Dès les années 1990 paraissent une série de travaux philosophiques, sociologiques et politiques portant sur la reconnaissance. Parmi ceux-ci figurent les recherches d’Axel Honneth qui, depuis la parution en 1992 de La lutte pour la reconnaissance. Grammaire morale des conflits sociaux (Kampf um Anerkennung) jusqu’à plus récemment (Ce que social veut dire. Tome I : Le déchirement du social, 2013 ; Ce que social veut dire. Tome II : Les pathologies de la raison, 2015a), n’a cessé d’enrichir ses premières réflexions. Celles-ci trouvent leur origine dans une réinterprétation des écrits d’Iéna de Hegel (La philosophie de l’esprit de la Realphilosophie, 1982 [1805], et le Système de la vie éthique, 1992 [1802-1803]). Honneth montre comment Hegel, se livrant à une combinaison originale de motifs hobbesiens et fichtéens, met en évidence le caractère intersubjectif de l’identité humaine, et ébauche la distinction des différentes sphères à travers lesquelles la reconnaissance se développe graduellement, de même que l’idée du rôle productif joué dans l’histoire par la lutte morale. Le but de Honneth est d’esquisser une logique des conflits sociaux et de montrer que la lutte pour la reconnaissance constitue la force morale qui alimente le développement et le progrès de la société humaine. Son point de départ s’initie sur un constat : Honneth entend rompre avec les conceptions instrumentales et utilitaristes du conflit social où seuls priment les intérêts économiques afin de privilégier une grammaire morale des luttes sociales. En articulant philosophe sociale et sociologie comme outil d’un diagnostic du temps présent, le philosophe francfortois cherche à mettre en évidence le lien entre la naissance de certains mouvements sociaux (mouvements de révolte, de protestation et de résistance) et l’expérience morale du mépris. Pour ce faire, il s’appuie sur les écrits d’Iéna du jeune Hegel qu’il considère comme « des ébauches de théorisation du développement moral des sociétés (au sens de Mead ou de Durkheim) » (Honneth 2007a : 83). Ces écrits programmatiques et fragmentaires de Hegel inaugurent une nouvelle compréhension du concept de lutte sociale où celle-ci opère comme un mécanisme de socialisation « qui contraint les sujets à se reconnaître réciproquement en autrui » (ibid. : 40) et comme un facteur d’individualisation, favorisant le développement des capacités du moi. Ces écrits de Hegel manquent toutefois, selon Honneth, d’une assise « matérialiste ». C’est la raison pour laquelle le représentant de la troisième génération de l’École de Francfort reconstruit la thèse initiale de Hegel à la lumière d’une psychologie sociale à caractère empirique, celle de Georges Herbert Mead. Cette théorie a « pour but d’expliquer les processus de transformation sociale en fonction d’exigences normatives qui sont structurellement inscrites dans la relation de reconnaissance mutuelle » (ibid. : 114). Selon Honneth, Hegel et Mead interprètent la lutte sociale comme une force structurante dans le développement moral de la société. Il en résulte un concept de la personne envisagée en termes d’intersubjectivité, au sein duquel la possibilité d’une relation harmonieuse à soi-même dépend de trois formes de reconnaissance (amour/amitié, droit, solidarité). L’expérience successive de ces trois formes dans les « sociétés modernes » procure à la personne de la confiance en soi (relations primaires), du respect de soi (relations juridiques) et de l’estime de soi (communautés de valeurs). Elles lui permettent de se « comprendre pleinement comme un être à la fois autonome et individualisé, de s’identifier à ses fins et à ses désirs » (ibid. : 202). Avec ces trois modèles de reconnaissance coïncident autant de formes de mépris (sévices et violences ; privation de droits et exclusion ; …
Parties annexes
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