Notes de lecture

Ben-Zvi, Linda, et Angela Moorjani (dir.), Beckett at 100: Revolving it All, Oxford, Oxford University Press, 2008, 334 p.[Notice]

  • Geneviève Chevallier

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  • Geneviève Chevallier
    Université de Nice – Sophia Antipolis

Ce nouvel ouvrage sur Beckett vient s’ajouter à une longue liste de publications que les célébrations récentes entourant le centenaire de sa naissance – y compris de multiples colloques – sont venues enrichir. Celui-ci vient en partie des suites des travaux présentés lors de la table ronde du Beckett Working Group, que Linda Ben-Zvi anime depuis plusieurs années, et qui s’est tenue à Dublin en parallèle au colloque célébrant le centenaire du Prix Nobel irlandais. Quatorze essais ont été retenus pour cette publication, complétée par huit autres textes de membres du Working Group, non présents à Dublin, mais piliers de la critique beckettienne. C’est d’ailleurs à une des toutes premières figures de la critique beckettienne américaine, Ruby Cohn, que le livre est dédié. Lui est dédiée plus particulièrement l’ouverture, avec un texte de James Knowlson évoquant Beckett en touriste en Allemagne durant l’hiver 1937 et le regard qu’il a porté – et rapporté dans son journal de voyage – sur le paysage et l’architecture environnante. Knowlson fait des allées et venues entre les lieux traversés et le commentaire qu’en fait Beckett, ajoutant ainsi un complément au chapitre qu’il avait déjà consacré à ces cahiers allemands dans sa biographie de Beckett, Damned to Fame. Cette somme de critiques s’articule en trois parties. La première rassemble six articles sous le titre « Thinking Through Beckett », penser « à travers » Beckett, une démarche dont Herbert Blau rend compte de façon singulière : il commence par décrire la façon dont il s’est trouvé faire l’expérience du trouble du souffle qui apparaît dans les textes de Beckett, présent du reste chez Beckett lui-même au moment d’écrire son oeuvre, pour en venir à souligner la façon dont il pense à travers Beckett, au point qu’il laisse quasiment la parole à l’auteur, avançant de citation en citation pour dire comment Beckett dit ; comment son oeuvre dit de la cruauté de l’histoire, d’Auschwitz à Hiroshima sans doute d’abord, mais plus avant encore, l’abomination du monde tel qu’il nous entoure ; Blau relie l’enfer de Beckett à l’enfer d’un quotidien de misère humaine. Et finit où il a commencé, en retenant son souffle pour ne pas finir. Plus classiquement, l’« à travers » conduit David Houston Jones à relire les Textes pour rien et L’innommable à la lumière de la thèse de Giorgio Agamben, dans Ce qui reste d’Auschwitz, sur l’impossibilité du témoignage sur Auschwitz, parole indicible qui persiste par cette impossibilité même. Jones montre, dans l’écriture beckettienne, où le narrateur se trouve effacé par le récit qu’il est en train de produire, un rapport semblable à l’indicibilité, et souligne le syndrome de survivance affectant le narrateur qui, avec la honte des rescapés, parle par contumace pour un sujet fantôme. Lorsque Carla Locatelli interroge le caractère autobiographique de La dernière bande et de Pas moi, elle ne s’interroge pas sur ces textes comme récits de la vie de l’auteur. Redéfinissant le terme selon une approche poststructuraliste, et suivant en particulier Paul de Man, elle analyse plutôt la démarche projective du lecteur par rapport à ces textes, comment nous en venons à y chercher un sujet, à les lire comme le récit mimétique de la difficulté à dire. H. Porter Abbott aborde, quant à lui, la question du refus obstiné de Beckett à se considérer comme un philosophe et montre que c’est d’abord parce que l’artiste refuse de dominer, de contrôler son oeuvre, pour plutôt échouer, laisser aller l’incomplétude. Stan Gontarski reprend pourtant la tradition philosophique avec Henri Bergson et ses réflexions sur l’intuition et l’intelligence, le temps et la durée, la mémoire volontaire …