Volume 32, N. 2 (2015)Recension de publication / Book Review

Les groupes communautaires : vers un changement de paradigme ? par Jean-Pierre Deslauriers. Québec : Presses de l’Université Laval, 2014[Notice]

  • René Lachapelle

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  • René Lachapelle, Ph.D.
    Professionnel de recherche, Chaire de recherche du Canada en organisation communautaire-UQO

Le changement de paradigme qu’annonce le dernier ouvrage de Jean-Pierre Deslauriers repose sur la thèse que le mouvement communautaire serait devenu une composante de la réduction des services sociaux et de santé du fait du partenariat avec l’État. En s’inscrivant dans cette logique, les groupes communautaires, sans perspective d’une intégration aux services publics dont l’État n’a pas les moyens, seraient devenus des agents de « démantèlement de la communauté » (p.174). La démonstration passe d’abord par un diagnostic de l’action communautaire autour de trois enjeux : la rupture avec la revendication du changement social, la professionnalisation et le déclin de la communauté. En rupture avec le modèle de l’animation sociale et de l’éducation populaire des années 1970 qui revendiquait le changement social, « la notion de coopération conflictuelle » caractéristique des années 1990 « débouche sur une sorte de compromis qui atténue le conflit » avant de disparaître avec la réforme Couillard « à laquelle les groupes communautaires ne sont pas invités à participer » (p.12). En se comportant comme de petites entreprises mal capitalisées et en s’adonnant au partenariat, les groupes sont eux-mêmes responsables de la perte des valeurs qui justifient leur action. Le partenariat « trahit un vide axiologique » car il repose sur des « valeurs implicites » (p.27) en contradiction avec l’opposition à l’ordre établi qui caractérise les mouvements sociaux. À preuve, les groupes qui s’identifient au Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MÉPACQ) seraient marginalisés dans le milieu communautaire. La professionnalisation de l’action communautaire serait aussi un résultat du partenariat avec l’État. Pour répondre aux exigences qui viennent avec le soutien public, les organismes s’alignent sur les exigences du réseau et privilégient l’embauche d’intervenantes diplômées qui arrivent avec des valeurs qui ne sont pas celles du milieu communautaire. En maîtrisant le langage bureaucratique les groupes soutenus financièrement par le MSSS emportent la part du lion dans le soutien public, alors que « les groupes qui se consacrent à l’éducation populaire reçoivent la portion congrue du financement étatique » (p.99). Les professionnelles à l’emploi des organismes communautaires, pour leur part, accèdent à un secteur d’emplois d’autant plus précaires que s’identifiant à leur travail, elles se satisfont de rapports de confiance avec les gestionnaires des groupes. La recherche du bien commun est devenue à toutes fins impossible car les groupes communautaires, réduisent cette notion aux « intérêts particuliers » qui justifient leur propre action. Ensemble, l’État et les groupes contribuent à la détérioration de la communauté. Structuré par le partenariat et résultat d’un rapport de forces inégal entre les groupes et l’État, le nouveau paradigme en émergence se caractérise par la perte d’autonomie dans le cadre d’ententes à la pièce marquées par le passage du militant à l’employé, de l’expertise citoyenne à la professionnalisation et de l’innovation organisationnelle à la bureaucratie. Dans cette nouvelle configuration, le communautaire devenu agent de démantèlement de la communauté, pratiquerait l’autonomie sans la solidarité. Quant aux organisateurs communautaires des CSSS, ils se comporteraient tout simplement en agents de programme. L’État se déleste de ses responsabilités en transférant aux organismes communautaires des services relevant du secteur public au moyen d’ententes de services dans lesquelles tout est déjà balisé. Si les groupes négocient c’est seulement sur les moyens puisque, contraints de « compter avec la force structurante » d’un État qui assure leur existence (p.171), ils n’ont d’autre alternative que de s’entendre avec lui. Avec la professionnalisation, on ne mise plus sur la participation citoyenne mais sur l’expertise. La bureaucratisation du communautaire durant les années 1990 le soumet à la caractéristique des bureaucraties qui sont incapables d’innover. Les groupes ne sont plus …

Parties annexes