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L’éducation à l’environnement est un enjeu majeur pour le développement soutenable des territoires. Milton Santos (1994) se réfère au « lieu » comme mode de traitement du « monde vécu », qui implique de comprendre ce lieu à travers les relations, objectives et subjectives, qui s'établissent avec lui. Seule une population qui connaît son propre environnement et qui le considère comme son héritage, dont il faut gérer les transformations et qu’il faudra transmettre, pourra s’en sentir responsable et en prendre soin. Pour Santos (2012) le temps et l'espace connaissent un mouvement qui est, en même temps, continu, discontinu et irréversible. Considéré isolément, le temps est succession, tandis que l'espace est accumulation, plus exactement accumulation de temps. Par conséquent, le temps présent se relie à l'évolution des choses, de même que le paysage formé par les traces antérieures des lieux se relie à l'accumulation de temps passés, inertes. C'est le temps social vivant qui va défaire et renouveler continuellement cette relation.

On connaît les efforts faits pour parvenir à ce résultat de la part d’institutions publiques fermées – écoles, musées, médiathèques, centres socio-culturels – qui ne vont « sur le terrain » qu’exceptionnellement. En tant qu'espaces privilégiés d'éducation non formelle, ils peuvent contribuer substantiellement à une systématisation théorique des pratiques éducatives menées dans leur cadre et ils pourront mieux justifier leur rôle éducatif et leur apport social dans la société contemporaine (Cabral, 2004).

Il existe, depuis maintenant plus de quarante ans, un processus participatif appelé souvent écomusée, parfois musée communautaire, qui considère la totalité du territoire et de son patrimoine, y compris environnemental, comme l’objet de la prise de conscience, de l’éducation, de l’information et de la participation active de toute la communauté, quels que soient l’âge et le statut social et professionnel de ses membres.

Après avoir conté rapidement l’histoire du concept d’écomusée et décrit la diversité des structures et des activités qu’il recouvre dans différents pays, en particulier en relation avec l’environnement, nous nous attacherons à analyser un exemple de ses pratiques et de ses méthodes, sous différents aspects : l’écomusée de la Serra de Ouro Preto, au Brésil.

L'ensemble architectonique et paysager de la ville d’Ouro Preto a été classé Monument national en 1933[1] et inscrit au Registre des Beaux-Arts en 1938[2], puis à la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO en 1980[3]. Ce site, qui est limité au centre-ville historique, peut être considéré comme un musée ouvert – qui contient lui-même un certain nombre de musées, surtout d'art et d'histoire. Il connaît une intense fréquentation touristique et ses actions dans le domaine de l'éducation sont très classiques et peu liées à l'environnement.

Mais le territoire de la ville comporte bien d'autres éléments patrimoniaux qui offrent des opportunités et des matériaux pour une éducation globale à l'environnement, principalement à l'intention de la population locale et avec sa participation. C'est pourquoi un écomusée a été créé dans les années 2000 sur le territoire de la Serra de Ouro Preto, qui comprend un massif forestier riche en biodiversité, des vestiges archéologiques importants et cinq quartiers périphériques de la ville. Nous passerons en revue l’inventaire du patrimoine matériel, immatériel et environnemental, les relations aux deux parcs – archéologique et naturel – qui font partie du territoire, les actions menées pour l’éducation scolaire et populaire, la relation au tourisme, l’aide apportée à la recherche et à l’enseignement supérieur.

Bref historique du mot écomusée et de ses différents avatars[4]

Historiquement, le mot « écomusée » a été inventé en 1971 pour permettre au ministre français de l’environnement de promouvoir le rôle des musées de sciences naturelles dans la protection de la nature et dans l’éducation à l’environnement. Le discours du ministre sur ce thème devait être un moment fort de la Conférence Générale du Conseil International des Musées (ICOM) qui se tenait en France (Paris et Grenoble), la même année. L’objectif stratégique, du point de vue de l’ICOM, était de mobiliser les musées de sciences naturelles dans la perspective de la première Conférence mondiale des Nations Unies sur l’environnement qui se tiendrait à Stockholm en 1972.

Il faut reconnaître que cet objectif n’a pas été atteint, le Ministre français de l’environnement ayant surtout décidé d’appeler écomusées, les musées ou centres d’interprétation existants ou à créer dans les Parcs naturels régionaux français placés sous sa tutelle.

A partir de cette annonce, très éloignée de l’intention originale, le mot écomusée a connu des fortunes diverses que l’on peut résumer ainsi (Varine, 2017) :

  • en 1972, un colloque international de l'ICOM tenu en France a débattu du concept d'écomusée à partir d'une vision internationale et lui a donné une définition qui a elle-même fait l'objet de diverses rédactions, en particulier de la part de Georges Henri Rivière, le grand muséologue et ancien directeur de l'ICOM ;

  • à partir de 1974, un écomusée principalement industriel et urbain, situé sur le bassin industriel et minier du Creusot-Montceau les Mines, en France, a inventé et mis en œuvre des pratiques de gestion participative des patrimoines vivants naturels et culturels de son territoire, impliquant la population et les corps intermédiaires existants, sans faire de la création d'une collection permanente ou de la protection de monuments un objectif central ;

  • dans les années 1980 et 1990, des écomusées se sont créés en France, en Scandinavie, au Canada (Québec), au Brésil, au Portugal, en Italie, au Japon et dans divers autres pays, selon des processus expérimentaux adaptés aux contextes locaux et répondant généralement aux trois critères issus de l'expérience du Creusot-Montceau : patrimoine, territoire, communauté (population) ;

  • l'écomusée est devenu une des formes les plus reconnues de la « Nouvelle Muséologie » qui s'est développée à partir de la Conférence générale de l'ICOM en 1971. Les Ateliers du Mouvement International pour une Nouvelle Muséologie (MINOM) ont favorisé à partir de 1984 la diffusion des expérimentations dans le champ de la muséologie communautaire ;

  • parallèlement, dans d'autres pays, notamment en Amérique Latine, apparaissaient des musées dits « communautaires » qui suivaient plus ou moins les mêmes principes, en mettant plus encore la communauté au premier plan ;

  • à partir des années 2000, on assiste à une multiplication des écomusées et des musées communautaires, pratiquement dans tous les pays et sous des noms variés. Ils sont, sur leurs territoires respectifs, des facteurs de développement local et d'éducation patrimoniale.

