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I. INTRODUCTION

L’Organisation mondiale de la Santé décrit l’intimidation comme un problème qui « transcende les frontières » (Candace et coll., 2004). L’intimidation chez les jeunes est un problème pouvant induire des conséquences sur la santé physique et mentale des victimes, telles que des plaintes somatiques, des symptômes dépressifs, de l’anxiété (Menesini et coll., 2009), de même que des comportements suicidaires (Geoffroy et coll., 2018 ; Perret et coll., 2020). Dans le milieu scolaire, on recense 6 à 8 % des étudiants rapportant éviter d’aller à l’école en raison de l’intimidation vécue (Attwood et Croll, 2006 ; Kumpulainen et coll., 1998 ; Rigby, 1998 ; Smith, 2008). Les jeunes adoptant des gestes d’intimidation rapportent davantage de difficultés scolaires et émotionnelles, ainsi que des taux élevés d’abus de substance, et ce, encore plus s’ils sont aussi victimes d’intimidation (Nansel et coll., 2004).

Les difficultés personnelles associées à l’intimidation se traduisent en coûts sociétaux importants, tant en regard des services psychologiques offerts, des difficultés relationnelles vécues, que des retards pédagogiques occasionnés (Boyce, 2004). L’intimidation serait, entre autres, associée à une plus forte utilisation du système de santé et une performance scolaire sous-optimale (Craig et Pepler, 2007 ; Rigby, 2003). Bien qu’aucune personne ne soit à l’abri de l’intimidation, les jeunes issus de la diversité sexuelle et de genre en sont disproportionnellement victimes, incluant les jeunes lesbiennes, gais, bisexuelles, transgenres, queer (LGBTQ+). Dans le cadre d’une enquête canadienne sur la discrimination des jeunes LGBTQ+, 59 % de ceux fréquentant un établissement d’enseignement secondaire ont rapporté vivre du harcèlement verbal et 1 sur 4 rapportaient être la victime de harcèlement physique, comparativement à 6 et 8 %, respectivement chez les jeunes hétérosexuels et cisgenres (Taylor et coll., 2011). Il est nécessaire et urgent que des interventions basées sur les données probantes soient développées. Dans le cadre de cet article, nous décrirons les phases de développement projetées d’une application mobile pour aider les jeunes LGBTQ+ et leur famille.

II. CONCEPTS DE BASE

La diversité sexuelle désigne toute orientation sexuelle qui est différente de l’hétérosexualité (p. ex. homosexualité et bisexualité). Quant à l’orientation sexuelle, elle se compose généralement de 3 éléments, soient l’identité, l’attirance et le comportement sexuel (Rosario et coll., 2006). De son côté, le sexe biologique comprend l’anatomie, les gonades, les hormones et les gènes utilisés pour catégoriser une personne comme étant de sexe féminin ou masculin à la naissance (Johnson et coll., 2007). Le genre est un construit socioculturel qui désigne les normes et attentes de la société quant à la féminité, la masculinité, ou même l’androgynéité (p. ex. les femmes sont douces et les hommes sont ambitieux ; Bem, 1974 ; Johnson et coll., 2007). L’identité de genre réfère au « sentiment profond et personnel d’être de genre masculin, féminin, ni l’un ni l’autre, ou encore les deux » (Québec, 2020), ce qui n’a pas nécessairement un lien avec le sexe assigné à la naissance (Bauer et coll., 2017). La diversité du genre réfère au spectre d’identités de genre qui ne correspondent pas au sexe attribué à la naissance (p. ex. sexe féminin avec un genre masculin). Transgenre est un terme utilisé comme adjectif désignant une personne ayant une identité de genre qui ne correspond pas à son sexe assigné à la naissance, tandis que cisgenre décrit une identité de genre correspondant au sexe attribué à la naissance. Les personnes avec un genre fluide (queer) préfèrent parler en termes de continuum de genre et de diversité sexuelle, plutôt qu’en termes catégoriels (p. ex. choisir entre masculin ou féminin, choisir entre hétérosexuel, bisexuel ou homosexuel ; Québec 2020).

