Essais bibliographiquesBibliographical EssaysEnsayos bibliográficos

Manceron Vanessa, 2021, Les veilleurs du vivant. Avec les naturalistes amateurs. Paris, La Découverte, coll. « Les empêcheurs de penser en rond », 320 p.

  • Frédéric Laugrand

…plus d’informations

  • Frédéric Laugrand
    Laboratoire d’anthropologie prospective (LAAP), Université catholique de Louvain, Place Montesquieu, 1 Bte L2.08.01, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique
    frederic.laugrand@uclouvain.be

L’accès à cet article est réservé aux abonnés. Seuls les 600 premiers mots du texte seront affichés.

Options d’accès :

  • via un accès institutionnel. Si vous êtes membre de l’une des 1200 bibliothèques abonnées ou partenaires d’Érudit (bibliothèques universitaires et collégiales, bibliothèques publiques, centres de recherche, etc.), vous pouvez vous connecter au portail de ressources numériques de votre bibliothèque. Si votre institution n’est pas abonnée, vous pouvez lui faire part de votre intérêt pour Érudit et cette revue en cliquant sur le bouton “Options d’accès”.

  • via un accès individuel. Certaines revues proposent un abonnement individuel numérique. Connectez-vous si vous possédez déjà un abonnement, ou cliquez sur le bouton “Options d’accès” pour obtenir plus d’informations sur l’abonnement individuel.

Dans le cadre de l’engagement d’Érudit en faveur du libre accès, seuls les derniers numéros de cette revue sont sous restriction. L’ensemble des numéros antérieurs est consultable librement sur la plateforme.

Options d’accès
Couverture de Anthropologie politique du travail, Volume 47, numéro 1, 2023, p. 11-240, Anthropologie et Sociétés

Dans le contexte de la sixième extinction que nous vivons, marquée par une disparition massive et accrue des espèces, et de celui de la déforestation, de l’urbanisation et de l’explosion des systèmes d’élevage et d’agriculture intensive, ce livre de Vanessa Manceron, chercheuse au CNRS, donne un peu d’espoir, une bouffée d’air. On connaissait déjà ses travaux sur les observateurs amateurs des oiseaux en Angleterre. Le présent volume offre une magnifique étude de cas de ces passionnés du vivant dans la région du Somerset, un comté situé au sud-ouest de ce pays d’outre-Manche. L’enquête est un modèle du genre, notamment par la précision de ses descriptions et la finesse de l’analyse qui s’y déploie, mais aussi par sa sensibilité. L’anthropologue arpente la campagne et les villages, et décrit ceux et celles qui ont développé un véritable art de voir des plantes, des crapauds, des insectes, des oiseaux, etc. Bref, une fine connaissance de ce qu’il est convenu de nommer « la nature » qui les entoure et, pourrait-on ajouter, qui les envoûte. À ce titre, le terme nature semble déjà un peu décalé, car, précise l’auteure, les naturalistes amateurs parlent plutôt de « milieux » et de « relations ». Ils semblent loin d’appuyer des conceptions romantiques de la nature, comme celles du « terroir » ou de la « wilderness ». Ils se montrent plus près d’une conception mineure de la nature, celle avec laquelle on cohabite, on compose, et dont on prend soin (p. 18). L’anthropologue suit donc ses humbles interlocuteurs et met en valeur cette tribu de naturalistes amateurs qui piste le vivant partout où elle chemine. Amateurs, ces observateurs le sont faute de diplômes professionnels en zoologie ou en botanique. On comprend vite, en les accompagnant dans leurs promenades pour observer les haies, les bois, les berges et les étangs, qu’ils sont néanmoins remarquablement bien qualifiés. Leur regard est affûté, ils connaissent les espèces et leurs mondes. Ce sont, souligne l’anthropologue, des « praticiens aguerris », discrets, méthodiques, patients et respectueux de la nature pour elle-même. Leurs gestes en font des « veilleurs du vivant » — ou des sentinelles —, dans la mesure où ils font mieux connaître et reconnaître les plantes et les animaux qui habitent dans une région circonscrite, parvenant à offrir un état des lieux des espèces et à donner l’alerte du danger. Ces perspectives demeurent profondément naturalistes et fort éloignées d’autres traditions, comme celles des peuples autochtones, mais des homologies pourraient bien apparaître si on se lançait dans un exercice comparatif qui n’est cependant pas l’objet du présent livre. Ici, l’anthropologue montre bien que ces traditions s’inscrivent dans une culture britannique qui remonte au XVIe siècle (sinon avant) et qu’a fort bien analysée l’historien Keith Thomas dans un ouvrage synthétique et détaillé, Man and the Natural World. Changing Attitudes in England (1500-1800), publié en 1983 et traduit en français sous le titre Les jardins de la nature, tout aussi remarquable que celui-ci. En fait, Vanessa Manceron prolonge un peu cette analyse et fait entrer ses lecteurs dans ce monde des naturalistes amateurs, véritables artisans d’une science participative. Elle décrypte surtout « leur régime d’attention du vivant » (p. 11) et les formes d’émerveillement qui les met en marche ainsi que leur sensibilité. On est très loin ici de cette crise de la sensibilité qui définirait la crise écologique, selon Baptiste Morizot (2020). Au contraire, le lecteur découvre une autre manière d’être moderne et naturaliste, de se relier au vivant, d’habiter un territoire en reconnaissant qu’il est peuplé d’une multitude d’êtres. En cela, ce livre nous fait entrer dans une …

Parties annexes