Si donc l’écomusée, dans ses déclinaisons diverses, n’a pas respecté l’objectif exclusif qui lui avait été donné lors de son invention c’est-à-dire le soin de l’environnement et l’éducation des publics sur ses problématiques, il est maintenant un outil communautaire efficace de valorisation et d’éducation pour l’environnement écologique et social, à travers l’utilisation de la ressource patrimoniale, considérée comme un bien commun.

Ce bien commun se distingue des collections des musées et des listes de monuments et de sites protégés par son caractère vivant et son appartenance à la communauté qui s’en reconnaît responsable, notamment par sa participation à l’écomusée.

La relation entre l’écomusée et l’environnement dans différents pays[5]

On peut dater de 1992 la reconnaissance de l’écomusée comme instrument de gestion de l’environnement considéré comme élément patrimonial fondamental du cadre de vie et de la qualité de la vie des communautés sur les territoires. Ce n’est en effet pas une coïncidence si cette même année, qui fut celle du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, vit deux évènements majeurs pour le patrimoine :

  • la première Rencontre internationale des écomusées, qui se tint à Rio de Janeiro, dans le cadre du Sommet de la Terre, et qui affirma la spécificité de l'écomusée dans la gestion participative du patrimoine vivant sur les territoires ;

  • le séminaire de l'UNESCO et de l'ICOM à Caracas, qui reprit et reformula les principes exprimés à Santiago dès 1972, sur le musée au service de la société et sur une conception de la gestion du patrimoine dépassant les seules collections des musées.

Cette même décennie de 1990 vit, dans de nombreux pays, l’émergence de l’écomusée ou de formes communautaires de musées locaux avec une forte dimension d’éducation patrimoniale et environnementale. Le premier écomusée brésilien, celui d’Itaipu (1985), était consacré à l’adaptation d’une population aux changements apportés à l’environnement par la création d’un barrage et d’une centrale hydroélectrique. Le premier écomusée italien, celui de la montagne de Pistoia (1987), traitait de la relation entre la population et son environnement, en particulier par des parcours d’observation et d’interprétation du territoire. Enfin le premier écomusée indien, celui de Chaul Revdanda (créé en 2000), avait une dimension essentiellement écologique et écotouristique.

Les écomusées japonais, chinois, scandinaves, canadiens, les musées communautaires de tant de pays d’Amérique latine ont toujours une dimension environnementale qui découle de la notion de territoire : le patrimoine vivant du territoire, qui constitue le cadre de vie de la population, est en grande partie naturel et lié à l’usage que les habitants en font : usage social, culturel, éducatif, économique.

L’écomusée aborde l’environnement de façon interdisciplinaire, à partir de la réalité du terrain et de l’écoute des savoirs, de l’expérience et des attentes des habitants. Il en fait une dimension structurelle de tous les processus qui contribuent au développement soutenable du territoire. Les outils mis en œuvre sont variés. Les principaux, qui sont le plus souvent présents dans les programmes des écomusées sont les suivants.

L’inventaire participatif est généralement la première phase et souvent une action permanente de l’écomusée. Il consiste à amener la population, selon diverses méthodes, à identifier de façon consciente et raisonnée ce qu’elle considère collectivement comme étant son patrimoine, naturel et culturel, matériel et immatériel, non pas pour le conserver tel quel, comme les musées traditionnels conservent leurs collections, mais comme une ressource vivante qu’il convient de respecter et dont il faut prendre soin pour le présent et pour l’avenir. L’inventaire participatif est, dans sa pratique, un processus pédagogique qui apprend aux habitants à regarder leur patrimoine comme leur héritage collectif. C’est particulièrement utile pour faire reconnaître le patrimoine environnemental dans sa nature et aussi dans ses interactions avec l’action humaine. Les écomusées italiens initient l’inventaire participatif par la mappa di comunità[6], un plan ou une carte détaillée du territoire figurant les éléments reconnus par les habitants comme leur patrimoine ; cette carte peut être publiée sur le site de l’écomusée et devenir interactive pour maintenir l’inventaire à jour et le compléter en permanence. A l’écomusée du Fier Monde, à Montréal (Canada, Québec), l’inventaire prend la forme d’une « collection écomuséale »[7], pendant territorialisé de la collection des musées traditionnels.

Les actions de valorisation du patrimoine, initiées ou promues par l’écomusée, qu’il s’agisse d’expositions, de parcours de découverte accompagnés ou non, de productions artistiques, artisanales, industrielles ou commerciales utilisant les ressources naturelles locales combinées aux savoir-faire traditionnels et aux nouvelles demandes sociales (tourisme, circuits courts, gastronomie...) toutes ces actions participent aux apprentissages du montage collaboratif de projets et de savoirs techniques où l’environnement est un cadre de l’action et une source d’inspiration et de matériaux pour l’initiative et le développement. L’écomusée Paysalp (France, Haute Savoie), par exemple, s’associe ainsi à une coopérative de production de fromages pour présenter, non seulement la fabrication de fromages locaux d’appellation contrôlée, mais aussi pour montrer et vendre les produits locaux.

La gestion du patrimoine – donc de l’environnement existant et de sa transformation dans le cadre du développement du territoire – doit être partagée entre la population, les autorités publiques et les autres parties prenantes concernées. L’écomusée est ici un médiateur entre les logiques, les légitimités et les agendas différents qui doivent être harmonisés. C’est pour cette raison que de nombreux écomusées se sont associés à des Agendas 21 locaux, pour profiter de leurs méthodes, de leurs conclusions et en prolonger les effets. Les habitants, ou du moins des habitants volontaires, peuvent ainsi devenir des acteurs conscients, responsables et compétents de l’avenir de leur environnement. L’écomusée de Parabiago (Italie, Lombardie), qui est aussi un Agenda 21, a ainsi créé, avec cinq communes périurbaines, un Parco dei Mulini[8] qui préserve et met en valeur le dernier espace naturel le long de la rivière Olona, avec la collaboration de toutes les parties prenantes de cet espace.

L’interprétation des données scientifiques est un autre rôle de l’écomusée, médiateur dans les domaines de l’environnement, de l’écologie, des concepts de subsidiarité et de soutenabilité. Elle en rend les termes et les données compréhensibles pour la population locale, et inversement traduit les connaissances, la mémoire et l’expérience des habitants en données utilisables pour la recherche scientifique et la décision politique. Ce double service – qui ne se confond pas avec l’interprétation au profit du public au sens large, touristique par exemple – est indispensable pour une bonne gestion de l’évolution du patrimoine, du paysage, de l’exploitation des ressources naturelles locales, des effets destructeurs de certaines pratiques agricoles, industrielles ou touristiques, ou simplement de conflits entre subjectivités et intérêts différents.

