Comptes rendus

Françoise Morin et Roberto Santana (dir.), Lo transnacional. Instrumento y desafío para los pueblos indígenas. Quito, Ediciones Aya-Yala, 2002, réf.[Notice]

  • Marie France Labrecque

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  • Marie France Labrecque
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

De facture théorique plutôt modeste mais s’appuyant sur la riche expérience ethnographique des rédacteurs et de leurs collaborateurs auprès des peuples autochtones, ce livre s’attache à circonscrire ce qu’est le transnational et porte essentiellement sur le transnationalisme pratiqué par les peuples autochtones des Amériques. L’examen de leurs pratiques dans différentes situations montre qu’il s’agit d’un processus qui peut permettre la construction de nouvelles identités, et même, comme le disent les rédacteurs de l’ouvrage, de nouveaux territoires virtuels. Le trapèze amazonien, région où se rencontrent les frontières du Brésil, de la Colombie et du Pérou retient d’abord l’attention. Dans les deux premiers chapitres, Jean-Pierre Chaumeil et Jean-Pierre Goulard s’intéressent respectivement aux Yaguas et aux Ticuna qui sont répartis dans les trois pays. Pour les Yaguas, le fleuve Amazone constitue l’axe central de la cartographie sociale et du territoire imaginé. Un shamanisme fluvial viendra appuyer de façon efficace le développement de cet imaginaire dans le système régional et renforcer leur position par rapport aux sociétés voisines. Les Ticuna sont aussi confrontés à la construction d’une identité transfrontalière qui transcende leur appartenance à trois États nationaux différents. Cette construction est examinée sur les plans du religieux (les mouvements messianiques) et du politique (le factionnalisme au sein des fédérations). Bien que le religieux unisse et que le politique sépare, tous deux contribuent à l’expansion de l’espace social dans lequel s’élabore le projet ethnique plus global. Dans un troisième chapitre, Xavier Albo traite du projet de construction d’une nation ethnique aymara qui transcende les trois pays dans lesquels ils se répartissent, la Bolivie, le Pérou et le Chili. Même s’ils partagent des dénominateurs communs, comme la cosmovision, la langue et le territoire, les Aymaras doivent encore s’inventer des traditions qui leur permettraient justement d’imaginer leur communauté, dans le sens où Anderson en parle. Tout en examinant les efforts organisationnels sur les plan supra et transnational, l’auteur s’interroge aussi sur les conditions qui pourraient favoriser le développement d’une conscience de la nation aymara qui dépasserait les frontières. Une solution a sa faveur, qui consiste à transformer les États excluants actuels en un État plurinational et qu’en ce sens la globalisation pourrait favoriser ce processus. Stefano Varese et Françoise Lestage consacrent respectivement les chapitres quatre et cinq aux migrants indigènes de l’État mexicain d’Oaxaca. Tout en réfléchissant sur la notion de territorialité distante, Varese souligne l’apparent paradoxe de peuples indigènes expulsés de leur territoire par la faim (notamment vers la Californie), mais qui restent suffisamment attachés à ce territoire pour joindre leurs efforts à ceux qui, au Mexique, réclament droits, autonomie et souveraineté. Ainsi, les migrants indigènes portent le territoire en eux et sont tout autant des citoyens de leurs communautés, de leur pays d’origine que de leur pays d’accueil. L’auteur souligne le concept de citoyenneté multiple et propose la reconnaissance institutionnelle de ce type de citoyenneté par les deux États concernés. Françoise Lestage insiste sur l’importance de reconnaître la spécificité des migrants indigènes qui portent tous en eux l’expérience préalable de la discrimination raciale. Son examen des effets du transnationalisme sur la reproduction de la communauté indigène et sur les relations entre celle-ci et l’État national fait ressortir la complexité des identités. Si l’apport financier des migrants contribue à l’amélioration des conditions matérielles dans les localités d’origine, certaines parties de la culture sont plus favorisées que d’autres. Les valeurs américaines de consommation sont indéniablement véhiculées dans les communautés, et la langue subit des transformations dans la mesure où les enfants des migrants n’arrivent plus à s’exprimer dans la langue indigène. Cependant, à la faveur de luttes menées de concert avec d’autres migrants mexicains sur le territoire …