A. Intimidation

L’intimidation (bullying) renvoie à des comportements d’agression répétés dans une période plus ou moins longue et ayant pour but d’infliger du mal ou de l’inconfort envers un individu. Elle est effectuée par un ou plusieurs individus (intimidateurs) ; elle implique parfois des témoins et est dirigée à l’intention d’une ou plusieurs personnes (victimes). Elle se déroule dans un contexte où une inégalité réelle ou perçue de pouvoir d’origines physique (p. ex. force et taille), psychologique (p. ex. intelligence) ou sociale (p. ex. popularité) entre une ou plusieurs personnes qui intimident et une ou plusieurs personnes qui sont la cible de ces comportements (Moran et coll., 2018 ; Olweus, 1978).

L’intimidation est plus susceptible d’être dirigée envers les personnes dont une ou plusieurs caractéristiques ne correspondent pas à celles valorisées dans un groupe donné. Par exemple, l’intimidation homophobe est dirigée envers les personnes qui sont perçues par l’intimidateur comme ne se conformant pas aux normes sociales d’orientation ou d’identité sexuelle attendues et valorisées (p. ex. gai, lesbienne, bisexuel et queer). Elle peut prendre la forme d’étiquettes péjoratives (p. ex. tapette, butch et gouine) ou de dénigrement (p. ex. t’es fif ; Meyer, 2008 ; Tucker et coll., 2016). L’intimidation transphobe est quant à elle dirigée envers les personnes perçues comme ne se conformant pas aux normes de genre (p. ex. fille avec des vêtements perçus comme masculins ; BeyondBullying, 2020). Ces types d’intimidation ont tendance à émerger au cours de l’enfance, atteindre un plateau maximal vers 10-12 ans, pour ensuite diminuer graduellement pendant l’adolescence (Espelage et coll., 2019).

Moran et ses collaborateurs (2018) ont identifié 4 formes d’intimidation. Tout d’abord, l’intimidation verbale caractérise tout langage utilisé pour insulter ou provoquer quelqu’un. Ensuite, l’intimidation relationnelle consiste en l’utilisation de rumeurs ou de potins pour porter atteinte au statut social d’une personne. L’intimidation physique consiste à utiliser la violence physique pour intimider ou blesser. Enfin, le cyberharcèlement se définit par l’utilisation de technologies d’information ou de communication telles que les réseaux sociaux, pour proférer des menaces ou harceler une personne de façon délibérée et répétée. Cette dernière forme d’intimidation se distingue par le fait que son contenu demeure visible et accessible pour une longue période de temps et parfois même à tout jamais, ce qui augmente le potentiel d’être vu par plusieurs. Il devient alors difficile d’y échapper considérant la grande accessibilité de ces médias par les jeunes et du rôle que ceux-ci jouent dans le maintien des relations sociales harmonieuses et positives (Slonje et coll., 2013). Néanmoins, cette accessibilité réduit les endroits sécuritaires et temps d’arrêt pendant lesquels les jeunes peuvent se soustraire à ces expériences. La quasi-totalité des jeunes LGBTQ+ est confrontée à au moins une de ces formes d’intimidation au cours de la vie (GLSEN, 2007 ; Moran et coll., 2018). L’intimidation représente une source de stress et de menaces importante pour ces jeunes qui s’ajoutent aux défis déjà nombreux de la vie d’un enfant.

B. Témoin

L’intimidation se déroule en contexte social sous le regard de témoins (Craig et coll., 2000). Ces derniers peuvent être de puissants catalyseurs et augmenter l’intimidation, s’ils y contribuent de façon délibérée et active, ou encore en y assistant de façon passive. Les témoins peuvent aussi diminuer l’intimidation s’ils défendent la victime (Kärnä et coll., 2010 ; Salmivalli et coll., 2011 ; Thornberg et Jungert, 2013), quoiqu’en absence d’une norme sociale claire décourageant l’intimidation, ce type d’action est souvent perçu comme risqué pour les témoins ne voulant pas devenir la cible de l’intimidation.