La valorisation du paysage, au sens de la Convention européenne du paysage[9] de Florence, (2000), est « une partie de territoire tel que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations ». Cela signifie que toute action, notamment pédagogique, en matière de paysage doit impliquer les habitants du territoire, pour tenir compte à la fois de leur perception spontanée et de la nécessité de faire évoluer cette perception, pour la rendre consciente, raisonnée et détachée d’une vision exclusivement statique et esthétisante.

L’action de l’écomusée ainsi conçue, sous toutes ses formes, est fondamentalement dynamique et prospective, harmonisant les valeurs de l’héritage reçu avec les nécessités du développement actuel et les contraintes d’une perspective à long terme, gages de soutenabilité et de transmission de génération en génération.

Le Forum des écomusées et musées communautaires (Riva, 2017)[10], tenu à Milan en 2016 dans le cadre de la XXIVe Conférence générale de l’ICOM, faisant suite aux cinq rencontres internationales des écomusées et des musées communautaires, organisées au Brésil entre 1992 et 2013 et à la Conférence internationale des écomusées de Guiyang en 2005 (Davis et coll., 2006), a montré la diversité des écomusées, de leurs pratiques et de leurs expériences, mais aussi l’importance de la dimension environnementale de leurs activités, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain.

Partout où un écomusée est créé, il délimite son territoire, fait l’inventaire et le diagnostic des éléments environnementaux de ce territoire, entreprend sous des formes variées l’éducation de ses habitants à leur cadre de vie, aux richesses naturelles, aux possibilités offertes de leur utilisation culturelle, sociale, économique. Bien entendu, les écoles sont les premières institutions invitées par l’écomusée à utiliser ses ressources, mais à travers l’enseignement, c’est la sensibilisation et la formation des éducateurs et des parents qui permettent d’associer progressivement l’ensemble de la population à la connaissance et au soin de son environnement, comme l’a montré le Projeto Identidade de la Quarta Colônia (Reis, 1998) au Brésil (Rio Grande do Sul) dans les années 1990 ; le processus lancé à cette occasion a abouti vingt ans plus tard à la valorisation de gisements paléontologiques remarquables et à la création d’un Géoparc[11].

Toute une littérature populaire est souvent produite par les écomusées pour renforcer leurs actions de terrain, comme l’ont fait en Italie l’Ecomuseo del Paesaggio de Parabiago (Lombardie) déjà cité ou l’Ecomuseo delle Acque de Gemona (Frioul). De même, un nombre croissant de clips vidéo ou même de films sont produits par des écomusées ou à leur demande, très souvent sur des thèmes environnementaux, avec des buts clairement éducatifs. On peut mentionner par exemple la production de l’Ateliê de jornalismo de Rogério Cerqueira Silveira[12], qui a travaillé pour les écomusées brésiliens du Mangue (mangrove), d’Amazonie et du Cipó, et pour le musée indigène Jenipapo-Kanindé. Il prépare maintenant un documentaire sur l’écomusée de la Serra de Ouro Preto et les travaux archéologiques du Morro da Queimada dont nous allons parler.

L’Ecomusée de la Serra d’Ouro Preto[13]

Tous les écomusées sont différents et chacun est unique. Cependant il est intéressant d’étudier un cas dont la relation à l’environnement est si particulière qu’elle oblige ses acteurs à inventer sans cesse des méthodes et des solutions nouvelles.

Le territoire

La ville d’Ouro Preto (État de Minas Gerais) a été créée d’abord sous le nom de Vila Rica, sur l’emplacement des premières mines d’or du Brésil à la fin du XVIIe siècle. Elle s’est développée surtout au XVIIIe siècle et est devenue à cette époque le site le plus célèbre de l’art baroque brésilien, notamment grâce au sculpteur et architecte Alejadinho. Ouro Preto est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, elle possède de nombreux monuments et musées et est visitée par de très nombreux touristes.

C’est aussi un territoire riche en sites naturels et paysagers, plus particulièrement, dans le voisinage immédiat de la ville, les Parcs naturels de l’Itacolomi au sud et des Andorinhas au nord. Entre ce dernier et le centre historique d’Ouro Preto, se trouve la Serra (montagne), un espace escarpé qui culmine aux environs de 1400 mètres. La Serra, dont la plus grande partie est couverte de forêt, est entourée des quartiers populaires de São Sebastião, São João, Santana, Morro da Queimada et Piedade. La forêt recouvre les vestiges de l’un des premiers sites d’exploitation de minerai d’or, qui a été détruit en 1720, à la suite d’un mouvement de révolte des mineurs contre la décision de créer un monopole royal sur l’or extrait. Cette émeute a été réprimée dans le sang et le site incendié (d’où le nom de Morro da Queimada, ou colline brûlée) et abandonné pendant plus de deux siècles. De nouvelles populations, qui n’avaient pas la mémoire de ce passé et n’étaient pas liées à l’activité minière, sont alors venues, à partir des années 1940, s’installer dans la Serra et construire leurs maisons sur et avec les ruines, dont de nombreux éléments restent visibles ou sont enfouis dans la végétation[14].

Depuis une quinzaine d’années, deux projets ont été formulés simultanément : la création d’un Parc archéologique et touristique sur les anciennes mines et celle d’un écomusée sur l’ensemble de la Serra (figure 1), au profit principal de sa population. Si la réalisation du Parc archéologique a été retardée en raison de la complexité de sa mise en œuvre et du nombre des institutions concernées, l’écomusée a été porté depuis le début, en 2005, par l’Université Fédérale d’Ouro Preto et plus particulièrement par son département de muséologie. Ce dernier a créé en 2016 un Laboratoire de recherches en archéologie, patrimoine et processus muséologiques communautaires (LAPACOM) qui regroupe des enseignants et des étudiants de plusieurs départements de l’université. Les projets archéologiques développés par ce laboratoire sur l’aire du futur parc archéologique municipal de la Queimada sont guidés par les concepts théoriques et méthodologiques de l’archéologie publique ou collaborative, selon lesquels l’accent est mis sur les modalités multiples d’appropriation des données archéologiques par les populations qui vivent sur le site. Le principal objectif est alors de sensibiliser les habitants à leur rôle dans les processus de rappel de leurs mémoires profondes, de récits qui peuvent revenir à la surface lorsqu’on réinscrit les vestiges archéologiques dans l’histoire vécue[15].

