Notes de lecture

Marie-Thérèse Lefebvre (dir.), Chroniques des arts de la scène à Montréal durant l’entre-deux-guerres : danse, théâtre, musique, Québec, Septentrion, « Cahiers des Amériques », 2016, 323 p.[Notice]

  • Karine Cellard

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  • Karine Cellard
    Cégep de l’Outaouais

La publication d’un livre sur la critique culturelle québécoise de la première moitié du XXe siècle constitue en soi un événement. Or, le groupe de recherche sur les arts de la scène dirigé par la musicologue Marie-Thérèse Lefebvre (Université de Montréal) nous en offre deux : celui-ci, qui s’intéresse aux chroniques journalistiques de l’entre-deux-guerres, et un prochain qui analysera la décennie 1940, où l’émergence de revues spécialisées complexifie la teneur du discours critique. Ce groupe de recherche en histoire culturelle innove à la fois en analysant les chroniques de quotidiens des deux communautés linguistiques montréalaises (Le Canada, Le Devoir, La Patrie et La Presse, mais aussi The Gazette et The Montreal Star) et en posant un regard pluridisciplinaire sur diverses formes de performances scéniques (danse, théâtre, musique). Il s’agit donc de redonner vie à quelques événements marquants de l’entre-deux-guerres et de retracer la manière dont ses principaux chroniqueurs ont traité les enjeux culturels au quotidien, en cette période fascinante où la modernité s’insinue dans toutes les pratiques en suscitant son lot de résistance et d’aménagements, notamment en ce qui a trait à la religion et à la tradition. Intitulée « Des quotidiens à géométrie variable », la première section de l’ouvrage est conçue comme un état des lieux et rassemble des données dont la pertinence ne saurait être mise en doute : informations générales quant à la direction, à la rédaction ou au tirage des quotidiens dépouillés, chronologie et évolution de leurs chroniques culturelles, formation des principaux critiques, thématiques récurrentes, etc. Juxtaposées et signées par différents collaborateurs de l’équipe, les présentations des quatre journaux francophones manquent toutefois de l’esprit de synthèse qui caractérise la section dévolue aux deux quotidiens anglophones, positionnés l’un par rapport à l’autre en fonction de leurs partis pris idéologiques et esthétiques. Un tel regard surplombant posé sur la dynamique des journaux francophones de l’entre-deux-guerres aurait permis de transcender la logique des parcours individuels pour mettre en lumière des enjeux qui restent ici dans l’angle mort de ce portrait d’ensemble (stabilité des chroniqueurs culturels du Devoir contrairement à ceux de la presse libérale qui circulent d’un quotidien à l’autre; attractivité des pages culturelles du Canada de la première moitié des années 1930, particulièrement ouvertes à la modernité; restructuration majeure du milieu de la presse de la fin de la décennie 1930, etc.). Le lecteur peut ensuite parcourir une anthologie de chroniques métacritiques de l’époque, présentée par Dominique Garand qui met en relief les principaux enjeux de ce discours réflexif. Grâce à leur sagacité ou à leur clairvoyance sur les conditions d’exercice de la critique s’imposent les voix de quelques chroniqueurs méconnus des milieux francophones (Samuel Morgan-Powell et Thomas Archer), tout comme celles de plumes plus consacrées (Léo-Pol Morin, Henri Letondal ou Frédéric Pelletier). Encore une fois, l’ordonnancement des textes – un classement alphabétique par nom d’auteur – privilégie une logique monographique sans doute moins féconde qu’aurait pu l’être l’ordre chronologique, qui aurait favorisé le regard comparatiste entre les disciplines et les communautés linguistiques au fil de la transformation des enjeux et des sensibilités. La seconde partie du livre, intitulée « Des chroniqueurs sous la loupe », est plus traditionnelle dans sa forme universitaire du collectif d’articles, mais passionnante par ses études diversifiées de réception des arts de la scène. La première contribution, « Accueillir la modernité avec Mary Wigman », est signée par Marie Beaulieu et analyse la réception des spectacles de la chorégraphe allemande lors de sa visite à Montréal en 1931. Des quatre critiques montréalais qui rendront compte du solo de Wigman présenté au His Majesty’s, seul Thomas Archer …