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« Tout ce qui est simple est faut et tout ce qui ne l’est pas est inutilisable »

P.Valery

Depuis 1979, notre équipe a engagé une réflexion et une démarche de recherche appliquée sur le Handicap avec des objectifs bien précis :

  • Identifier les Handicaps.

  • Mesurer les Handicaps.

Le contexte de cette démarche mérite d'être souligné puisqu'elle a été « déclenchée » par la plus haute autorité administrative (le Préfet) d'un département Français (le Valde-Mame) peuplé de 1 200 000 personnes dans lequel sont implantés notre Université et le Service Polyvalent de Réadaptation médicale qui sont nos deux supports institutionnels.

Le préfet du Val-de-Marne, préoccupé de recevoir les demandes émanant d'un grand nombre d'associations de personnes handicapées, s'est tourné vers notre Université pour lui demander de l'aider à répondre à ces deux questions :

  • Qui sont les personnes handicapées du Val-de-Marne ?

  • Quels sont leurs besoins ?

Une enquête sur les situations de handicap dans le Val-de-Marne a été réalisée auprès de 35 des 45 Communes de ce département1.

Parallèlement avec la collaboration des divers autres groupes français préoccupés par cette même démarche, une précision des définitions des diverses composantes du Handicap a été faite, concrétisée à l'initiative de P. Minaire dans un « manifeste à propos du handicap »2.

Cette approche, pluridimensionnelle du Handicap, s'appuie sur la notion de « situation du Handicap » définie dès 1973 par P. Minaire3 4 et est parfaitement compatible avec les définitions introduites à la même époque par P.H.N. Wood et A. Grossiord en 1975 lors de la Réunion de l'OMS qui s'est tenue à Rennes5.

Depuis, notre équipe n'a cessé de travailler à la construction de grilles, de recueils de données et d'outils de mesure du Handicap en appliquant cette recherche à diverses situations de Handicap.

Les propositions que nous faisons, ici, ont pour objet de mieux saisir, à travers une Classification des déficiences, incapacités et handicaps, la personne humaine dans la totalité de sa réalité biologique, psychologique, culturelle, et sociale.

Nous considérons alors que notre recherche s'inscrit dans une démarche ethno-anthropologique et qu'il faut s'inspirer des méthodes des chercheurs de cette discipline.

L'utilisation de la CIDIH dans sa formulation actuelle, appelle un certain nombre de remarques critiques:

  • Difficulté d'utilisation pratique.

  • Absence de mise en évidence des aspects « positifs », « capacité » de la personne, comme le signale également E. Zucman6.

  • Le classement de certains auteurs est très discutable, des incapacités se retrouvant classées au niveau des déficiences et inversement, certains handicaps (ou désavantages) se trouvant au niveau des incapacités.

  • La rubrique Handicaps qui devrait, à notre sens, être la plus riche, est très pauvre.

Certaines de nos observations concernent seulement la forme et nous paraissent faciles à corriger par une modification simple de classement (par exemple, les difficultés concernant l'hygiène corporelle et l'habillage qui sont classées aux incapacités, nous semblent devoir faire partie des handicaps ou désavantages).

D'autres, concernent davantage des problèmes de fond, de définition et de conceptualisation.

De ce point de vue, il nous paraît important de mieux préciser les conceptions de déficience, incapacité et handicap.

La déficience

La déficience correspond à toute perte de substance ou altération d'une structure ou fonction psychologique, physiologique ou anatomique (traduction INSERM de la CIDIH 1980).

La déficience concerne l'organe qui est lésé, c'est pourquoi nous utilisons, dans notre groupe, plus volontiers le terme de « lésion ».

La déficience ou lésion peut être la perte de l'organe (c'est le cas de l'amputation) ou bien une altération du fonctionnement biologique, c'est le cas de la mucoviscidose.

On est moins à l'aise avec « l'altération de la fonction psychologique ».

Nous pensons que tout ce qui concerne les aspects psychologiques ne devrait pas figurer au niveau de la déficience mais au niveau des incapacités.

Ce qui veut dire aussi que tous les dysfonctionnements mentaux devraient apparaître également au niveau des incapacités si l'on pousse la logique du raisonnement jusqu'au bout.

Cette proposition peut surprendre. En effet, l’organe-cerveau a un statut particulier comme nous l'avons déjà montré au 2e Symposium national de rééducation fonctionnelle de Corfou en avril 1987.