Figure

Figure 1 : L’écomusée et ses quartiers dans la ville d’Ouro Preto

-> Voir la liste des figures

Nous nous trouvons là devant le cas d’un territoire à la fois naturel (la forêt, la structure géologique, la faune, la flore), culturel (les ruines, la mémoire et l’histoire) et périurbain (dépendance d’un centre-ville proche physiquement et lointain socialement). Le futur parc est un ensemble hétérogène de ruines, de végétation dense partiellement native et partiellement due à une croissance spontanée pendant plus de deux siècles d’abandon, d’une biodiversité encore relativement peu inventoriée, de sentiers et de cheminements résultant des circulations entre les différents sites urbanisés et avec le centre-ville. D’autre part, chaque quartier constitue un ensemble d’auto-constructions et d’auto-aménagements, intégrés dans l’environnement, possédant une forte identité, qui vivent en symbiose avec l’espace naturel et avec les ruines. Le projet de parc impose à la population locale de prévoir non seulement de s’adapter aux changements qu’il va entraîner dans leur cadre de vie et dans leur vie quotidienne, mais aussi de chercher à exploiter le futur parc en termes d’emplois, de services, de retombées économiques, de relation aux flux touristiques, etc.

Ces populations aux revenus modestes, culturellement très éloignées de celles de la ville historique, peu touchées par les flux touristiques actuels, vivent dans un environnement dont elles n’avaient que peu conscience du point de vue naturel et culturel. Le rôle de l’écomusée, dès les premières années, a consisté à leur faire prendre conscience de la richesse et de la diversité de leur cadre de vie, de l’usage qu’elles pouvaient en faire et des précautions à prendre pour le faire respecter.

L’écomusée

L’écomusée n’a pas de personnalité juridique propre. Il est un programme du département de muséologie de l’Université fédérale d’Ouro Preto (UFOP) et peut s’appuyer sur les autres disciplines d’enseignement et de recherche présentes à l’Université, y compris sur l’École des Mines qui en fait partie. Le LAPACOM offre à l’écomusée un espace de travail dans ses locaux sur le campus de l’université.

C’est la communauté de chaque quartier et surtout certains habitants particulièrement motivés et engagés qui sont au cœur de l’écomusée. Il s’agit des associations de « moradores » (habitants), de familles entières porteuses de projets, de professeurs des écoles et de leurs élèves, de leaders communautaires dont la forte personnalité ou la compétence facilitent la mobilisation sociale et la réalisation de certaines actions. C’est donc une composition à géométrie variable, qui répond aux besoins et saisit les opportunités.

Outre la coordinatrice, professeur de muséologie, des étudiants « bolsistas », c’est-à-dire en stage rémunéré pendant l’année universitaire, constituent l’équipe semi-permanente, qui apporte son soutien technique pour l’inventaire, l’animation des ateliers, les réunions de terrain, les différentes activités et leur évaluation. Leur travail fait partie de leur cursus universitaire et ils y gagnent de l’expérience, une connaissance réelle du terrain. Certains de ces étudiants n’appartiennent pas au département de muséologie, mais viennent, selon les besoins, d’autres secteurs, tels le tourisme, l’environnement, la communication (la photographie)[16].

Certaines activités sont prises en charge par des enseignants et des chercheurs de l’Université, notamment pour les aspects environnementaux, historiques, touristiques, de communication. Les financements proviennent de diverses sources, de la municipalité, d’une fondation rattachée à la paroisse principale de la ville, et naturellement de l’Université.

Hormis son siège administratif au LAPACOM, l’écomusée ne possède pas de lieux permanents d’activités. Il utilise des locaux publics ou privés (écoles, églises ou salles paroissiales, centres sociaux de quartier, bars), ou des sites de plein air.

Le parc archéologique

L’écomusée est admis dans le réseau des musées d’Ouro Preto[17] et il l’est aussi de fait dans le réseau des parcs naturels de la ville, au titre de sa relation structurelle et fonctionnelle au parc archéologique. Ce parc, encore en projet, a été créé par la loi municipale 465 de 2008 qui lui fixe les objectifs suivants : « (1) préserver le site historique et toutes les ruines et vestiges qui s’y trouvent, pour rendre possible l’étude et la compréhension de la vie et des modes d’occupation du lieu par la population au début du XVIIIe siècle ; (2) protéger intégralement les ressources naturelles et les utiliser à des fins éducatives, scientifiques, récréatives et touristiques ». La même loi (article 8) fixe les critères pour le projet de zonage et de gestion : une zone d’occupation intensive (espaces naturels ou dégradés dans l’occupation antérieure) qui sera réservée aux équipements d’accueil, d’exposition et à l’administration ; une zone historico-culturelle qui couvrira les principaux sites témoins de l’occupation humaine et de l’activité minière qui seront conservés, étudiés et aménagés pour la visite ; une zone de protection environnementale constituée des espaces périphériques du Parc, de propriété publique ou privée.

Ce futur parc posera un vrai problème pour l’écomusée, car il obéira à deux logiques très différentes. L’une est scientifique, puisqu’il s’agira de recherches archéologiques, historiques, technologiques qui devront aboutir à la conservation des ruines, à des publications savantes, à un contrôle strict des modalités de la mise en valeur des sites. L’autre est culturelle et commerciale, puisqu’il s’agira d’un parc public destiné à une fréquentation à la fois locale et touristique.

Sur ces deux thèmes, l’écomusée est obligé, dès maintenant, d’exercer une grande vigilance afin que les populations de la Serra, et en particulier celle du Morro da Queimada qui est le quartier le plus proche des ruines et de la future entrée du parc en venant du centre-ville, ne soient pas oubliées et au contraire bénéficient des retombées du parc, notamment en termes d’emplois, d’amélioration de la voirie et des transports, de propreté et d’équipements publics. L’un des objectifs est donc de sensibiliser et de former le plus grand nombre possible d’habitants à devenir des interlocuteurs crédibles et des partenaires obligatoires pour les responsables du parc, les services de la ville et les professionnels du tourisme.

