Comptes rendus

Transcultural Psychiatry, « Rethinking Trauma », vol. 37, no 3, septembre 2000, 175 p.[Notice]

  • Didier Fassin

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  • Didier Fassin
    Centre de recherche sur les enjeux contemporains en santé publique — CRESP
    Université Paris-Nord - Léonard de Vinci
    74 rue Marcel Cachin
    93017 Bobigny Cedex
    France

Prolongeant un Symposium au Douglas Hospital Research Center en novembre 1998 et un séminaire de l’Advanced Summer Study Institute à l’Université McGill en mai 1999, ce numéro spécial de la revue Transcultural Psychiatry réunit neuf articles et une recension de six ouvrages sur le traumatisme psychique. Au-delà de ce thème évidemment commun à l’ensemble des auteurs, la cohérence générale du propos est assurée par le choix partagé d’une « perspective critique sur la “trauma”-tisation croissante de la violence collective », comme l’écrivent Christina Zarowsky et Duncan Pedersen, qui introduisent le dossier (p. 291). Loin de prendre pour un fait acquis la généralisation du recours à la catégorie noso-graphique de stress post-traumatique (PTSD du DSM-IV), les participants à ce numéro en montrent au contraire la dimension historiquement et culturellement construite et même, dans la voie tracée par le travail fondateur d’Allan Young, les enjeux économiques et politiques. La contribution de José Brunner revient sur le moment initial de cette histoire du traumatisme, c’est-à-dire lors la Première Guerre mondiale, avec la découverte des « névroses de guerre ». La compréhension de celles-ci s’inscrivait alors dans une tension, manifeste dans les congrès de psychiatrie et de médecine militaires, entre les tenants d’une théorie neurogène, défendue par un Hermann Oppenheim pour qui le choc, avant tout physique, entraînait des lésions cérébrales s’exprimant dans les symptômes présentés, et les promoteurs d’un modèle psychogène, avancé par Max Nonne selon qui les troubles des soldats au retour du front manifestaient un désir plus ou moins inconscient d’échapper au combat. La victoire de la seconde théorie tient largement à ce qu’en faisant de la névrose une pathologie provoquée par le désir inconscient de fuir le danger, elle permettait à l’armée de les considérer, fût-ce à leur insu, non comme des victimes de guerre, mais comme des névrosés aspirant à percevoir une pension militaire. L’intervention de Freud dans ce débat, postérieure à l’armistice, n’est toutefois pas dénuée d’ambiguïté puisque si, dans le Mémorandum de 1920, il insiste sur le fait même de la conscription comme élément traumatique, il revient à une lecture beaucoup plus mécanique dans Au-delà du principe de plaisir, la même année, en réduisant la névrose de guerre à la conséquence d’une réaction d’effroi faisant céder la barrière de défense psychique contre les stimuli. Les cinq articles suivants peuvent être lus comme une série d’études de cas, aussi diverses dans leur contexte historique que dans les approches qui en rendent compte. Henry Abramson commente les sermons du rabbin Kalonimus Kalmish Shapiro, prononcés dans le ghetto de Varsovie et découverts après sa mort dans les ruines de la ville. Loin de se situer dans la perspective psychologique qu’annonce Abramson, le religieux s’adonne au contraire à un exercice théologique et moral d’interprétation du mal qui frappe sa communauté. On peut alors se demander jusqu’à quel point cette traduction dans le langage du traumatisme ne constitue pas une trahison non seulement théorique, mais également éthique, de l’intention du chef de la communauté hasidim de Varsovie. Deogratias Bagilishya livre, sous la forme d’un témoignage personnel, l’expérience du génocide de 1994 au Rwanda. Revenu au pays un an après les événements, il y apprend de la bouche d’un ami de son fils la mort de ce dernier assassiné sous ses yeux. Si les mots peinent à rendre compte de la violence de la souffrance qu’il éprouve à ce moment-là, ce sont les proverbes, l’un prononcé par sa mère, l’autre par lui-même, qui vont lui permettre de la formuler. Il s’attache alors à montrer comment les ressources « traditionnelles » que sont ces proverbes, ou encore les contes, servent à dire le …