Recherche-création

Nous ne mentirons plus…[Notice]

  • Katya Montaignac

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  • Katya Montaignac
    Université du Québec à Montréal

L’effet que produit la présence scénique d’un enfant est fulgurant. Fraîcheur, maladresse, inexpérience, fragilité : le corps de l’enfant paraît ainsi plus humain, plus naturel, et donc plus touchant. Sa spontanéité et l’authenticité de sa présence scénique déclenchent directement l’empathie du public. Toutefois, au-delà d’une émotivité teintée de nostalgie, qu’est-ce qui se joue de résolument troublant dans la mise en scène de ce corps non expert? Dans les pièces Enfant (2011) de Boris Charmatz et Gala (2015) de Jérôme Bel, les codes de la représentation vacillent par l’insertion d’enfants aux côtés d’adultes. En s’inscrivant sur scène sans ostentation, sans projection c’est-à-dire en ne cherchant pas à amplifier son exposition par le biais d’une technique de jeu théâtral quelconque , l’enfant assume une posture singulière : une présence à l’état brut. L’intégration d’enfants dans la distribution d’un ballet tel que Casse-Noisette provoque au même titre une friction stimulante entre le cadre de la fiction et la réalité. Alors qu’à la création de Marius Petipa en 1892, le public s’est montré indigné par l’incursion des enfants qui retardait l’apparition de la ballerine au second acte, c’est précisément la présence de ces interprètes non professionnels qui rend de nos jours ce ballet si populaire. Telle la présence inopportune d’un animal déboulant sur le plateau (Febvre, 1993 : 31), l’imprévisibilité du jeu de l’enfant implique d’emblée un risque scénique qui captive – et séduit – instantanément l’attention du public. C’est le cas également des spectacles du Groupe Grenade dirigé par Josette Baïz en France qui, depuis vingt-cinq ans, crée des pièces exclusivement portées par des enfants. L’imperfection de leur interprétation attise d’autant plus la curiosité – et l’émotivité – du public. L’indécidabilité inhérente au comportement de l’enfant provoque sur scène une irruption du vivant qui avale toute idée de représentation. Gaïa et Fiona, respectivement âgées de 8 et 11 ans, ont été les interprètes du spectacle Spoon de Nicolas Cantin. D’emblée, leur présence scénique bouleverse les codes de la représentation par le biais d’une « dramaturgie du vivant » et d’une « esthétique de la faille » qui, ensemble, tissent une (ré)écriture du réel. L’écriture même du spectacle – à travers l’organisation de différents paradigmes d’improvisation – présente une réactivation du réel autant qu’une mise en jeu de la réalité elle-même, ne serait-ce que parce que l’interprète a conscience d’être sur scène, en représentation. Le présent texte fait suite à une correspondance que j’ai entamée avec Nicolas Cantin en 2013 autour du processus de création de Cheese et poursuit une réflexion développée dans ma recherche de doctorat sur les différents « états de présence » du danseur contemporain dans les oeuvres performatives (Montaignac, 2016). Au-delà de l’identité théâtrale du personnage et de la performativité de l’action, de plus en plus de chorégraphes assument une forme de degré zéro de la présence grâce à un subtil travail de conscience du corps (Meg Stuart, Benoît Lachambre, Xavier Le Roy, Laurent Pichaud, Jean-Sébastien Lourdais, Manuel Roque, etc.). Loin du mythe de l’authenticité, cette transparence de la présence s’avère, paradoxalement, plus spectaculaire lorsqu’elle incarne et dégage une certaine fragilité. Mettre en scène l’enfant représentait ainsi pour Nicolas Cantin et moi-même un double défi artistique : il s’agissait de ne pas instrumentaliser l’enfant – est-ce possible ou faut-il au contraire l’assumer? – ni de poétiser sa présence par le culte (inconscient) de l’innocence perdue. Comment (et peut-on?) éviter l’angélisme quand on met en scène un enfant? Créer un dispositif de jeu nous a permis à la fois d’établir un climat de confiance tout en évitant la mécanisation de la répétition. Le travail artistique de Nicolas Cantin a …

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