Essai bibliographiqueBibliographical EssayEnsayo bibliográfico

La fonction racinanteDe L’estoile B., F. Neiburg et L. Sigaud (dir.), 2005, Empires, Nations, and Natives. Anthropology and State-Making. Durham, Londres, Duke University Press.Franklin S., 2007, Dolly Mixtures. The Remaking of Genealogy. Durham, Londres, Duke University Press.Van Deusen K., 2004, Singing Story, Healing Drum. Shamans and Storytellers of Turkic Siberia. Montréal, Kingston, Londres, Ithaca, McGill-Queen’s University Press.[Notice]

  • Nicolas Adell

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  • Nicolas Adell
    Département de Sociologie et d’Ethnologie
    Université de Toulouse II – Le Mirail
    Laboratoire Interdisciplinaire, Solidarités, Sociétés, Territoires – LISST
    Centre d’Anthropologie Sociale – UMR 5193
    5, allée Antonio Machado
    31058 Toulouse Cedex 9
    France
    nicolasadell@yahoo.fr

Il est désormais bien établi que l’un des ressorts essentiels de notre modernité est formé par son intense capacité réflexive, et notamment par cette aptitude si singulière à se conférer de l’épaisseur grâce au temps en s’inventant des traditions (Hobsbawm 1992), en développant des passions généalogiques (Burguière 1997, Sagnes 1995), en ne se contentant pas simplement de mettre la mémoire en activité, mais en cherchant de façon systématique à la désigner en certains objets, certaines pratiques, certains espaces, qui constituent autant de « lieux » – pour reprendre l’idée de Pierre Nora (1997) – et aboutissent à la naissance du patrimoine (Poulot 2001) et au surgissement même de « folies patrimoniales » (Jeudy 1990). Ce phénomène me semble fournir le cadre commun de trois ouvrages récents dont les objets paraissent de prime abord tout à fait éloignés les uns des autres. Sarah Franklin (2007), de la London School of Economics, reprend le dossier du clonage à partir de l’expérience menée sur la brebis Dolly (Dolly Mixtures. The Remaking of Genealogy) et confronte la modernité avec ses propres avancées, mieux, avec ses propres conjectures quant à la perpétuation des espèces. À l’opposé de cette entrée par la technologie biomédicale avancée semble se situer le texte de Kira Van Deusen (2004), qui propose une anthropologie du conte chanté et du chamanisme en Sibérie méridionale dans les républiques de Tuva et de Khakassie (Singing Story, Healing Drum. Shamans and Storytellers of Turkic Siberia). Or, l’auteure s’applique à montrer précisément comment ces éléments culturels dits « traditionnels » sont réactivés par des institutions modernes et trouvent en elles l’espace d’un nouveau déploiement. Quant au troisième ouvrage, un collectif codirigé par Benoît de L’Estoile, Federico Neiburg et Lygia Sigaud (2005), il examine la modernité à l’oeuvre au sein du processus de fabrique des identités nationales et précise le rôle de l’anthropologie en tant qu’outil de résistance, mais également de légitimation (Empires, Nations, and Natives. Anthropology and State-Making). Ce cadre général qu’est la modernité est composé d’un certain nombre de motifs spécifiques qui le traversent et lui donnent forme, et que l’on retrouve en pointillés plus ou moins nets dans chacun des ouvrages ici présentés : la question des loisirs et de l’ennui, de la réflexivité générale, de l’individualisme, et du gouvernement de soi et des autres. Ces motifs, combinant l’ordre de la pensée, du discours et des actes, s’ordonnent et sont ordonnés selon un certain nombre de règles de disposition et de navigation qui permettent d’articuler entre eux les différents champs de l’expérience au sein desquels un même motif se retrouve, de penser ensemble les différents motifs, d’assurer la liaison entre les individus et des totalités supérieures – par le biais du local notamment (Thiesse 1997). Ces règles sont des fonctions au sens mathématique du terme. Elles font aller ensemble des séries distinctes de faits en établissant la logique qui les relie. Ces fonctions peuvent opérer à des niveaux divers et prendre ainsi en charge des faits plus ou moins nombreux. Certaines sont d’ordre très général. C’est par exemple le cas de la fonction symbolique (Lévi-Strauss 1999). D’autres se manifestent sur des plans plus précis de la vie sociale et trouvent à s’exprimer en des manières qui peuvent varier d’un individu à autre, d’une société à l’autre. C’est ce que l’on observe avec la fonction identitaire qui dépend étroitement des conceptions proprement culturelles de la personne en général, d’une part, et des situations et des contextes d’énonciation qui sollicitent l’activation d’une identité, voire des caractéristiques individuelles de chacun ou de l’histoire personnelle (ce qui rend la fonction identitaire si …

Parties annexes