Comptes rendus

Xavier Garnier, La magie dans le roman africain. Presses Universitaires de France, Collection Écritures francophones, 1999, x + 163 p., réf., index.[Notice]

  • Sophie Blanchy

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  • Sophie Blanchy
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    France

En examinant la manière dont les auteurs africains traitent de la magie pour construire leurs récits et donner du sens à leur œuvre littéraire, Garnier développe par étapes systématiques une vaste réflexion sur le réel et le rationnel. Pour ce faire, il croise les approches de la critique littéraire, appliquée à une trentaine de romanciers africains, et de l’ethnologie dont il sollicite de nombreux auteurs. La caractéristique du roman en tant que fiction écrite, c’est qu’il livre son sens en même temps que le récit, à l’intérieur du texte, tandis que le sens des récits oraux recueillis par les ethnologues se trouve dans la société qui le produit. Le monde fictionnel ne reflète pas le monde vécu, il le questionne : c’est une façon de « penser le monde ». Ainsi, Garnier situe la magie dans le roman : « Entre le récit, le monde visible et le monde invisible, s’engage une partie serrée dont l’enjeu est le statut de la réalité » (p. 5). Les romans sont répartis, aux fins d’analyse, selon la position de leurs auteurs vis-à-vis des faits livrés dans le récit. Les romans réalistes irrationnels offrent à leurs lecteurs africains des copies exactes d’une vie quotidienne encerclée par le surnaturel. Ils reprennent un discours de vérité sur le monde dont le narrateur se fait totalement complice, celui de la pensée magico-religieuse. Ni rationnelle, ni réflexive, ni spéculative, c’est une pensée concrète, indissociable du réel, mais d’un réel élargi au monde invisible dans lequel se trouvent les causes des événements visibles. La seule alternative possible à cette pensée unique est le chaos, l’anomie qui survient dans les romans avec l’intervention des missionnaires et du vocabulaire de la croyance, qui suppose le vrai et le faux. Le roman positiviste met en question l’existence même du monde invisible. Face à une pensée irrationnelle qui voit dans les rites et les sacrifices la preuve de l’existence des ancêtres puisque c’est d’eux seuls qu’ils prennent leur sens, le roman positiviste apporte la preuve inverse par l’inefficacité du rite. Evans-Prichard avait déjà noté que l’épreuve des faits n’est pas applicable à la magie qui, contrairement aux théories universelles, est indissociable des circonstances singulières (p. 42). Provoquant un décrochage du récit, l’auteur positiviste in-troduit par un coup de force les notions de croyance et de connaissance et les confond en jugeant « fausse » la croyance dans l’efficacité de la magie. Garnier qualifie de romans spiritualistes un troisième groupe de récits où affleure l’idée de progrès de l’homme par son travail. Ces récits introduisent la notion de destin qui permet, après coup, la constitution de sens. La magie est alors « une pratique consistant à agir sur les signes pour tenter de ‘‘rectifier la destinée’’ » (p. 50), souvent par le sacrifice, action physique sur l’invisible. Loin d’être une fatalité, le destin est ici parallèle à l’ordre du monde. La magie se caractérise par son statut d’immanence et ses forces impersonnelles, à l’opposé des formes personnelles et transcendantes du pôle religieux. Les romans de magie superposent au monde invisible réel « une dimension spirituelle des choses » où opèrent les jeteurs de sorts, doués de double vue. Garnier souligne le caractère essentiel de cette véritable quatrième dimension de l’espace. Neutre, la force magique est actionnée par les magiciens pour de bons ou de mauvais desseins ; elle peut mobiliser les figures du monde invisible ; elle fonctionne selon des lois mécaniques de sympathie. La sorcellerie, présentée comme l’envers des représentations, comme un monde « absolument rebelle », se distingue de la magie noire en ce qu’elle est inacceptable. Pouvoir intérieur à la personne …