Il faudra en effet que les intérêts de la population de la Serra soient correctement pris en compte par le conseil d'administration du parc, dont la composition est fixée par l'article 7 de la loi municipale 465 : un représentant de la municipalité, un représentant de l'Institut du Patrimoine Historique et Artistique National (IPHAN), un représentant de l'Université (UFOP) et un membre de la communauté désigné par l'Association des habitants du Morro da Queimada. L'article 8 précise que l'administration du parc pourra autoriser des activités de recherche et d'étude des écosystèmes et des ruines dans le cadre des objectifs précédemment définis.

On voit bien là que l'écomusée doit à la fois préparer les populations à la mise en œuvre du parc et plus tard organiser la coexistence entre le parc et les populations directement concernées. Une démarche dans ce sens est déjà en cours : une archéologue membre du LAPACOM, par ailleurs professeur de muséologie, et ses élèves bolsistas appliquent les concepts actuels de l’« archéologie publique », qui impliquent des activités communautaires de sensibilisation et d'éducation au patrimoine local, à l'écologie, à l'environnement et à la conservation préventive.

Le parc des Andorinhas

Un autre enjeu environnemental pour les communautés de la Serra, et donc pour leur écomusée, est leur proximité avec le parc municipal des Andorinhas qui se trouve en contrebas des quartiers de S. Sebastião et de S. João. Le site du parc a occupé une grande place dans l’histoire de Vila Rica (actuelle Ouro Preto), où débutèrent le Cycle de l’Or et l’épopée des pionniers de la conquête de l’intérieur dans les « Mines Générales » (l’actuel État de Minas Gerais). Ces pionniers suivaient le cours du Rio das Velhas, qui se forme dans le bassin de drainage délimité par les monts de Ouro Preto (notre Serra), du Batatal et du Veloso, qui font partie de la cordillère de l’Espinaço[18]. Ces trois massifs forment un ensemble continu très représentatif de ce qui reste de la Mata Atlântica (Forêt Atlantique) dans l’État de Minas Gerais.

La zone des chutes des Andorinhas (hirondelles) constitue un patrimoine naturel d’intérêt historique, paysager, touristique reconnu et d’une rare beauté qui se situe sur le versant nord de la Serra alors que l’autre versant, au sud, est formé par la ville historique de Ouro Preto. Le parc couvre une surface de 557 hectares ; un de ses sous-secteurs, appelé localement « le ravin des hirondelles » abrite la source principale du Rio das Velhas, principal affluent du fleuve São Francisco[19]. On comprendra l’importance que présente en particulier l’assainissement des quartiers de S. Sebastião et de S. João qui sont situés immédiatement au-dessus du parc. L’écomusée trouve naturellement dans ce parc un terrain d’activités privilégié et des ressources variées pour l’éducation à l’environnement au profit tant des scolaires que des adultes du territoire et même des visiteurs extérieurs.

Le tourisme

Nous avons déjà mentionné plusieurs fois la question du tourisme. C’est un enjeu fondamental, pas tellement pour le moment puisque la grande majorité des flux touristiques se concentrent sur la ville ancienne et ses trésors baroques et historiques, mais pour l’avenir. Le site de la Serra est incontestablement fragile, comme tout site archéologique et naturel, mais sa population n’est pas vraiment prête à recevoir un nombre potentiellement considérable de visiteurs dont les attentes sont très éloignées des pratiques culturelles et sociales des habitants. Il conviendra – et l’écomusée en est bien conscient – de favoriser un tourisme motivé et léger, par exemple celui qui se développe autour de la fête des Tropeiros (Gomes, 2014), ou bien celui des amateurs de géologie, d’ingénierie minière, de milieux forestiers. Cela suppose, comme pour tout écomusée, un partenariat actif et sur un pied d’égalité avec les instances locales du tourisme.

L’écomusée devra par ailleurs aider la population à se protéger des effets indésirables d’un tourisme de masse qui viendrait pour le parc archéologique, pour celui des Andorinhas, ou même seulement pour les points de vue spectaculaires qu’offrent les sommets de la Serra. Les bénéfices en termes d’amélioration de la voirie et des moyens de transports pourraient alors être contrebalancés par la détérioration de la qualité et du cadre de vie. Puisqu’il ne sera pas possible de l’empêcher, il faudra renforcer la capacité de résistance de la population, canaliser les touristes sur des parcours maîtrisés. L’écomusée n’en a pas encore eu l’expérience, mais il devra s’y préparer.

En résumé, l’écomusée de la Serra d’Ouro Preto est un processus continu de mobilisation de la population sur les objectifs et les méthodes de la gestion de son cadre de vie et de sa qualité de vie, utilisant systématiquement l’ensemble des ressources offertes par son environnement, son patrimoine culturel et naturel, sa mémoire, avec l’aide d’une équipe pluridisciplinaire et en partenariat avec la ville, les associations, les institutions sociales, culturelles et économiques locales et extérieures[20].

Les activités éducatives de l’écomusée

L’écomusée de la Serra d’Ouro Preto a commencé ses activités en 2005 et, dès le début, leur a donné une dimension éducative, par des ateliers en direction des enfants. Progressivement, il a étendu son action à l’ensemble de la population, en commençant par la formation d’animateurs volontaires et de l’ensemble des acteurs de la vie sociale, dans les différents quartiers. A Sao Sebastião, un groupe d'habitants s'est constitué en relais de l'écomusée et multiplie les initiatives, notamment dans le cadre de la Fête des Tropeiros. Au Morro da Queimada, l'association des habitants est un partenaire actif de l'écomusée. Dans le quartier de Piedade, des actions éducatives de sensibilisation à l’archéologie sont menées dans une école municipale, à la demande de la communauté elle-même.

Après plus de dix ans de fonctionnement et de montée en puissance de l’écomusée, on peut tirer des conclusions sur les différentes pratiques éducatives issues du processus écomuséal. D’une manière générale, il nous semble possible de dire que l’écomusée construit la connaissance par le partage et le dialogue entre une population et des professionnels du patrimoine issus de différentes disciplines.

Qu’il s’agisse de l’environnement, ou plus généralement du patrimoine dans sa dimension culturelle comme dans sa dimension écologique, l’écomusée n’enseigne pas, au sens habituel des connaissances à des élèves ou à un public ; il agit par une interaction entre deux types d’expertise : celle qui résulte de la mémoire héritée, de l’usage, de l’expérience personnelle et collective, et celle qui est le produit de la recherche, de l’expérimentation scientifique, de la confrontation entre les théories et l’étude des pratiques.

