La famille moderne au passé ou le présent de l’altéritéEssai Bibliographique[Notice]

  • Éric Gagnon

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  • Éric Gagnon
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La famille est-elle une catégorie anthropologique ou sociologique per-tinente? Il est devenu coutumier de se poser pareille question à propos de ce qui nous semble le plus familier. Tout est aujourd’hui « construction sociale » dont on peut dater l’« invention », au point qu’écrire en sciences sociales devient parfois compliqué ou périlleux. La difficulté est moins désormais de jeter un soupçon sur nos catégories, que d’en retrouver l’usage. On se méfie ainsi beaucoup de toute définition de la famille de peur d’ériger en norme ou en référence une conception trop particulière de la famille, celle de l’Occident moderne. Cependant la distance avec ce modèle devient peut-être plus facile à prendre, maintenant qu’il se défait et que l’Occident s’en déprend. Il a moins de chance de demeurer une référence scientifique quand il n’est plus un modèle dans le reste de notre existence. Mais cette famille moderne, en a-t-on bien saisi l’originalité ou les caractéristiques essentielles? C’est l’ambition du livre de Daniel Dagenais — La fin de la famille moderne (2000) — de caractériser ce modèle de famille, en renouant en partie avec des interprétations anciennes, s’écartant d’approches plus récentes pour proposer une nouvelle vue d’ensemble. Une nouvelle concep-tualisation de la famille n’aurait peut être pas retenu notre attention si elle ne nous avait mis face à la question de l’altérité, de la permanence de soi et de la reconnaissance de l’autre, comme le fait celle-ci; question qui n’est d’ailleurs pas étrangère à la relativité de nos catégories d’analyse. Pour Daniel Dagenais, ce qui caractérise la famille moderne tient dans la formule « fonder une famille », et en cela, elle fut une innovation radicale. Fondée sur l’amour des conjoints, elle ne vise plus sa propre reproduction, mais se réalise en amenant les enfants à rompre avec elle. Trois dimensions la carac-térisent, dont Dagenais s’efforce de montrer la solidarité autour de l’opposition entre le privé et le public : 1) Le projet éducatif : les parents sont associés dans la tâche d’éduquer les enfants pour en faire des êtres autonomes capables de voler de leurs propres ailes; 2) la relation conjugale et la distinction des genres; 3) l’ap-profondissement de la subjectivité dans l’amour, et la sexualité particulièrement. Montage symbolique original, la famille moderne a reposé sur ce qu’on pourrait appeler l’idéalisme de la modernité : l’universalisation de l’identité individuelle et la subjectivation de son rapport au monde. Bien davantage que ses velléités d’autonomie, ce qui caractérise le sujet moderne c’est de se voir sem-blable à tous les autres avec lesquels il s’associe pour construire le monde, en même temps qu’il a une manière toujours singulière d’habiter le monde. L’orga-nisation du monde comme la conscience du sujet connaissent un dédoublement entre la vie publique et la vie privée. Dans la vie publique, l’individu est un homme en général, c’est le monde de la production et du travail où il a des relations impersonnelles ; la vie privée est l’espace des relations particulières où il est davantage reconnu dans sa singularité, notamment par la relation amoureuse. Cela conduit à la transformation de la vie familiale en une vie privée, intime et personnelle, un home comme disent les Anglais, où l’individu peut se retirer pour échapper à l’individualisme abstrait des rapports publics. La maisonnée n’est pas une propriété à exploiter, mais un cadre de vie. C’est ce que Taylor a appelé « the sanctification of ordinary life » (cité p. 78). La distinction entre le privé et le public n’est pas une invention des modernes, précise Dagenais, mais sa signification est rigidifiée, elle prend un caractère tranché, opposant les deux domaines. Le lien conjugal …

Parties annexes