Recherche-création

Tenir parole : le pari performatif de Non Finito[Notice]

  • Anne-Marie Guilmaine

Linéaire à sa façon, comme peut l’être un labyrinthe ou un jeu de serpents et échelles, Non Finito s’offre dans un écrin conceptuel rêvé à deux têtes, l’une à l’extérieur du cadre scénique, comme metteure en scène, l’autre à l’intérieur, comme performeuse et sujet principal du spectacle. Claudine Robillard a non seulement utilisé sa biographie comme matière première de cette écriture du réel, mais s’est aussi livrée à une expérimentation artistique à laquelle se sont jointes une équipe de création ainsi que des personnes sans expérience de la scène que nous appelons « témoins » et qui partagent avec elle le plateau. Non Finito se présente comme l’extension in actu de ce processus de quête de soi et d’enquête auprès des autres. Le texte qui suit tentera de dégager les modalités d’apparition de la présence brute en scène dans Non Finito. Se repère-t-elle d’abord par une transparence de la parole autobiographique de Claudine et des témoins? Ou plus encore par un réel passage à l’acte de leur part, performé plutôt que représenté? De quelle manière cette présence brute reflète-t-elle un parti pris en faveur de l’inachèvement, concept philosophique qui constitue non seulement le thème nodal de Non Finito, mais qui imprègne l’ensemble des choix formels du spectacle, en devient le modus operandi performatif? Quelle posture, quelles implications éthiques, voire politiques, cette célébration de l’inachevé entraîne-t-elle? Le choix d’une présence brute en scène en appelle peut-être à un affaiblissement volontaire des structures fortes, rigides, imposées : d’abord celles qui organisent habituellement le théâtre – tant dans ses constituantes formelles que dans son mode de production souvent hiérarchique –, mais aussi, par ricochet, celles qui régissent nos constructions identitaires et nos modes d’existence en société. Alors que l’Histoire, les médias et la politique dépeignent notre monde en faisant le récit des victorieux, le théâtre ne peut-il pas honorer une « ontologie de l’affaiblissement » à penser comme une « chance d’une position nouvelle de l’homme à l’égard de l’être » (Vattimo, cité dans Mével, 2015 : 52)? Tout est décevant dans les premières minutes de Non Finito : la petitesse de la salle enveloppée de rideaux noirs, les gradins qui agglutinent les spectateurs, l’étroitesse de l’espace de jeu qui empêche d’espérer de grands mouvements, la pauvreté du dispositif mis à vue (écran de projection, tabouret, ordinateur portatif). La présence brute en scène, pour l’instant, c’est celle des spectateurs, depuis leur entrée par l’entrepôt de l’arrière-scène jusque dans leur disposition bancale imprimant dans leur corps une posture approximative, inconfortable, humble. Claudine s’avance dans la lumière et regarde ces gens qui la regardent. Ce soir, leur coprésence ne sera pas niée. Elle entame la présentation d’un diaporama atypique, exposant un à un les projets avortés qui constituent son anti-curriculum vitae. De la petite enfance à la mi-trentaine, toutes les époques passent par le filtre de sa propension à l’inachèvement. Chaque photo personnelle s’offre comme preuve à conviction d’une vie à ébaucher des projets qui ne voient jamais le jour, que ce soit par manque de temps, d’argent ou d’audace. Une existence dont on peut deviner les joies – rencontres, voyages, enfantements –, mais qui demeure tiraillée en creux par une carence, celle d’être allée au bout de quelque chose de viscéral qui aurait le mérite de faire une différence aussi minime soit-elle : signer une oeuvre artistique, devenir sujet créateur. Sophie Calle – dont le sublime livre Douleur exquise a inspiré la composition de Non Finito – paraphrase Descartes en affirmant que « le quelconque est la chose du monde le mieux partagée, et que c’est là, la blessure » (Calle, citée …

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