C'est ainsi que nous voulons mener une réflexion entre dialogue, sens et signification : les idéaux éducatifs qui tendent à développer, à partir de la culture, des thématiques qui permettent aux personnes de mieux dominer leurs itinéraires éducatifs (Gadotti, 1991), rejoignent les actions et les perspectives des écomusées. La nouvelle relation musée-éducation privilégie les questions de sens et de signification. Du point de vue de l'information pour la construction de parcours éducatifs, la question du sens et de la signification passe par le crible du dialogue et de la relation entre celui qui enseigne et comprend, et celui qui est enseigné et compris[21], ou, en d'autres termes, entre celui qui recherche l'information et celui ou ce qui la véhicule (Mattos et Mattos, 2010). En effet, connaître est toujours une situation dialogique (Gadotti, 1991). Faire sens se réfère à la question de savoir si la personne, sur la base de sa mémoire, des informations et de ses expériences antérieures, réussit à comprendre l'information en question. Avoir la signification se réfère à la reconnaissance de la pertinence que l'information peut avoir pour soi et pour ses projets de vie (Mattos et Mattos, 2010).

S’agissant ici d’un site brésilien, on peut aussi se référer à la tradition de l’éducateur Paulo Freire, qui avait formulé et mis en pratique l’accès de l’individu et du groupe à la conscientisation, c’est-à-dire au passage d’une condition d’objet (de la formation, de l’administration, de la norme imposée) à celle de sujet social libéré, capable de décider de son propre avenir et de sa vie personnelle dans le groupe (Freire, 1971, 1983).

Prenons quelques exemples parmi les méthodes et les actions les plus marquantes de ces dernières années. Elles peuvent se retrouver, avec des différences provenant des contextes locaux, dans la plupart des écomusées ou des musées communautaires de tous les pays.

L’inventaire participatif

Comme nous l’avons déjà dit plus haut, c’est pour l’écomusée de la Serra une action permanente et fondatrice. Il consiste à amener la communauté, grâce à la médiation de certains de ses membres volontaires et personnellement engagés, aidés par l’équipe de l’écomusée, à définir par consensus son patrimoine, selon ses propres critères culturels, affectifs, religieux, sociaux, ou même économiques. On établit une liste de ces éléments, présents dans la vie quotidienne, dans le paysage, dans la maison ou dans la rue, dans les espaces naturels, et aussi de nature immatérielle (mémoire, savoir-faire, traditions, croyances). L’objectif n’est ni de les conserver, ni de les acquérir, mais de les recenser et de faire de ce recensement un exercice collectif et pédagogique.

Ceci s’obtient de diverses manières, par le bouche à oreille ou le porte-à-porte, lors de réunions thématiques, par l’enquête auprès de personnes reconnues pour leurs savoirs, par des « rodas de lembrança », ou cercles de mémoire[22].

Entre 2007 et 2010, l’écomusée a développé le projet « Mémoire de Vie » qui avait pour but de recueillir des témoignages importants pour la reconstitution des mémoires passées et présentes des communautés relevant de l’écomusée, et aussi pour récupérer des informations historiques, culturelles et sociales sur les populations du territoire et sur leurs origines. Il s’agissait aussi de rechercher les sources des traditions, des coutumes, des croyances, des métiers, des langages, des histoires et des objets de valeur affective et/ou de collection, de ces populations. On interrogea en premier lieu les personnes de plus de 60 ans qui avaient vécu plus de 20 ans dans les quartiers de la Serra. Ces témoignages font maintenant partie des archives de l’écomusée. Comme les collections d'un musée ordinaire, ce sont des données mortes, recueillies à partir de la mémoire humaine, individuelle ou collective, qui est une archive vivante en permanente (re)construction. De ce fait chaque fois que nous accédons à cette mémoire, nous la recréons et nous la réinterprétons. Le passé, le présent et l'avenir n'existent que dans la simultanéité de ces constructions (Mattos et Mattos, 2010).

Une autre action exemplaire de l’inventaire participatif fut menée en coopération avec le département de tourisme de l’UFOP : elle avait comme objet de dessiner le profil de ces communautés de la Serra en matière de besoins, de potentiels, de préférences culturelles et artistiques, politiques, religieuses, professionnelles, sportives, de loisirs, en relation avec le patrimoine local et celui de la ville, visant à mieux planifier les futures actions stratégiques concernant le tourisme de base communautaire[23] et en général le développement local. Réalisée en 2011, cette action fut réalisée par questionnaires présentés à un échantillon de 401 familles résidant dans les quartiers de l’écomusée.

L’inventaire a surtout progressé sur les deux quartiers les plus actifs, São Sebastião et Santana, avec l’aide de quelques leaders communautaires. Au Morro da Queimada, le travail a été confié surtout à l’association des habitants. Dans ce quartier, l’écomusée a constaté que la priorité des habitants allait à la création d’équipements collectifs (centre communautaire, espace culturel) et aussi que les premières décisions non concertées avec la population, relatives à la création du parc archéologique, avaient provoqué la destruction d’un certain nombre de maisons, sans relogement de leurs habitants, et la disparition d’une population de scorpions dont la collecte pour la vente était une activité lucrative des jeunes. On voit là la nécessité de l'intervention et de la médiation d'un écomusée pour faciliter le changement du cadre de vie et des activités traditionnelles.

L’inventaire participatif ainsi conçu doit être considéré comme étant l’équivalent écomuséal de la collection des musées traditionnels. La liste produite par l'inventaire est une sorte de catalogue du patrimoine vivant de la communauté, dont celle-ci accepte la responsabilité, puisque c’est elle-même qui en a décidé le caractère patrimonial. Ce n’est pas un programme de protection ou de conservation, même si des mesures peuvent devoir être prises pour empêcher des atteintes injustifiées au patrimoine ou pour protéger et mettre en valeur certains biens, mais le débat en commun sur le patrimoine comporte une dimension de diagnostic sur la valeur, les risques, les potentialités des éléments repérés.

L’éducation patrimoniale

L’inventaire participatif est aussi l’outil le plus efficace pour atteindre l’objectif que tous les écomusées brésiliens se donnent : celui de l’éducation patrimoniale. Par là on entend la prise de conscience de l’importance du patrimoine, hérité du passé ou créé par la génération présente, comme capital culturel, social, environnemental et économique pour la société et pour son avenir. La communauté et chacun de ses membres apprennent à regarder leur cadre de vie, à en interpréter les significations, à en accompagner les transformations et à proposer les mesures à prendre pour l’intégrer dans la dynamique du développement du territoire, c’est-à-dire du cadre et de la qualité de la vie.

