Introduction

Introduction au numéro thématique sur le droit de la famille et la démographie de la famille[Notice]

  • Benoît Laplante

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Plus que toute autre science sociale, la démographie s’est développée en réponse aux besoins de l’État et fait encore aujourd’hui grand usage de données produites par l’administration, les actes de l’état civil et les données du recensement étant les plus importantes. Les démographes sont ainsi habitués à utiliser des catégories administratives comme le ménage, le lien entre l’individu et la personne de référence du ménage, la famille économique ou encore l’état matrimonial. Cela dit, ils ne sont peut-être pas toujours conscients du fait que nombre de ces catégories renvoient à des notions de droit, au-delà de la définition administrative. Une bonne partie des transformations de la famille qu’étudie aujourd’hui la démographie existe parce que le droit lui-même s’est transformé. Par exemple, les démographes n’étudieraient pas la très faible fécondité si la loi interdisait encore la promotion de la contraception comme elle l’a fait au Canada jusqu’en 1969. Ils n’étudieraient pas le divorce et le remariage s’il fallait encore, pour divorcer, faire voter une loi d’intérêt privé par le parlement fédéral comme il a fallu le faire au Québec et en Ontario jusqu’en 1969. Les démographes n’étudieraient pas les familles recomposées dans la même perspective si la remise en couple survenait surtout après le décès de l’époux plutôt qu’à la suite de la séparation ou du divorce. Ils ne s’intéresseraient pas à l’union libre comme cadre de la vie de famille si les enfants nés hors mariage étaient encore des bâtards au sens de la loi. Ils ne s’intéresseraient pas aux couples de même sexe et aux familles dont les parents sont du même sexe si la pénétration anale était encore un acte criminel, comme elle l’a été au Canada jusqu’en 1969. On peut attribuer ces changements à l’évolution des moeurs et à l’individualisation, mais si le droit avait résisté à ces transformations, les questions ne se poseraient pas de la même manière. Les solutions que le droit apporte aux changements sociaux ne sont pas partout les mêmes et ces différences amènent les démographes à étudier des objets différents selon les sociétés. En effet, par exemple, on ne peut pas étudier le mariage des couples de même sexe là où il n’est pas permis. Le numéro thématique sur la démographie de la famille et le droit de la famille est le produit d’un concours de circonstances favorables. Le colloque de 2016 de l’Association internationale des démographes de langue française portait sur les configurations et les dynamiques familiales. Quelques-unes des communications d’auteurs québécois traitaient de questions de démographie de la famille d’une manière qui faisait apparaître les liens entre leur objet et le droit de la famille. Deux des articles du numéro thématique sont issus de travaux dont la version préliminaire a été présentée dans ce colloque. L’appel à articles du numéro a permis d’inclure deux autres textes. Par ailleurs, la programmation scientifique actuelle du Partenariat de recherche Familles en mouvance dirigé par Hélène Belleau et qui regroupe des chercheurs de plusieurs universités et de plusieurs disciplines, dont quatre démographes, accorde une place importante au rôle que joue le droit dans le champ de la famille au Québec. Les chercheurs de cette équipe s’intéressent aux multiples enjeux normatifs entourant la famille et à l’évolution du droit, c’est pourquoi elle a été associée à la réalisation du numéro. Trois de quatre articles du numéro thématique ont été motivés par les questions soulevées par la cause connue du public sous le nom « Lola c. Éric ». Dans cette affaire, l’ex-conjointe de fait d’Éric demandait au tribunal de régler les questions d’argent de sa séparation comme si elle avait été mariée. Cette cause remettait …