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Les exemples que nous avons choisis concernent les conséquences de la même maladie au niveau de trois organes différents. Il montre bien que si l'on veut appliquer la logique de la définition de la déficience, bon nombre de difficultés dites neuropsychologiques identifiables dans la CIDIH sous les termes de « amnésie », « déroulement et forme de la pensée », « déficiences de l'intelligence », « déficiences du langage », n'ont pas leur place au niveau des déficiences.

Les Incapacités

Une incapacité correspond à toute réduction (résultat d'une déficience) partielle ou totale, de la capacité d'accomplir une activité d'une façon ou dans les limites considérées comme normales pour un être humain (traduction de la CIDIH - INSERM 1980).

La notion d'activité reste vague et mériterait d'être précisée. Un inconvénient majeur est ici l'aspect négatif de la définition de l'incapacité. La démarche de notre groupe est ici de montrer plutôt les aptitudes du sujet. C'est pourquoi nous parlons d'étude fonctionnelle; le terme de « capacités fonctionnelles » pourrait remplacer celui d'incapacités.

Il s'agit ici de la personne humaine et des aptitudes qui vont lui permettre d'être autonome et de dominer les contraintes imposées par son environnement.

La liste de ces aptitudes fonctionnelles a été établie par l'un d'entre nous7.

Il nous paraît essentiel à ce niveau d'éviter toute référence à des situations données qui ne sont pas reproductibles partout.

C'est le cas par exemple de la montée d'un escalier qui ne permettra pas d'apprécier valablement un Indien Bororo vivant dans la forêt brésilienne8.

Une grande partie du chapitre des incapacités de la CIDIH nous paraît donc devoir être « déplacée » vers les handicaps ou désavantages; c'est le cas des incapacités concernant une partie de l’excrétion, toute l'hygiène corporelle, l'habillage, une grande partie de la nutrition et autres soins corporels, une partie de la locomotion et la totalité des incapacités concernant les transports, les tâches domestiques...

Les handicaps (ou désavantages)

« Le désavantage social pour un individu donné résulte d'une déficience ou d'une incapacité qui limite ou interdit l'accomplissement d'un rôle normal (en rapport avec l'âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels) » (traduction INSERM de la CIDIH 1980).

Tout d'abord, il nous paraît inutile de préciser que le désavantage résulte d'une déficience ou d'une incapacité puisque l'incapacité résulte déjà d'une déficience.

Cette définition nous paraît tout à fait compatible avec celle de handicap de situation proposée par Pierre Minaire, c'est pourquoi nous utilisons pour parler du handicap d’ « étude situationnelle ».

Nous proposons dans la grille mise au point par l'une d'entre nous8 9 cinq grands types de situations de vie :

  • La vie quotidienne

  • La vie familiale et affective

  • La vie scolaire et de formation

  • La vie professionnelle et/ou activités sociales bénévoles

  • La vie de loisirs

Toutes ces activités humaines pourront se retrouver dans ces cinq catégories.

Les déficiences

La suggestion que nous faisons pour les principales têtes de chapitre tiennent compte autant que possible des propositions actuelles de la CIDIH.

  • Déficiences des organes de l'audition.

  • Déficiences des organes de la vision.

  • Déficiences des organes de la mastication.

  • Déficiences de la face, de la tête et du cou.

  • Déficiences des organes de la déglutition.

  • Déficiences des organes de la phonation.

  • Déficiences des organes de I’olfaction.

  • Déficiences de l'appareil respiratoire.

  • Déficiences de l'appareil cardiovasculaire.

  • Déficiences de l'appareil urinaire (reins et voies excrétrices).

  • Déficiences des organes digestifs y compris ano-rectaux.

  • Déficiences des glandes endocriniennes.

  • Déficiences de l'appareil hématopoïétique et immunologique.

  • Déficiences de l'appareil sexuel et de reproduction.

  • Déficiences et atteintes du revêtement cutané, déficits des organes de la sensibilité (superficielle et proprioceptive).

  • Déficiences du tronc à l'exclusion des lésions des organes internes, déformations ostéoarticulaires du tronc: scolioses, cyphoses, autres atteintes vertébrales, déformations de la cage thoracique.

  • Déficiences des muscles du tronc: paralytiques, contractions involontaires, spasticité, mouvements anormaux.

  • Déficiences osseuses du bassin notamment les bassins dystociques.