C. Résilience

La résilience est un processus par lequel une personne s’adapte et surmonte les défis reliés à une situation d’adversité. McCormick (2016) affirme que les jeunes LGBTQ+ peuvent faire preuve de grande résilience. Ces derniers peuvent même faire preuve de croissance posttraumatique, c’est-à-dire vivre une transformation positive par rapport à soi, aux autres et à la façon de voir la vie (Genest et coll., 2017). Heureusement, il est possible de mettre en place des interventions pour favoriser les facteurs de protection qui augmenteront leur résilience. C’est ultimement l’une des intentions de +Fièr.

III. ÉTAT GÉNÉRAL DES CONNAISSANCES

Les jeunes personnes LGBTQ+ rapporteraient subir davantage d’intimidation (Delgado, 2011) et plusieurs éléments peuvent aider à comprendre cette situation préoccupante. Par exemple, une étude de Varjas et coll. (2010) s’est intéressée aux cyberintimidateurs et a déterminé que leurs « motivations internes » principales étaient la jalousie, l’ennui et les émotions négatives internes projetées vers les autres. Du côté des victimes, la littérature scientifique est maintenant capable d’identifier certaines caractéristiques et comportements personnels, dynamiques de groupe et climats qui favoriseraient l’intimidation (Hanish et Guerra, 2000).

L’intimidation provoque de graves problèmes de santé chez les jeunes LGBTQ+. En effet, les victimes rapportent généralement plus de problèmes psychologiques et du fonctionnement, tels qu’une faible estime de soi, des difficultés scolaires, de l’anxiété, des symptômes dépressifs et même des comportements suicidaires (Garaigordobil et Larrain, 2020 ; Moran et coll., 2018). Toutefois, les jeunes LGBTQ+ ne subissent pas toutes les mêmes formes d’intimidation. Par exemple, ce serait davantage l’intimidation relationnelle qui serait liée à la dépression chez les personnes gaies, tandis que ce serait plutôt l’intimidation verbale qui serait liée à ces symptômes chez les personnes trans (Moran et coll., 2018). De plus, les différentes formes d’intimidation n’auraient pas toutes les mêmes effets. Par exemple, un grand nombre d’émotions négatives seraient associées à l’intimidation, et ce, surtout pour l’intimidation directe (verbale et physique). Les victimes démontrent entre autres davantage de colère, de stress, de peur, d’inquiétude, de solitude et de déprime (Ortega-Ruiz et coll., 2009). Il est proposé que ces émotions pourraient rendre plus susceptible la manifestation des comportements antisociaux et d’évitement (Rudolph et coll., 2014). En résumé, pour bien comprendre les conséquences de l’intimidation, il est nécessaire de prendre en compte l’identité de la personne, ainsi que le type d’intimidation dont elle est victime.

Il est primordial d’identifier les facteurs de risque et de protection de l’intimidation des jeunes LGBTQ+ pour développer des interventions efficaces. Par exemple, Hong et Garbarino (2012) affirment que les attitudes et propos de l’environnement immédiat envers les jeunes LGBTQ+ ont un grand effet sur l’occurrence de l’intimidation. Par exemple, il suffirait de quelques pairs exprimant des propos dénigrants pour que le groupe plus large adopte ces comportements et attitudes homophobes (Dishion et coll., 1999). Ainsi, certains environnements sociaux constituent un facteur de risque pour l’intimidation des jeunes LGBTQ+, d’où l’importance de la notion de norme sociale et la nécessité que l’école et la population définissent clairement ce qui est acceptable et recherché comme façon d’être ensemble.