Cette éducation, qui peut se faire pour les jeunes dans l’école ou hors de l’école, et pour les adultes dans un cadre associatif ou lors d’évènements particuliers, par exemple lors de parcours de découverte sur le territoire ou de projets collectifs, doit « révéler » le savoir des membres de la communauté et celui d’intervenants extérieurs plus spécialisés, c’est-à-dire rendre ce savoir lisible, compréhensible, intéressant. Les personnes âgées porteuses de la mémoire populaire, on l’a vu, sont mises à contribution, ainsi que celles qui possèdent des compétences particulières.

Progressivement, l’écomusée arrive ainsi à utiliser les ressources patrimoniales révélées par l’inventaire pour réaliser des programmes mobilisateurs. L’une des actions les plus spectaculaires et exemplaires a été, sur le quartier de São Sebastião, la fête des Tropeiros, ces cavaliers ou charretiers qui, depuis le XVIIIe siècle et jusqu’il y a seulement quelques décennies, transportaient les marchandises sur de longues distances, depuis les ports ou les zones de production industrielle de la côte, ou des matériaux vers les mêmes destinations. La mémoire existait, les savoirs et les chevaux aussi, il suffisait de réveiller ce patrimoine pour redonner de la fierté d’un passé encore proche et en faire une composante de l’identité du quartier[24].

L’éducation patrimoniale est aussi considérée par l’écomusée comme la condition pour que la population de la Serra soit prête à participer activement au futur parc archéologique, ou à l’animation du parc naturel voisin des Andorinhas, en comprenant leurs enjeux et en en retirant des avantages, par exemple en matière d’emploi. C’est la notion de « capacitação », équivalent brésilien de l’« empowerment », soit rendre les gens autonomes et capables d’être des acteurs conscients et efficaces du changement de leur environnement.

Les activités pédagogiques et ludiques

En étroite coordination et collaboration avec les acteurs et les institutions des quartiers, l’équipe universitaire de l’écomusée pratique systématiquement une méthode de travail que l’on peut ainsi résumer :

  • des ateliers éducatifs s’adressant à des enfants ou à des jeunes, mais aussi à des adultes et aux personnes du 3e âge ; il s’agit d’aborder des thèmes relatifs à la mémoire, au patrimoine, à la citoyenneté, à l’environnement, à l’écologie, à la conservation… ;

  • des expositions partagées avec les acteurs communautaires, afin de les impliquer, motiver et inciter à la prise d’initiatives et à la participation pour la valorisation de la culture, de l’identité et du patrimoine[25].

D’autre part l’écomusée suscite lui-même ou prend part à des activités d’initiative locale qui ont pour but de créer une vie communautaire utilisant largement le patrimoine, notamment immatériel, mais aussi l’environnement : une fête du recyclage des déchets de la société de consommation dans l’école de São Sebastião, la fête des Tropeiros dont nous avons déjà parlé, l’Espace culturel « Couleurs, Fleurs et Saveurs » à São Sebastião, initiative d’une famille du quartier qui propose ou accueille des repas communautaires, des expositions ou des dégustations de productions locales, etc.

Comme l’écomusée ne dispose pas d’espace propre et d’ailleurs n’en recherche pas, il utilise le plein air ou des locaux existants comme l’espace culturel de São Sebastião, le local paroissial de São João ou d’autres institutions locales. L’équipe de l’écomusée étant limitée (la coordinatrice et les « bolsistas »[26] venant de l’Université), toutes les activités reposent sur le volontariat d’habitants et sur l’utilisation des compétences locales. Cela veut dire aussi que le programme de l’écomusée ne peut être projeté longtemps à l’avance, puisqu’il dépend de la disponibilité des personnes et de moyens matériels et humains très fragiles.

La sensibilisation se fait par l’observation et la pratique du terrain : le territoire de la Serra d’Ouro Preto et le paysage dans lequel il est inséré constituent le cadre de la vie et des pratiques quotidiennes des habitants des différents quartiers. L’écomusée veut aider ses habitants à plus et mieux regarder ce territoire et ce paysage, non pas comme des objets esthétiques, ou scientifiques, mais comme un bien commun qu’il faut respecter et gérer pour le transmettre (notion de soutenabilité). Selon Maturana (2009), l’organisme et l'environnement provoquent entre-eux des changements structurels selon lesquels ils restent en relations réciproques, de manière que chacun aille à la rencontre de l’autre tout en conservant leur organisation et leur identité. Dans la pratique de l'écomusée, cela signifie que la relation entre l'individu et l'environnement se produit de façon organique, adaptative, compatible avec le milieu, sous la forme d'interactions et de transformations réciproques.

C’est un travail de longue haleine qui exige un accompagnement de la part de plusieurs départements de l’Université et des différents services de la ville : il a fallu d’abord les mobiliser et les sensibiliser à propos d'un territoire qui n’était pas prioritaire, car politiquement et socialement marginal, par rapport au centre-ville et à ses programmes urbanistiques, culturels et touristiques.

Des apports extérieurs au territoire ont donc été nécessaires : visites de conseillers techniques, réunions de partenaires pour la définition d’objectifs et de projets, invitation de spécialistes pour des actions thématiques (enquêtes, expositions, création et accompagnement de parcours).

Plusieurs réalisations particulièrement utiles peuvent être mentionnées.

  • un appel aux familles d'habitants pour recueillir des collections de photos conservées dans les albums familiaux, afin de constituer une archive photographique numérisée de la population ;

  • un encouragement à un photographe habitant S. Sebastião, amateur éclairé et très créatif, pour documenter l'environnement urbain et paysager, exposer une sélection de photos (2017) et peut-être préparer un futur observatoire du paysage ;

  • le repérage et le balisage de parcours pédestres de visite de la Serra, avec identification d'éléments remarquables géologiques ou de biodiversité ;

  • l'étude, en préalable au parc archéologique, d'un espace pilote de visite de quelques ruines accessibles représentatives de l'habitat et des anciennes mines d'or, pour servir à la découverte du passé minier par la population des quartiers. Il est prévu que cet espace devienne la vitrine des recherches archéologiques, et en quelque sorte, un résumé du futur parc.

La contribution des enseignements et des recherches de l’Université

On a vu que l’Université Fédérale d’Ouro Preto (UFOP) était la structure porteuse de l’écomusée, dont la coordinatrice est un professeur du département de muséologie, par ailleurs spécialiste de l’éducation au musée (Mattos et Mattos, 2010), sujet de son doctorat et de nombreux travaux de recherche.

