Comptes rendus

Bernard Formoso, Identités en regard. Destins chinois en milieu bouddhiste thaï. Paris, CNRS Éditions et Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, coll. Chemins de l’ethnologie, 2000, 288 p., cartes, photogr., gloss., bibliogr.[Notice]

  • Pierre Le Roux

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  • Pierre Le Roux
    Institut de recherche sur le Sud-Est Asiatique — IRSEA
    10 rue Guy Môquet
    50350 Donville-les-Bains
    France

Il manquait, en français, aux études sud-est asiatiques, une monographie de qualité portant sur des Chinois d’outre-mer et équivalant aux travaux d’ethnographie les plus fameux consacrés à tel groupe ethnique minoritaire ou aux grands espaces sociaux. La communauté chinoise constitue la première minorité culturelle et religieuse de Thaïlande. Comme le rappelle l’auteur, en 1974, bien que ne représentant que 8 à 15 % de la population, les « Chinois » de Thaïlande détenaient 90 % des investissements commerciaux et industriels du pays et 50 % des avoirs financiers et bancaires. L’auteur s’est attaché à l’étude d’une (relativement) petite communauté chinoise, dans deux bourgades de taille moyenne de la province de Khon Kaen, l’une étant un gros village (Thong Thani), l’autre un chef-lieu de district (Din Dam), c’est-à-dire une région où l’implantation chinoise n’est ni la plus ancienne ni la plus importante, en termes de densité des réseaux et de nombre d’individus. L’intérêt de cette monographie dépasse, sur le plan des études comparatives, la région étudiée par l’auteur, offrant un instrument « exportable » à d’autres régions de Thaïlande, voire au-delà. Les réseaux étudiés dans cet ouvrage sont de fait perçus comme part intégrante de multiples ensembles notamment celui des Hua-Ch’iao (en teochiu), c’est-à-dire les Chinois d’outre-mer que l’auteur évoque dans la deuxième partie. Formoso aborde son champ d’étude d’une manière ardue, car interdisciplinaire (ethnologie, histoire, géographie, linguistique, sociologie et économie), et dans une perspective diachronique, proposant in fine une véritable monographie dont le ton, la qualité d’écriture et la finesse d’étude sont si constants au long des chapitres que les critiques possibles sont rares. Dès le début du livre l’auteur aborde la question des ethnonymes, tant les exonymes que les autonymes ; définitions préalables indispensables. Il le fait d’une manière passionnante, et subtile, et propose surtout un excellent outil conceptuel. Après un tour d’horizon historique de la minorité chinoise de Thaïlande, en ses grandes lignes politiques et économiques, surtout dans la capitale, Formoso aborde la genèse des communautés étudiées de cette partie de la région Nord-Est, dont l’origine est liée à la construction du chemin de fer en pays Isan dès la fin du XIXe siècle ; celle-ci ayant attiré à l’époque une forte main-d’oeuvre chinoise. Son étude historique des alliances matrimoniales l’amène à suggérer l’intéressante hypothèse selon laquelle plus une population immigrée serait de taille réduite plus elle serait perméable aux influences socio-culturelles émanant de la société d’accueil. Soucieux de proposer explications globales et théoriques en équilibre avec des cas concrets, illustrant son propos et mettant de la chair sur le squelette esquissé, Formoso présente dans cette partie d’intéressantes biographies d’acteurs sociaux comme celle de Sawat (p. 67), ou de Thongyu (p. 70) voulant marier sa fille trop laide pour espérer un mari, mettant en relief, avec humour et pertinence, le rôle fondamental tenu par voyants, augures et dettes dans les sociétés thaïlandaise et sino-thaïlandaise. Il n’oublie pas d’analyser les associations chinoises caritatives, notamment la Po-Têk-Hsiang-T’üng, célèbre pour son rôle crucial en Thaïlande en ce qui concerne les accidentés de la route, le ramassage des cadavres, et le soin apporté à ceux demeurant anonymes. L’ouvrage de Formoso est difficile à résumer parce que, loin d’être linéaire mais très riche en données, il est parsemé de réflexions pertinentes, et pas seulement en conclusion. Ainsi l’auteur note (p. 72) que si les immigrés développent une stratégie identitaire, celle-ci vise plus à masquer les marques visibles de leur origine ethnique qu’à les afficher. S’ensuit une remarquable étude sur les patronymes procédant d’une « géomancie par le nom ». Les rapports entre Chinois proprement dits et métis sino-thaïs (considérés selon la typologie …