Dans l’environnement immédiat, le soutien social est considéré comme un facteur de protection puissant contre les effets de l’intimidation. On souligne que le soutien parental est important pour les enfants plus jeunes (Bowes et coll., 2010), alors que celui-ci est remplacé peu à peu par le soutien des pairs lorsque l’enfant vieillit (Brendgen et coll., 2013 ; Furman et Buhrmester, 1992). Le soutien social positif offert par les pairs peut donc représenter une composante importante du bien-être des jeunes LGBTQ+ (Espelage et coll., 2018). Une étude récente a révélé que ceux-ci ont davantage d’amitiés exclusivement en ligne que les autres jeunes. Or, il est possible que ces amitiés virtuelles offrent un soutien non négligeable par rapport à leurs amitiés hors-lignes (Ybarra et coll., 2015). La technologie représente donc potentiellement une avenue pour offrir un soutien social aux jeunes LGBTQ+.

Le soutien parental et familial est un autre élément à considérer dans l’accompagnement des jeunes LGBTQ+ victimes d’intimidation, car ceux-ci ressentent davantage de bien-être lorsqu’ils bénéficient du soutien de leurs parents (Espelage et Swearer, 2008 ; Ross-Reed et coll., 2019). Cependant, ces derniers hésitent souvent à demander l’aide de leurs parents par crainte notamment de devoir dévoiler leur identité, ou du rejet et déni familial (Pullen Sansfaçon et coll., sous presse ; Sansfaçon et coll., 2018). Le soutien parental et familial demeure une piste à explorer pour aider ces jeunes, c’est pourquoi nous voulons inclure la famille dans la clientèle cible de +Fièr.

La sortie du placard (coming out) constitue un facteur de risque notable pour certains groupes LGBTQ+, alors qu’elle est plutôt un facteur de protection chez d’autres. Par exemple, les personnes LGBTQ+ qui habitent en région rurale seraient plus à risque de se faire intimider si elles se dévoilent, alors qu’en milieu urbain, elles recevraient au contraire du soutien (Kosciw et coll., 2015). Une étude au sein de notre équipe est en cours, afin d’examiner l’impact de sources de stress structurel (p. ex. accessibilité à des mécanismes de protection des droits des personnes LGBTQ+) sur la santé des personnes LGBT (DuBois et Juster, 2019). Nous pourrons alors observer si les régions et leurs structures sociopolitiques respectives ont un effet différentiel sur la santé. Il est donc intéressant de penser à des initiatives pour promouvoir la résilience des jeunes LGBTQ+ qui ne vivent pas un environnement social et géographique idéal.

Le milieu scolaire peut aussi influencer les pratiques d’intimidation homophobes des jeunes LGBTQ+. Entre autres, la formation des enseignants et du personnel scolaire sur les problématiques des jeunes LGBTQ+ est déterminante pour la santé mentale de ces jeunes. Une étude québécoise a souligné que les enseignants formés à ces enjeux avaient tendance à inclure des facteurs de protection importants, tels que le la discussion des réalités LGBTQ+ dans leur curriculum, l’intervention active lors d’incidents homophobes, ainsi qu’une réponse positive et chaleureuse aux étudiants qui se confient et cherchent du support (Richard, 2015).

Le climat scolaire est un autre élément important à considérer dans la résilience des jeunes LGBTQ+. Ce serait en fait le message envoyé par l’institution qui serait déterminant dans l’intimidation. Ainsi, une norme sociale soutenant clairement la diversité sexuelle et de genre découragerait les comportements d’intimidation, en plus de diminuer les conséquences négatives de l’intimidation chez les victimes. Cela peut prendre la forme d’un code de vie, de groupes de pairs aidants (p. ex. Gay-Straight Alliances), ou encore de l’inclusion de contenu LGBTQ+ dans le contenu des cours (Hatzenbuehler et coll., 2014 ; Toomey et coll., 2012). Une école qui suggérerait la consultation d’une plateforme comme +Fièr pourrait passer comme message qu’elle soutient la diversité sexuelle et de genre. Plusieurs modèles ont été proposés pour comprendre les causes et conséquences de l’intimidation.

