Introduction au numéro[Notice]

  • Alain Roy

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Les changements socioéconomiques qui ont marqué la plupart des sociétés occidentales au cours des dernières décennies ont profondément modifié les fondements et les structures de la famille. Délivrée de l’emprise jadis exercée par la religion, la famille s’est privatisée. Au contact des valeurs égalitaristes aujourd’hui dominantes, elle s’est démocratisée (Giddens, 1992). Le cadre familial homogène fortement hiérarchisé qui prévalait autrefois a été remplacé par autant de configurations dont la légitimité sociale ne fait plus aucun doute. Du couple marié ou uni de fait au couple avec ou sans enfant, en passant par les familles reconstituées, monoparentales ou homoparentales, les liens conjugaux et familiaux recoupent aujourd’hui une multitude de modèles auxquels les législateurs se sont efforcés de faire écho. Depuis la fin des années 70, les réformes du droit de la famille se sont succédées à un rythme effarant, tant au Québec qu’en Europe. Plusieurs institutions juridiques, y compris celles qui paraissaient immuables, ont fait l’objet de réaménagements fondamentaux. Si le nouveau droit permet de prendre la mesure des transformations structurelles subies par la famille, il n’en est toutefois pas le seul et unique indicateur. En marge des normes légales, la famille génère sa propre normativité. Une normativité qui, tout en subissant l’influence de l’environnement externe, répond à une rationalité spécifique que seule l’analyse des interactions entre les membres de la famille permet de saisir. Comme « champ social semi-autonome » (Falk-Moore, 1973), le couple et la famille constituent des unités normatives qui ne peuvent être appréhendées qu’au moyen d’une approche analytique globale et pluridisciplinaire. Juristes, sociologues, anthropologues, psychologues et autres spécialistes du couple et de la famille sont donc également interpellés par ce numéro de la Revue Internationale Enfances, Familles, Générations portant sur l’évolution des normes juridiques et sur les nouvelles formes de régulation de la famille. Le profil disciplinaire diversifié des auteures et auteurs en témoigne d’ailleurs de manière éloquente. Le lien parent-enfant occupe une place prédominante dans ce numéro, faisant l’objet de 7 articles sur les 9 publiés. Compte tenu du sens profond que revêt l’enfant pour une majorité de personnes, un tel intérêt n’a rien de surprenant. L’enfant incarne l’ultime projet existentiel des conjoints. Loin de s’imposer au couple comme c’était le cas autrefois, l’enfant est devenu l’objet de désir à travers lequel chacun des conjoints cherchera à s’épanouir et à trouver le bonheur. Bref, on ne fait plus des enfants pour se conformer à une norme sociale ou religieuse, mais pour concrétiser un projet de vie soigneusement planifié (Kellerhals et Roussel, 1987). Comment s’étonner, dans un tel contexte, que l’enfant ait été au centre de tant de revendications législatives au cours des dernières décennies? Puisque tous ont droit au bonheur et que le bonheur passe par l’enfant, tous doivent pouvoir aspirer à la parenté, quitte à ce que l’on déroge aux principes sur lesquels repose depuis toujours notre système de filiation. Voilà le discours que le Québec a fait sien en juin 2002. Plus besoin d’un homme et d’une femme pour « enfanter », il suffit aujourd’hui de recourir à l’assistance génétique d’un tiers pour réaliser son projet parental. En vertu de l’article 538 du Code civil du Québec, « le projet parental avec assistance à la procréation existe dès lors qu'une personne seule ou des conjoint[e]s ont décidé, afin d'avoir un enfant, de recourir aux forces génétiques d'une personne qui n'est pas partie au projet parental ». Selon l’article 538.1, la filiation de l'enfant né d'une telle procréation s'établira par la signature d’une déclaration de naissance, comme une filiation par le sang. Ainsi, dans le cas du projet parental d’un couple de lesbiennes, l’enfant …

Parties annexes