Comptes rendus

Gilles Bibeau, Le Québec transgénique. Science, marché, humanité. Montréal, Les Éditions du Boréal, 2004, 454 p., bibliogr.[Notice]

  • Jean-Claude Muller

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  • Jean-Claude Muller
    Département d’anthropologie
    Université de Montréal
    C.P. 6128, Succursale Centre-ville
    Montréal H3C 3J7
    Canada

Voici un volumineux travail, extrêmement instructif à plus d’un titre, mais qui n’est pas si facile d’accès. Il traite des développements récents de la génomique (étude de la fonction des gènes) et du protéome humain (protéines constituant le corps et qui interagissent avec les gènes). L’auteur crée un néologisme, la « génoprotéomique », englobant les deux domaines qui sont, de l’avis de tous les spécialistes, indissociables l’un de l’autre. Au départ, Gilles Bibeau avait simplement voulu étudier ethnographiquement le travail effectué dans un laboratoire de génoprotéomique, mais il s’est rapidement convaincu que ce lieu de travail n’était en rien un vase clos et qu’il fallait en délimiter les contours. L’ampleur de la recherche en ces domaines extrêmement pointus – que l’on réduit paresseusement en la qualifiant du terme banal mais bien connu, qui fait en plus très savant, de « génétique », surtout dans les journaux lorsqu’on annonce triomphalement la découverte du gène de ceci ou de cela – ne peut être exclusivement expliquée par le simple et légitime désir de connaître. Comme chez deux ethnologues clés qu’il cite, Margaret Lock et Paul Rabinow, le « terrain ethnographique » est ici composé de plusieurs groupes, ou mieux, de catégories d’acteurs, qui infléchissent presque toutes les décisions de la recherche et que j’appellerais le milieu plutôt que le terrain. Le milieu est, bien sûr, un terrain, mais géographiquement non défini et qu’il faut circonscrire au fur et à mesure que l’enquête avance. Gilles Bibeau s’est intéressé à ce milieu sous trois angles : le premier est la façon dont les chercheurs – ou plutôt les entrepreneurs – de la génoprotéomique se définissent et se montrent au public, leur façon d’obtenir des fonds et de présenter les succès de leurs recherches ; le second concerne la nature des liens tissés entre ces spécialistes et la bio-industrie, les compagnies de médicaments et la bio-informatique. Leurs liens internationaux sont aussi examinés. Le troisième volet touche aux relations politiques entre ces compagnies biotechno-logiques et les gouvernements québécois et canadien. Ce sont deux des instances les plus avides au monde d’attirer ce type d’entreprises à cause de leur effet d’entraînement (industries pharmaceutiques) ; ils recourent pour cela à des conditions fiscales particulièrement favorables. Ces recherches commanditées par des fonds privés – dont certains cotés en bourse – et soutenues par les deux paliers de gouvernement ont des répercussions sur la recherche universitaire qui privilégie naïvement les résultats de ces travaux dans les publications para-universitaires – au détriment de ce qui se fait en sciences humaines et sociales – et en établissant des partenariats avec ces firmes de biotechnologie, changeant ainsi les paramètres universitaires traditionnels de financement en fonction d’une promesse de rentabilité monétaire. Comme la génétique et ses sciences apparentées sont aujourd’hui un domaine très complexe, Gilles Bibeau nous y initie dans les deux premiers chapitres. Il résume l’histoire de la génétique depuis Mendel et ses petits pois jusqu’au séquençage du génome humain en passant par la double hélice de Crick et Watson et les théories de François Jacob et de Jacques Monod. C’est une bonne occasion d’entrer dans le sujet pour ceux qui n’y sont pas familiers, cela d’autant plus que l’auteur renvoie les termes techniques à un très utile glossaire. C’est aussi une bonne occasion pour les autres, les non-spécialistes qui savent ou qui, comme moi, croyaient savoir, de se rafraîchir la mémoire et d’apprendre qu’il ne faut surtout pas prendre un terme pour un autre, ce que le verbiage enthousiaste des succès annoncés avec fracas dans la grande presse nous cache soigneusement. Le chapitre trois se propose d’analyser le cas du Québec. C’est, …

Parties annexes