PrésentationVers une anthropologie de l’altermondialisation[Notice]

  • Manon Boulianne

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  • Manon Boulianne
    Département d’anthropologie
    Centre de recherche sur les innovations sociales
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

Le néologisme altermondialisation s’est diffusé très rapidement au cours des trois dernières années dans les médias de masse et les milieux universitaires. Le terme est généralement associé aux forums sociaux mondiaux, continentaux, régionaux et locaux qui se multiplient depuis l’avènement du premier forum social mondial de Porto Alegre en janvier 2001. On le relie également au maillage et au développement de plates-formes de revendications ou d’actions communes ayant cours chez et entre des organisations communautaires de base, des ONG, des syndicats, des mouvements de femmes, des mouvements autochtones, des mouvements paysans, etc. Avec un préfixe comme « alter », l’altermondialisation a de quoi attirer l’attention des anthropologues, spécialistes de l’altérité. Mais de quelle, de quelles altérités s’agit-il? C’est ce que ce numéro d’Anthropologie et Sociétés propose d’explorer. Il contient cinq contributions issues d’ethnographies d’événements phares (forums sociaux et contre-sommets) ou de mouvements (féministe, commerce équitable, développement durable, Dalit) liés d’une manière ou d’une autre à la mouvance altermondialiste ; elles sont le fait de chercheures et chercheurs du Nord (Alain Bertho, Jean-Frédéric Lemay, Brigitte Beauzamy, Estelle Deléage et Eva-Maria Hardtmann). On y trouve également un essai (Abdou Salam Fall) qui présente une lecture venant du Sud. Ce déséquilibre entre contributions du Nord et du Sud est en quelque sorte, malheureusement, représentatif de leur place respective dans la mouvance altermondialiste ; les voix des groupes issus du colonialisme (Escobar 2004) y occupent encore une place subalterne, comme c’est aussi le cas pour les voix des femmes (Beauzamy dans ce numéro ; Lamoureux 2004). Le thème se termine sur un entretien avec un anthropologue pionnier de l’étude des mouvements sociaux en Amérique latine, Arturo Escobar. Dans leur acception la plus restreinte, les notions d’altermondialisation et d’altermondialisme désignent les mouvements sociaux dont il a été question plus haut. Elles renvoient en ce sens à des objets d’étude depuis longtemps privilégiés par les anthropologues, que ce soit dans le contexte du monde colonial ou postcolonial : les pratiques quotidiennes et les luttes organisées de résistance menées par des groupes ou des peuples dont le mode de vie est menacé parce qu’il est soumis à des forces militaires, économiques, politiques ou idéologiques contribuant à les désarticuler ou à les éliminer. Dans son acception la plus large et, dirions-nous, la plus anthropologique, l’altermondialisme véhicule l’idée qu’il est possible d’imaginer, de développer ou plus fondamentalement de préserver des manières de penser et d’agir, des visions du monde distinctes des ontologies hégémoniques à l’échelle de la planète. La mouvance altermondialiste aurait ainsi le potentiel de mettre à jour ou de faire découvrir des altérités qui sont parfois existantes, mais méconnues, et d’autres qui sont encore à inventer. En ce sens, ne rejoint-elle pas l’anthropologie dans son identité la plus fondamentale? Grâce aux technologies de la communication dont ils disposent de nos jours, les mouvements sociaux peuvent acquérir une dimension translocale ou transnationale sans précédent et mener à des alliances entre organisations et activistes situés à différents endroits sur la planète. Ces derniers profitent d’événements de grande envergure comme les forums sociaux ou les contre-sommets pour se rencontrer, se connaître, festoyer, tisser des liens de solidarité et expérimenter de nouvelles modalités de discussion et de prise de décision. En-dehors de ces moments clés, ils s’activent dans leurs localités, leurs régions, leurs pays respectifs, tout en créant ou en consolidant des réseaux qui s’entrecroisent. Ces nouvelles formes d’action collective présentent donc un intérêt certain pour une anthropologie des mouvements sociaux transnationaux, laquelle est toute récente, comme en témoigne la publication, en 2005, d’un premier ouvrage collectif sur le sujet (Nash 2005). Bien qu’elle prenne le contrepied de la globalisation en …

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