A. Modèles étiologiques

Sans expliquer la cause de l’intimidation, le modèle de stress-diathèse (diathesis stress model) propose une représentation utile pour mieux comprendre les conséquences de l’intimidation chez les jeunes LGBTQ+ (Colodro-Conde et coll., 2018). La diathèse correspond à la considération de tous les facteurs de risque et de protection d’un individu qui, globalement, modifient sa vulnérabilité aux diverses sources de stress dans son environnement. Est sous-entendu dans ce modèle conceptuel que certaines caractéristiques propres aux jeunes puissent exacerber ou, au contraire, amenuiser l’impact de l’intimidation vécue par les jeunes LGBTQ+. Ces caractéristiques, dont certaines sont héritées, alors que d’autres seraient malléables, pourraient constituer des cibles intéressantes, afin de promouvoir la résilience face aux agressions (Woodford et coll., 2018) et ainsi, contribuer à réduire les conséquences néfastes associées à ces expériences sur la santé.

De plus en plus de scientifiques conseillent de concentrer les efforts sur les facteurs de protection plutôt que sur les facteurs de risque. Un domaine de recherche et d’intervention intéressant est celui des stratégies d’adaptation personnelles (coping strategies). En effet, les victimes qui souffriraient le plus d’intimidation sont celles qui auraient plus souvent recours à des stratégies inefficaces pour résoudre leurs problèmes (Lazarus et Folkman, 1984 ; Ouellet-Morin et Robitaille, 2017). Elles utiliseraient des mécanismes plus axés sur les émotions tels la distraction et le déni (Hudson et coll., 2016 ; Moss et coll., 2009 ; Ouellet-Morin et Robitaille, 2017). Heureusement, on sait aujourd’hui qu’il est possible de soutenir l’acquisition et l’utilisation de stratégies d’adaptation personnelles plus susceptibles de réduire la victimisation au long cours et de promouvoir la résilience (Garnefski et Kraaij, 2014 ; Jacobs et coll., 2014 ; Ouellet-Morin et Robitaille, 2017).

Tandis que des stratégies individuelles peuvent être mises en place pour aider les jeunes LGBTQ+, il est aussi nécessaire d’éduquer les personnes non-LGBTQ+ pour diminuer l’intimidation. Le modèle de réjection sociale propose que les comportements de rejet ou de discrimination soient plus susceptibles de survenir si les caractéristiques propres à un individu ne correspondent pas à celles promues par la société. Selon ce modèle, l’intimidation que les jeunes LGBTQ+ subissent, serait une réaction face à leur différence (Slonje et coll., 2013), dans le but qu’ils se conforment aux normes sexuelles et de genre. Nous pensons que la sensibilisation et l’accès à de l’information pourraient aider à cette méconnaissance de la réalité LGBTQ+.

B. Interventions et programmes

De nombreux programmes et interventions ont été pensés pour aider les jeunes LGBTQ+. Parmi ceux-ci, le Trevor Project offre des programmes en ligne, ainsi qu’un service d’intervention de crise et de prévention du suicide aux jeunes LGBTQ+. Le Parents and Friends of Lesbians and Gays (PFLAG) offre de son côté des ateliers en présentiel de psychoéducation aux parents pour prévenir l’intimidation chez les jeunes LGBTQ+. Le Gay, Lesbian and Straight Education Network (GLSEN) sert de répertoire pour la recherche et les meilleures pratiques (Wiederhold, 2014). Des interventions comme No Name Calling Week, Changing the Game, et Think before you Speak se concentrent davantage sur la mise en place d’espaces sécuritaires et la promotion de la santé dans les différentes sphères de la vie des jeunes LGBTQ+. D’autres, comme The Safe Schools, Safe Space Kit et Ready Set Respect, se concentrent sur les meilleures pratiques auprès de ceux qui travaillent avec les jeunes LGBTQ+ (Ahuja et coll., 2015). Ces initiatives n’ont pas toutes fait l’objet d’un processus scientifique, comme c’est le cas de celles proposées pour contrer l’intimidation chez les jeunes non issus de la diversité sexuelle et de genre (Ouellet-Morin et Robitaille, 2017 ; Ttofi et Farrington, 2011). Ces initiatives auraient avantage à faire l’objet d’une évaluation scientifique, afin que nos jeunes LGBTQ+ bénéficient de la meilleure aide possible.

