Jean-Paul Brodeur

Haute et basse police après le 11 septembre (2008)[Notice]

  • Jean-Paul Brodeur

Note introductive

Cet article témoigne de deux caractéristiques majeures de la démarche intellectuelle de Jean-Paul Brodeur : d’une part, sa capacité à se tenir au plus près des avancées des sciences dans le vaste domaine du policing ; d’autre part, une heureuse aptitude à remodéliser ses propres schémas d’analyse à mesure que l’accumulation de données disponibles l’y oblige.

Il était donc assez fatal que l’évolution du monde de « l’après 11 septembre » aille non seulement révolutionner les approches criminologiques de la sécurité internationale en général, mais que, tôt ou tard, sa célèbre distinction heuristique entre haute et basse polices fût ébranlée, exigeant de sa part un toilettage en profondeur.

L’occasion de jeter les bases d’une nouvelle réflexion à ce sujet me semble avoir été favorisée par la convergence de plusieurs préoccupations souterraines de Jean-Paul Brodeur. On sait que son bagage philosophique l’avait conduit à porter une attention extrême au travail d’H. L’Heuillet sur la « haute police et la basse politique » (2001). Et plus récemment, que son insatiable curiosité l’avait amené à rencontrer dans la thèse novatrice des Irlandais C. O’Reilly et G. Ellison (2006), une avancée majeure. Ces chercheurs ont en effet été les tout premiers à revisiter de fond en comble la notion de « haute police » à la lumière des tendances à la privatisation des services de renseignements occidentaux. Comme par ailleurs, Jean-Paul Brodeur paraissait de plus en plus insatisfait de la thèse influente sur les policiers comme « travailleurs du savoir », il avait désormais toutes les cartes en mains pour jeter les bases de cet article, profond, dense et lumineux, pour célébrer, comme il se devait, le 40e anniversaire de la revue Criminologie.

L’article ultra concentré reste néanmoins extrêmement pédagogique : dans sa première partie, sont évoqués les quatre éléments constitutifs d’une définition provisoire de la nouvelle « haute police ». Mais il est également dialectique : tandis que la deuxième partie inventorie en effet des éléments empiriques rendant problématique la tendance au mouvement d’intégration de la haute et de la basse police, la troisième propose d’en dépasser les freins en recourant à la métaphore de « l’hybridation de la haute police ». Dans ce passage, Jean-Paul Brodeur ajoute à la thèse des auteurs précités, un enjeu à ses yeux sous-évalué : celui de la protection de « clients » concurrents faisant l’objet de menées subversives. Cet ajout me paraît capital et demandera sans aucun doute à être creusé par les analystes futurs. Il leur faudra en outre tenir compte de la nature du statut (public ou privé) des clients eux-mêmes en compétition pour différencier l’évaluation de l’impact et des performances empiriques de ladite « haute police hybride » dédiée à la défense de leurs intérêts. Dans la quatrième partie, Jean-Paul Brodeur redevient le citoyen que les audaces de sa science ne l’ont jamais empêché de rester. Il concède à l’État – agirait-il dans l’illégalité institutionnalisée, comme le feraient de manière plus débridée les entreprises de la haute police privée –, sa faculté de conserver le monopole du pouvoir de protéger l’ensemble des citoyens de son territoire. Autrement dit, de bénéficier d’une légitimité bien supérieure à ses yeux que celle de ces entreprises, seraient-elles devenues aussi – voire plus – puissantes que les États eux-mêmes.

FrédéricOcqueteau

Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

ocqueteau@cesdip.fr

Parties annexes