PrésentationPolitiques jeux d’espaces[Notice]

  • Mariella Pandolfi et
  • Marc Abélès

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  • Mariella Pandolfi
    Département d’anthropologie
    Université de Montréal
    CP 6128, succursale Centre-ville
    Montréal (Québec) H3C 3J7
    Canada

  • Marc Abélès
    Laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales – LAIOS
    Maison des sciences de l’homme
    54 boulevard Raspail
    Paris
    France

Le monde de ce début de siècle n’est plus le même que celui qui a donné naissance à l’anthropologie. Celle-ci ne peut plus ignorer les effets de la mondialisation, les processus de délocalisation, tout un ensemble de réalités historiques qui transforment en profondeur les individus et les sociétés qui avaient coutume d’intéresser les anthropologues. L’anthropologie qui a eu tendance à privilégier un certain statisme des identités, en privilégiant la référence aux aires culturelles, doit se confronter à cette situation entièrement nouvelle. C’est pourquoi ce numéro vise à rendre compte d’expériences nouvelles, qui ne s’inscrivent plus dans le cadre des souverainetés nationales. L’un des aspects les plus significatifs de la mutation planétaire contemporaine, c’est l’émergence de nouveaux espaces politiques, et l’apparition de dispositifs politiques qui ne s’inscrivent plus dans la limite des États-nations. La construction européenne a marqué à cet égard un tournant spectaculaire. Longtemps considérée comme une utopie, un projet dont l’échéance était indéfiniment reportée, l’Europe devient aujourd’hui une réalité incontournable. C’est autour d’enjeux principalement économiques que s’est mise en place la communauté. Aussi a-t-on pu croire que l’Europe était condamnée à n’être à terme qu’un grand marché dont les institutions étaient vouées à une fonction essentiellement normative. Or, on constate aujourd’hui que le déploiement de ce pouvoir normatif, la capacité qu’a l’Union Européenne d’édicter des directives dans tous les domaines, donne à ce puzzle institutionnel une puissance incomparable. La plus grande partie des législations nationales sont assujetties aux normes issues de Bruxelles. Mieux : les pratiques politiques connaissent une mutation radicale. En effet, faire la politique à l’heure européenne, c’est se placer sous le régime de l’expertise, de la négociation et du compromis. C’en est fini de la conflictualité traditionnelle des « forces politiques » animées par des idéologies adverses. Les nouvelles générations se meuvent dans un autre espace politique que celui qu’ont connu leurs prédécesseurs. Pour les anthropologues qui ont de longue date appris à ne pas se cantonner dans l’étroit carcan de l’État-nation, puisque l’un des principaux acquis de cette discipline a été de nous révéler l’existence d’autres formes politiques, l’Europe mérite une attention privilégiée. Car, à la différence des approches classiques de science politique, l’anthropologie est sans doute la mieux à même de mettre en lumière ce qui se joue actuellement dans la recomposition des espaces politiques. Nous vivons un tournant qui ne peut s’analyser en des termes seulement historiques, ou à l’aune d’une conceptualité ethnocentrique, tout entière arrimée à la figure de l’État-nation. Car la construction européenne, la question de son élargissement, s’inscrivent dans un mouvement plus large qui voit l’émergence de nouveaux lieux politiques se faire jour dans le contexte de la mondialisation. Les conflits récents des Balkans ont mis en évidence l’impact de tout un réseau complexe de forces militaires, d’organisations non gouvernementales (ONG), de fondations privées, c’est-à-dire les diverses agences des Nations Unies, le Fonds Monétaire International, le Conseil de l’Europe, la Banque Mondiale, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, etc. qui, dans certains territoires, détiennent un contrôle stratégique sur la société civile et sur les institutions locales. Les organisations transnationales sont donc devenues des protagonistes qui nous obligent à mettre en place un dispositif interprétatif beaucoup plus complexe. Autrement dit, cette migration du politique vers de nouveaux lieux se traduit par une modification profonde des représentations du pouvoir et de ses enjeux. L’émergence de ce que nous appelons « souverainetés mouvantes » a lieu dans un contexte où l’on assiste a un véritable redéploiement des identités, avec en contrepoint une réinterrogation des frontières. Des domaines aussi différents que la mise en oeuvre de la « citoyenneté européenne », …

Parties annexes