Comptes rendus

Maurice Duval, Un ethnologue au Mandarom. Enquête à l’intérieur d’une « secte ». Paris, Presses Universitaires de France, Coll. Ethnologies, 222 p., bibliogr.[Notice]

  • Raymond Massé

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  • Raymond Massé
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

L’une des caractéristiques des travaux anthropologiques est de porter sur des sujets d’étude (groupes ethniques minoritaires, vulnérables, précaires au plan de la survie économique ou culturelle, opprimés) qui sont automatiquement sympatiques aux yeux de l’ethnologue chercheur comme aux yeux de ses collègues. L’énergie dépensée est alors mise au service d’une description minutieuse de la culture et des pratiques sociales de ces sujets d’étude ou encore d’une défense engagée de leurs droits. L’ouvrage que nous offre Maurice Duval s’inscrit pourtant dans un tout autre registre, celui de la défense du droit de faire l’ethnographie d’une communauté sociale fortement stigmatisée, telle la « secte » du Mandarom, souvent qualifiée de dangereuse par les médias français, et ce, dans le respect de la communauté religieuse à l’étude et du chercheur qui s’y aventure. Tout en présentant une analyse ethnologique classique d’une « secte » religieuse, cet ouvrage est donc aussi porteur de questionnements fondamentaux sur l’éthique de la recherche et sur l’intolérance affichée par la communauté scientifique (et la population générale) face à certains objets d’étude. Soulignons d’abord l’intérêt ethnologique de l’ouvrage. Un séjour prolongé dans la petite communauté permanente (douze membres) de la « Cité sainte de Mandarom », située dans les Hautes-Alpes françaises et des entretiens en profondeur réalisés auprès de fidèles qui vivent à l’extérieur de la communauté ont permis à l’auteur de présenter avec force détails l’organisation physique des lieux et la vie quotidienne des résidents permanents (les moines et moniales) et des « chevaliers » (sympatisants vivant « dans le monde »). Sont alors présentées au second chapitre les règles alimentaires, les prières et les implications des divers renoncements « extérieurs » liés à la sexualité, au vécu des affects, au silence ou au confort, ce renoncement aux choses concrètes de la vie étant perçu comme la vie obligée du renoncement « intérieur », le plus difficile, soit le renoncement à soi et la mise entre parenthèses de l’ego. Le troisième chapitre présente un portrait du Messie lui-même, mais surtout celui de 22 adeptes de la « secte ». La richesse du matériel contenu dans ces portraits demeure malheureusement peu exploitée. L’analyse sociologique des aumistes (membres de la secte) présentée au chapitre 4 ne comble que très partiellement cette lacune, puisqu’elle repose plutôt sur une analyse quantitative de certaines caractéristiques sociodémographiques collectées à partir des réponses à un questionnaire que l’auteur a remis à 108 « chevaliers » et 13 résidents de la cité sainte. Le dernier chapitre se consacre à l’analyse du système de croyances proposé par le gourou de la secte, Seigneur Hamsah Manarah, alias Gilbert Bourdin, qui se présente comme l’une des incarnations de Dieu aux côtés de Moïse ou de Mahomet et s’auto-proclame Messie Cosmo-Planétaire. D’inspiration hindouiste, mais intégrant divers éléments chrétiens, cette « secte », qui répondrait plutôt d’après l’auteur aux critères définitionnels des Églises proposés par Weber, présente une richesse de croyances associées aux mythes de création, aux temps cycliques, au Paradis, au karma, aux sacrements, ainsi qu’au rôle des Lémuriens, peuple des étoiles composé de scientifiques extra-terrestres venant de la Lémurie qui anéantit toutes les âmes endormies et passa au laser scientifique les Sages de l’Hyperborée (p. 185). Bref, on est ici face à un ouvrage ethnologique minutieusement construit à partir de méthodes classiques de collecte de données sur le terrain. En réalisant cette recherche dans le contexte d’une campagne publique agressive contre la secte Mandarom, l’auteur a fait l’objet de pressions de la part de collègues et de membres de son entourage. Certains craignaient pour sa sécurité et son équilibre psychologique, mais à cause du climat de suspicion, l’auteur fut …