Les technologies d’information et de communication sont une avenue intéressante et innovante pour aider les jeunes LGBTQ+ qui vivent de l’intimidation (Ouellet-Morin et Robitaille, 2017). Les jeunes passent aujourd’hui de plus en plus de temps à utiliser la technologie (Mitchell et Finkelhor, 2003), la majorité d’entre eux considère même qu’elle est essentielle à leur vie sociale (Kowalski et coll., 2012). En outre, la technologie permet aux jeunes de se sentir plus à l’aise, car ces derniers trouvent plus facile d’aborder des sujets sensibles et intimes en ligne (Bradford et coll., 2015 ; Jacobs et coll., 2014 ; Ouellet-Morin et Robitaille, 2017 ; Webb et coll., 2008 ; Ybarra et Suman, 2006). Elle augmente aussi le sentiment de confidentialité et d’anonymité dont ces jeunes ont tant besoin lorsque vient le temps de se confier (Abreu et coll., 2016 ; Abreu et Kenny, 2018). De plus, la technologie offre la possibilité d’intégrer sous une même plateforme plusieurs concepts théoriques et de rejoindre plusieurs sphères de la vie des jeunes (p. ex. jeunes LGBTQ+, parents, professeurs et pairs). Elle peut aussi offrir un espace sécuritaire en donnant accès à des outils psychopédagogiques précieux pour augmenter les facteurs de protection qui soutiendront leur résilience pendant qu’ils évaluent leur désir de faire appel aux professionnels de la santé ou à un adulte pour leur venir en aide. Dans ce contexte, les nouvelles technologies et, plus spécifiquement les applications mobiles, renvoient à un outil complémentaire à la disposition des jeunes plutôt qu’un remplacement aux services déjà en place.

À notre connaissance, aucune application mobile validée scientifiquement n’a été développée pour la clientèle LGBTQ+. Nous adapterons l’application mobile +Fort/+Stronger than Bullying, qui a été développée par notre collaboratrice Isabelle Ouellet-Morin et son équipe (Ouellet-Morin et Robitaille, 2017). Celle-ci est disponible gratuitement sur les magasins Apple et Android en français et en anglais. +Fort/+Stronger than Bullying vise les jeunes de 12 à 16 ans. +Fort fournit aux jeunes de l’information, les aide à mieux comprendre leur expérience et les encourage à expérimenter des stratégies d’adaptation personnelles. Ses mécanismes d’action sont les suivants : 1) apprendre des informations sur l’intimidation basées sur les données probantes ; 2) s’engager dans une démarche de changement en regard de l’intimidation vécue ; 3) mettre des mots sur ce qu’ils vivent ; 4) explorer et évaluer des stratégies d’adaptation personnelles pour augmenter leur sentiment de contrôle et d’autodétermination sur leur vie (Ouellet-Morin et Robitaille, 2017).

Afin de nous guider dans le développement de la nouvelle application qui s’appellera +Fièr/+Proud, nous réaliserons des rencontres d’abord avec nos partenaires de la communauté, et ensuite avec des jeunes LGBTQ+ et leur famille, afin de préciser les fonctionnalités dont ils ont réellement besoin. Nous anticipons toutefois que ces fonctionnalités seront jugées essentielles : 1) évaluation quotidienne de l’expérience d’intimidation et de l’humeur ; 2) partage de l’expérience à l’entourage, si désiré ; 3) exploration et évaluation de stratégies d’adaptation personnelles ; 4) accès à de l’information de qualité sur la communauté LGBTQ+ ; 5) accès à un répertoire de ressources spécialisées et adaptées.

