Notes de lecture

Bérard, Stéphanie, Théâtres des Antilles : traditions et scènes contemporaines, Paris, L’Harmattan, 2009, 220 p.[Notice]

  • Axel Artheron

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  • Axel Artheron
    Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle

L’étonnante richesse et la diversité qui caractérisent le théâtre antillais contrastaient jusqu’ici avec la pauvreté des recherches du monde universitaire francophone qui y étaient consacrées. Il faut dire que les conditions de publication, de diffusion et de production du répertoire théâtral antillais ont sans doute eu raison de la témérité de chercheurs qui s’étaient essayés à examiner ces oeuvres. En effet, les difficultés réelles liées à l’édition des pièces qui composent le répertoire, dont la majorité demeure à l’état de manuscrits, ainsi que les problèmes liés à la diffusion des spectacles hors des limites insulaires, rendent difficile et ardu l’accès aux textes et aux archives de spectacle, tout ce qui constitue la matière du chercheur résolu. Cela, sans compter que le théâtre, par sa vocation scénique et performative, affranchit peut-être les écrivains antillais de ce recours au texte publié. Ces quelques données ont sans aucun doute compliqué la tâche de chercheurs déterminés désireux de s’y aventurer, mais nous profitons de l’occasion pour rendre hommage aux dernières publications qui ont, à leur manière, contribué à faire connaître les scènes caribéennes francophones ; on pense ici au collectif dirigé par Alvina Ruprecht, Les théâtres francophones et créolophones de la Caraïbe (2003), ou encore à l’essai Les dramaturges antillaises : cruauté, créolité, conscience féminine (2008) de Carole Edwards. Le livre Théâtres des Antilles : traditions et scènes contemporaines de Stéphanie Bérard attire notre attention aujourd’hui, puisqu’il constitue peut-être la première tentative d’appréhension globale des écritures dramaturgiques et scéniques des Antilles françaises. À travers son ouvrage, Bérard s’attelle à montrer comment le théâtre antillais contemporain, tirant profit des multiples apports culturels constitutifs des sociétés caribéennes, met en forme une esthétique théâtrale composite et hybride. Cette esthétique du carrefour, elle se définit dans un dialogue interculturel avec l’Afrique, l’Europe et les Amériques : L’ouvrage proposé entend mettre en évidence les lignes de force, les traits constitutifs des écritures dramaturgiques et scéniques antillaises contemporaines. Pour cela, Stéphanie Bérard articule sa réflexion autour de quatre grands axes, déclinés en chapitres, et qui constituent les schèmes définitoires de ces dramaturgies. Après avoir brossé un panorama de l’histoire de ces écritures afin « de mieux comprendre le présent et les enjeux des productions théâtrales contemporaines » (p. 18), elle dresse les traits caractéristiques de la dramaturgie qui fondent l’unité et la spécificité des théâtres antillais : « Dramaturgies de l’entre-deux » (chapitre II), « Dramaturgies de l’oralité » (chapitre III), ainsi que les « Rituels et poétiques scéniques » (chapitre IV). Le premier chapitre intitulé « Petite histoire du théâtre antillais » se consacre à l’évolution de ces scènes depuis l’époque coloniale. Adoptant un point de vue diachronique, l’auteure tente de mettre en évidence les grandes étapes qui jalonnent l’aventure théâtrale aux Antilles. Elle s’appuie sur la naissance d’un théâtre colonial aux Antilles, dont elle souligne le caractère éminemment exogène et pernicieux. En effet, le théâtre, relais de l’impérialisme culturel français, se justifie dans une perspective de déculturation et d’assimilation : « Le théâtre représente un médium privilégié pour assurer le rayonnement de la culture française et il participe donc à la politique d’assimilation très tôt pratiquée par la France dans ses colonies » (p. 20). Ce théâtre colonial qui « remplit un rôle de divertissement tout en offrant un prétendu modèle à imiter pour “civiliser” les esclaves » (p. 20) fera les beaux jours de colons épris d’une culture métropolitaine fantasmée jusqu’à la révolution de 1789. L’époque révolutionnaire verra ainsi l’offre théâtrale décliner considérablement et il faudra vraiment attendre le milieu du xxe siècle pour assister à l’apparition d’un théâtre écrit par des auteurs guadeloupéens et martiniquais …