Present ». Traduit de l’allemand par David Fernbach. ISBN 0-8047-6289-9)[Notice]

  • Patrick-Michel Noël

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  • Patrick-Michel Noël
    Université Laval

L’épistémologie et l’histoire entretiennent une « réciprocité engageante », pour reprendre l’expression employée par Dominique Lecourt dans L’Épistémologie historique de Gaston Bachelard. L’histoire, comme discipline, peut être l’objet d’une analyse épistémologique. L’épistémologie, comme philosophie des sciences ou théorie de la connaissance (gnoséologie), peut être l’objet d’une analyse historique plus souvent qu’autrement effectuée par des philosophes. On Historicizing Epistemology s’inscrit dans la seconde déclinaison en s’interrogeant sur un « decisive moment » (1) de la philosophie des sciences au XXe siècle, l’historicisation de l’épistémologie entendue comme réflexion sur les conditions de la connaissance scientifique. L’historicisation de l’épistémologie vient complexifier la relation histoire-épistémologie. L’histoire est non seulement objet de l’épistémologie, elle est aussi une de ses approches pour aborder l’ensemble des sciences. Une approche importante selon Anastasios Brenner qui, dans un article la Revue de métaphysique et de morale auquel Rheinberger ne se réfère pas, soutient que « l’évolution de l’épistémologie a conduit à donner à l’histoire plus de substance » (2006 : 11). L’ouvrage se présente comme un parcours chronologique retraçant le développement de l’historicisation de l’épistémologie. L’auteur soutient que cette historicisation a pour source principale la révolution scientifique par laquelle la physique classique se transforma en physique relativiste au tournant du XXe siècle. C’est de l’activité scientifique elle-même, ou plutôt de ses praticiens, qu’est venue l’impulsion de l’épistémologie historique. L’auteur examine la réflexion philosophique des scientifiques Emil Du Bois-Reymond, Ernst Mach et Henri Poincaré qui ont tous mis en cause la possibilité, d’une part, d’une épistémologie mécaniste où la science pourrait rendre compte d’elle-même par elle-même et, d’autre part, d’un modèle unique de scientificité. Ils ont aussi souligné le rôle des conventions dans la pratique scientifique et la pertinence de l’approche historique pour philosopher sur les sciences. On découvre par ailleurs non sans étonnement qu’un membre du cercle de Vienne, Otto Neurath, a cherché à formaliser l’histoire des sciences pour qu’elle puisse devenir une discipline « that itself deserved the name of science » (17). La période de l’entre-deux-guerres fut particulièrement féconde dans l’historicisation de l’épistémologie. Des penseurs provenant de traditions différentes programmèrent une épistémologie historique. Rheinberger dresse un parallèle intéressant entre Gaston Bachelard et Ludwik Fleck qui ont souligné la médiation technico-expérimentale et l’enracinement social de toute connaissance scientifique, son caractère collectif et communautaire, la pluralité des savoirs scientifiques de même que l’importance pour l’épistémologue de considérer la pratique effective des sciences et leur histoire, véritable laboratoire de l’épistémologue, comme le dirait Larry Laudan, penseur qui ne figure pas dans le parcours de Historicizing. Bachelard et Fleck s’éloignent d’une conception cumulative de la connaissance scientifique en insistant sur les ruptures qui marquent son développement et qui lui donnent une historicité propre. L’auteur s’arrête sur quatre autres penseurs qui a priori ne semblent pas être liés à l’historicisation de l’épistémologie, mais qui ont néanmoins reconnu l’importance de la question du développement des connaissances. Karl Popper s’est penché sur la question de la dynamique scientifique à travers une analyse de la logique de la recherche. Il récuse le positivisme et délaisse le contexte de découverte, qui relève de la psychologie de la connaissance, pour se concentrer sur le processus formel par lequel on teste la validité de la connaissance. À cette fin, il élabore un modèle déductif de scientificité, à savoir la « falsification » qui prétend que tout énoncé scientifique doit pouvoir être potentiellement réfuté par l’expérience. Edmund Husserl se distancie aussi de l’épistémologie positiviste en plaidant pour une compréhension historique des sciences afin de retrouver l’intention de signification ayant présidé à leur naissance. Activité intellectuelle, le phénomène scientifique ne peut être élucidé que par les …

Parties annexes