L’écomusée, son territoire, les communautés de la Serra et le patrimoine de ses communautés constituent naturellement un champ permanent de recherche, d’expérimentation, de formation, d’une part pour les étudiants en muséologie, d’autre part pour des étudiants d’autres départements (photo, tourisme, environnement), via le programme de bolsistas qui les met en position d’apprentissage, où les formateurs sont les habitants eux-mêmes. Dans certains cas, même, des étudiants originaires et demeurant dans les quartiers de la Serra sont parmi les bolsistas et apportent leur connaissance du terrain et leurs relations avec les habitants, familiales ou de voisinage.

La création au sein de l'université, en 2016, du laboratoire de recherches et d'extension en archéologie, patrimoine et processus muséologiques communautaires (LAPACOM) a officialisé et légitimé la collaboration entre le monde scientifique et le monde des savoirs populaires représenté par l’écomusée. Les chercheurs reconnaissent qu’ils doivent mobiliser des connaissances issues du terrain tandis que le programme communautaire de gestion de la mémoire et du patrimoine a besoin de l’apport des scientifiques pour exploiter au mieux les richesses de leur patrimoine et les faire servir au développement de leur cadre de vie. Il s’agit bien, comme nous l’avons déjà dit plus haut, de la co-construction d’un corpus de connaissances, où chacun donne et reçoit et dont le résultat est utile à tous.

Il faut enfin mentionner l’importance de la collaboration avec l’école supérieure des Mines, un département extérieur de l’UFOP, qui a prêté pendant plusieurs années des locaux à l’équipe de l’écomusée et dont des enseignants sont associés aux projets concernant l’inventaire écologique de la Serra et la création de sentiers d’observation.

Les perspectives d’avenir et le projet de parc archéologique

L’écomusée se donne maintenant deux objectifs principaux pour les années qui viennent. D’une part, il doit poursuivre son implantation dans des quartiers qui ont été moins rapidement mobilisés et où des animateurs motivés étaient moins disponibles et moins nombreux : ce sera le cas de Morro da Queimada, à partir du centre social de quartier qui est maintenant opérationnel et surtout de Piedade.

D’autre part, il faudra accompagner la mise en œuvre du Parc archéologique et touristique, afin que la population en prenne toute sa part : contrôler le projet pour qu’il respecte l’équilibre du territoire et les intérêts des habitants, offrir des services et de la main d’œuvre pour les travaux de fouilles, d’aménagement, d’accès, accueillir les chercheurs et les visiteurs, rendre les quartiers attrayants et offrir des activités complémentaires du parc (points de vue, liaison avec le parc des Andorinhas, fête des Tropeiros, visite des églises et chapelles historiques, fêtes des confréries, etc.), tout en étant vigilant sur les éventuelles dégradations apportées à l’environnement à la suite de la croissance de la fréquentation touristique.

La collaboration avec le LAPACOM deviendra une pratique courante et de plus en plus intégrée au programme de l’écomusée. Ce dernier devra aussi étendre ses préoccupations aux questions du développement des quartiers : assainissement (ne serait-ce que pour protéger le parc des Andorinhas qui se trouve en contrebas), voirie et circulations, transports publics, locaux collectifs.

L’écomusée et l’environnement : une responsabilité libérée

Comme le montre le cas d’Ouro Preto, l’écomusée est un instrument de médiation et d’apprentissage dans la relation entre la population et son environnement, qu’il soit social, culturel, paysager, naturel, voire même économique (Mattos et coll., 2017). Il traduit et interprète le patrimoine à partir de la connaissance implicite qu’en ont les habitants, les aide à en maîtriser l’usage et la transformation, sert d’interface avec les intervenants extérieurs, politiques, administratifs, scientifiques.

L’écomusée libère les forces vives de la communauté, encourage les initiatives, révèle les compétences, forme ou renforce les capacités individuelles et collectives : il donne de la confiance en soi et le sens de la responsabilité individuelle et collective pour une gestion partagée de l’environnement et du patrimoine qui en constitue la trame.

Il n’y a pas de modèle pour un écomusée : chacun a sa propre identité et ses modalités de création et de développement, son statut juridique (ou l'absence de statut), ses moyens humains et matériels. Les seuls points communs qui unissent tous les écomusées et plus généralement les musées communautaires sont le territoire comme cadre, le patrimoine comme objet, la communauté elle-même comme sujet et le développement comme enjeu.

Notre rencontre de mémoires et d'apprentissages, de patrimoines et d'identités ne s'est pas faite à partir d'un faisceau de certitudes. La plupart des décisions que nous sommes amenés à prendre au quotidien se confrontent à des situations ambiguës, pour lesquelles il n'y a pas de réponses « certaines » et « véridiques ». De telles situations, comme les décrit Goldberg (2002), demandent des décisions adaptatives, centrées sur l'acteur. Aller à la rencontre de la question comme principe de travail c'est dévoiler, découvrir, révéler, scruter, éplucher, les mystères et les secrets de tous les doutes découlant du jeu des expériences, apportant l’émotion et la raison dans le champ pratique des choix à faire en l'absence de solutions intrinsèquement correctes (Goldberg, 2002).

Ainsi, pour que les questions posées révèlent et orientent différentes perspectives et priorités, lors de la rencontre avec l’autre, nous n'apportons pas de réponse. Nous proposons des questionnements et nous attendons de recevoir les demandes qui nous aideront à connaître l'autre et à l'apprivoiser pour, en apprenant ensemble, nous constituer des mémoires communes, afin que, ensemble nous puissions cheminer vers la définition et le choix de réponses pour la création et l'appropriation d'un patrimoine collectif.

Nous proposons, par conséquent, d'aller à la rencontre des doutes et, à partir de ceux-ci, de courir le risque de rechercher quelles priorités nous allons donner à nos critères de choix, dans toute leur diversité et/ou leur ressemblance. Il n'y a là aucune facilité. Bien au contraire, dans toutes les situations d'apprentissage, nous devons stimuler la pensée et provoquer des réflexions qui nous amèneront à laisser de côté le confort des certitudes acquises – une tendance humaine très commune – qui entraîne le rejet de tout de ce qui est différent de nous et qui aboutit non seulement à des formes sociales d'exclusion, mais aussi à des pratiques plus ou moins subtiles de prise de pouvoir et d’hégémonie socio-culturelle.