Déficiences des membres

À ce niveau, la classification proposée nous paraît extrêmement complexe et d'usage très difficile. Nous suggérons de simplifier ce chapitre.

  1. Perte d'amplitude, désaxation, ankylose, douleurs limitatives des mouvements au niveau des articulations en indiquant chacune des articulations :

    • Épaule droite;

    • Épaule gauche;

    • Les deux épaules;

    • Coude gauche;

    • Coude droit;

    • Les deux coudes

    On peut proposer dominant - non dominant.

  2. Déficience de la force musculaire:

    • Membre supérieur dominant

    • Membre supérieur non dominant

    • Deux membres supérieurs

    • Deux membres inférieurs

    • Un membre supérieur et un membre inférieur

    • Trois membres :

    • (2 supérieurs - 1 inférieur)

    • (2 inférieurs - 1 supérieur)

  3. Déficience de la commande musculaire (origine centrale) même division des items.

  4. Motricité anormale d'autre origine que la spasticité.

  5. Amputations et agénésies des membres.

Là aussi une simplification s'impose, il ne paraît pas nécessaire de reprendre chacun des os du squelette. La classification en axe longitudinal et axe transversal n'est peut-être pas si évidente que cela.

Nous proposons par exemple:

Membre inférieur :

  • Amputation d'un ou plusieurs orteils.

  • Amputation partielle du pied.

  • Amputation totale du pied.

  • Amputation de jambe.

  • Amputation de cuisse.

  • Désarticulation de hanche.

De toute façon, un chapitre « autre lésion des membres » est nécessaire.

Pour les atteintes du cerveau

Nous proposons de mentionner :

  • L'existence d'une lésion cérébrale.

  • Sa localisation succincte.

  • Un autre item sera: pas de lésion cérébrale identifiable.

Les paragraphes intelligence, mémoire, pensée, activité intellectuelle sont déplacées au niveau des incapacités.

L'esthétisme trouve sa place au niveau des incapacités, car nous le considérons davantage comme une « fonction ».

Les cicatrices et autres lésions à caractère inesthétique étant implicitement incluses dans la description des déficiences de la face, du tronc, des membres et surtout des mains.

Les incapacités ou mieux les « capacités fonctionnelles »

Nous proposons de les regrouper sous les rubriques suivantes :

 (suite)

 (suite)

 (suite)

 (suite)

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Autres fonctions :

  • Appétit

  • Soif

  • Sommeil

Les handicaps

Les diverses situations de vie sont à classer en deux groupes :

  1. Celles qui sont indispensables à la survie de l'individu et qui sont identiques dans leurs modalités pour les individus d'un même groupe culturel; ce sont les actes essentiels de la vie quotidienne.

  2. Celles qui se diversifient selon les types d'activité de l'individu:

    • Vie familiale et affective.

    • Vie de loisirs.

    • Vie scolaire et de formation.

    • Vie professionnelle et d'activité; sociales incluant les conséquences économiques.

Chacune de ces situations implique une description détaillée à l'instar de ce que nous proposons pour les actes essentiels de la vie quotidienne.

Les actes essentiels de la vie quotidienne :

  • Se mettre au lit et se lever.

  • S'habiller.

  • Préparer ses repas.

  • Faire sa toilette, se laver, se coiffer, se raser.

  • Aller aux toilettes (W.C.).

  • Manger et boire.

  • Se déplacer dans le logement.

  • Entrer et sortir du logement – faire ses courses.

  • Faire son ménage et sa vaisselle.

  • Pouvoir communiquer avec l'extérieur en cas de détresse.

Quantification

Nous proposons d'utiliser une échelle ordinale à 5 niveaux :

  • Normal ou ordinaire.

  • Difficultés ou lenteurs.

  • Nécessité d'une aide humaine.

  • Impossible.

Cette échelle est utilisable pour les incapacités et pour les diverses situations de handicap.

Conclusion

Notre réflexion qui s'appuie en grande partie sur les travaux que nous menons sur la mise au point d'outils de mesure du handicap n'est pas figée.

Il nous apparaît cependant que si l'on veut faire de la CIDIH un outil de recueil de données, facilement accepté notamment par les équipes de réadaptation, des modifications très importantes sont à faire.

Notre but était d'aider par nos propositions à faire progresser un instrument de travail dont nous avons tous besoin.

« Il n'y a rien de constant hormis le changement »

Confucius