Comptes rendusThéorie, méthode et idées

The Eurocentric Conception of World Politics. Western International Theory, 1760-2010, John M. Hobson, 2012, Cambridge, Cambridge University Press, 393 p.[Notice]

  • Maxime Soutière-Kucharski

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  • Maxime Soutière-Kucharski
    Doctorant, Département de science politique, Université du Québec à Montréal Montréal, Canada

En 1977, Stanley Hoffmann, dans son article « An American Social Science : International Relations », s’indignait du contrôle institutionnel, épistémologique et méthodologique des États-Unis sur les Relations internationales (ri). Depuis, les chercheurs critiques ont mis en évidence les partis pris des questions de recherche, des outils méthodologiques et de l’épistémologie des ri. Ces approches critiques prétendent que les ri laissent peu de place aux visions liées aux particularismes historiques, culturels et sociaux de civilisations autres que celle de l’Occident. L’ouvrage The Eurocentric Conception of World Politics de John M. Hobson défend la thèse que l’ensemble des explications théoriques des interactions interétatiques proposées par la discipline des ri sont biaisé par une représentation du monde eurocentrique. L’argumentation d’Hobson se fonde sur une observation similaire à celle de Robert Cox. C’est-à-dire que les théories des ri, et le savoir qu’elles produisent, ne renvoie pas à une représentation objective des dynamiques du système international, car les valeurs occidentales sont au coeur de leur construction. Dès lors, Hobson juge que les théories des ri servent deux objectifs : promouvoir l’Ouest comme sujet et agent proactif des ri et présenter son modèle de développement et ses valeurs comme un idéal normatif. Cette combinaison permet à Hobson de formuler sa principale critique à l’endroit des ri qui, depuis le traité de Westphalie, et malgré la prétention de reconnaître l’égalité souveraine des États, n’attribuent aux États de l’Est qu’une souveraineté conditionnelle fondée sur leur degré de reconnaissance de l’hégémonie occidentale. Pour démontrer sa thèse, Hobson étudie la récurrence de l’impérialisme, du paternalisme et du racisme dans la pensée des précurseurs théoriques des ri. L’auteur porte d’abord son attention sur la période de 1760 à 1914, qui serait marquée par un eurocentrisme manifeste et un racisme scientifique s’observant chez les libéraux et les marxistes. Il prétend que l’idée généralement admise selon laquelle le libéralisme est fondé sur l’autodétermination des peuples, le non- interventionniste et l’anti-impérialisme ne peut servir à qualifier les relations entre l’Ouest « civilisé » et l’Est. Ainsi, les pensées d’Angell, d’Hobson, de Bright et de Cobden s’appuieraient toutes sur le paternalisme pour justifier la mission civilisatrice de l’Ouest vers l’Est. Tandis que le paternalisme de Marx et d’Engels s’articulerait autour de l’idée que le changement des structures économiques ne peut survenir que dans les sociétés industrielles ayant un niveau de productivité matériel élevé, d’où l’adoption obligatoire du modèle capitaliste occidental. Les penseurs de cette époque ne sont pas tous impérialistes. Hobson relève des traces de paternalisme même chez des auteurs comme Kant et Smith. Chez Kant, ce paternalisme trouverait sa source dans la théorie de la paix perpétuelle atteignable lorsque le monde est composé exclusivement de républiques et que le cosmopolitisme s’est établi en norme. Selon Hobson, Kant rejette ainsi les modes de gouvernance indigènes, d’où son paternalisme, puisque le républicanisme et le cosmopolitisme sont des valeurs ou des régimes occidentaux. Adam Smith critique sévèrement le colonialisme, car, à son avis, ce modèle nuit à la productivité des métropoles. Mais pour Hobson, la volonté de Smith d’intensifier la liberté de commerce entraîne l’imposition des conditions économiques de l’Ouest sur les pays de l’Est. Dès lors, Smith perpétue une forme de domination économique paternaliste. L’exploration de l’idée du racisme est un point fort de l’ouvrage. L’auteur démontre de manière très convaincante que les idées racistes ont servi à justifier le colonialisme et l’impérialisme. On est peu surpris de trouver dans la tradition intellectuelle impérialiste une multitude de penseurs racistes qui plaident pour l’assimilation ou l’extermination des peuples indigènes « barbares ». Mais la pensée des penseurs racistes anti- impérialistes, tels que …