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Ce numéro fait la preuve qu’un vaste thème s’enrichit des angles les plus divers avec lesquels on l’aborde. J. Parmenter expose les stratégies politiques et diplomatiques de la Confédération iroquoise pendant une guerre du XVIIIe siècle opposant Français et Anglais. Les chefs iroquois ménagent les uns et les autres en raison des intérêts divergents, voire contradictoires, des diverses communautés locales de la Confédération. Et malgré quelques malentendus quant à leur neutralité pourtant réaffirmée, ils réussissent à limiter les interactions conflictuelles. L’article de S. Dussault illustre l’asymétrie des échanges culturels. Dans une analyse des Lettres des nouvelles missions du Canada (1843-1852), on voit le combat d’arrière-garde des traditionalistes ojibwas résistant à l’acculturation religieuse des missionnaires catholiques ou protestants. En vain les Ojibwas tentent-ils de limiter la désintégration de leur culture et de leurs communautés en perte de sens. L’analyse des actions d’individus les moins traditionalistes révèle a fortiori la même préséance occidentale. On la voit s’installer peu à peu parmi les Amérindiens du Québec dans le recours que font ceux-ci, de plus en plus fréquemment au XIXe siècle, aux tribunaux britanniques pour régler leurs litiges, même quand le lieu de la dispute se situe sur leurs propres territoires. Il n’y a pas ici de pressions de la part des autorités coloniales vers l’adoption des pratiques nouvelles (D. Delâge et É. Gilbert).

La rencontre des cultures s’aborde encore par l’étude d’un objet lui-même issu de l’interaction. C’est le cas du motif à double courbe ou, plus généralement, de toute ornementation à symétrie bilatérale, motifs baroques à souhait, qu’on retrouve entre autres dans les broderies autochtones et qui révèlent une prédisposition à la rencontre de l’Autre, comme l’avance M. Moussette dans une discussion érudite. Mais on ne trouvera peut-être rien de mieux que la réalité métisse pour étudier la rencontre entre deux mondes culturels, ou trois. Les Métis sont habituellement ces enfants issus de mères indiennes et de pères français. À travers les destins contrastés des soeurs Bailly (région ouest des Grands Lacs au milieu du XIXe siècle), S. Sleeper-Smith montre toute la complexité de la réalité métisse et, plus largement, de tout métissage culturel. La première fille, Rose, est devenue veuve peu après son mariage avec un spéculateur immobilier de Chicago. Bien que s’identifiant à la culture américaine – reniant tout de son héritage indien –, elle est ostracisée par les autres membres de la communauté non autochtone. Sa soeur cadette, Eleonor, choisit plutôt d’entrer au couvent des soeurs de la Providence en Indiana où elle est identifiée comme Indienne par la Mère supérieure, notamment pour des raisons financières — la levée de fonds étant jugée plus efficace avec une Soeur d’origine odawaise. En sorte que la soeur cloîtrée est ironiquement celle des deux dont la vie est la plus sociable et la plus valorisante.

Enfin la rationalité qui joue derrière le choix d’un emprunt culturel n’est pas toujours celle que l’on pense. Sous le régime français, les Indiens qui adoptent les armes à feu le font moins pour des raisons d’efficacité technique immédiate – certains manquent d’ailleurs souvent de munitions – que pour des intentions d’efficacité plus large, sociale et spirituelle, comme pour augmenter son prestige ou s’assurer l’appui des esprits (M. Fournier). Dans le même ordre d’idées, et bien que l’article soit en sus de la série thématique, M. Hébert montre que si les Tlapanèques du Mexique optent pour la culture commerciale du café et adoptent en quelque sorte le marché, ils n’en délaissent pas pour autant leur logique de subsistance et de totalisation magico-religieuse des champs d’activités de la vie sociale.

En somme, ce numéro est à lire pour les avenues multiples éclairant les divers aspects de la rencontre des cultures. Son seul bémol, peut-être, est que les traductions, quoique correctes, rendent néanmoins la lecture des textes de Parmenter et Sleeper-Smith plus difficile.