OBJECTIFS

L’application vise à diminuer l’intimidation des jeunes LGBTQ+ en leur donnant accès à une plateforme comportant les outils nécessaires pour soutenir leur résilience et être en contact avec des personnes susceptibles de les aider. Nous visons aussi à promouvoir la résilience de la famille, et ce, en encourageant par exemple le soutien social offert entre les membres de la famille. Plutôt que de seulement chercher à diminuer l’exposition aux facteurs de risque comme c’est le cas dans la plupart des interventions (Ross-Reed et coll., 2019), nous visons globalement à augmenter leurs facteurs de protection, ainsi que ceux de leur famille, en plus de diminuer l’intimidation à laquelle ils sont confrontés. Nous veillerons aussi à munir l’application d’une politique stricte de protection de la vie privée, afin que les jeunes se sentent en sécurité pour se confier.

MÉTHODE

Le protocole sera basé sur un devis mixte. Le projet fera aussi l’objet d’une collaboration avec des partenaires communautaires (community-based practice), comme le recommandent les bonnes pratiques (Schriber et coll., 2017). Cette façon de faire nous évitera d’avoir des angles morts que nous pourrions parfois avoir en tant que chercheur. Ainsi, nous récolterons l’information la plus juste possible pour qu’à terme l’application mobile corresponde aux besoins réels de ceux qui l’utiliseront. Une théorisation ancrée (Paillé, 1996) nous permettra d’analyser les données brutes récoltées lors de ces consultations.

A. Participants

Lors des deux phases, nous recruterons 20 jeunes LGBTQ+ de 13 à 17 ans, 20 adultes émergents de 18 à 25 ans, ainsi que 20 parents de jeunes LGBTQ+ (N = 60). Un groupe d’âge différent nous permettra de tenir compte des différentes périodes de développement et des relations différentes avec les parents.

B. Protocole

Le protocole est présenté visuellement à la figure 1. Il est pertinent de mentionner qu’une phase préliminaire est prévue pour réaliser une consultation communautaire (p. ex. Projet 10, PFLAG et Jeunes identités créatives), afin de leur partager le protocole de recherche et solliciter leur expertise pour l’élaboration de chacune des phases. Dans le cadre de la première phase, les participants essaieront l’application mobile +Fort/+Stronger than Bullying pendant 1 mois, avant de participer à des entretiens individuels et de groupe focalisés (focus groups). Les bénéfices de chacune de ces modalités nous permettront de récolter des données d’une grande richesse. (p. ex. certains parents pourraient être réticents de parler de leurs besoins en groupe, mais pourraient élaborer davantage sur la pertinence de l’application mobile avec cette même modalité). Lors de ces entretiens, la première partie estimera leurs besoins, leurs difficultés, leurs forces et leurs moyens d’adaptation actuels. La partie suivante évaluera la pertinence et l’utilité perçue des différentes fonctionnalités de l’application mobile, en plus de leurs commentaires pour son adaptation. Un comité d’experts formulera des recommandations qui, en conjonction avec les facteurs de risque et de résilience de l’intimidation auprès de cette population, seront utilisées pour personnaliser l’application.

C’est alors qu’une nouvelle application adaptée aux jeunes LGBTQ+ sera accessible gratuitement sous le nom de +Fièr en français et +Proud en anglais. Dans le cadre de la deuxième phase, d’autres participants essaieront cette application mobile pendant 1 mois, avant de participer à des entretiens ayant la même forme que la première phase. Ceci servira à établir un plan pour la pérennité de l’application. Éventuellement, le programme de recherche prévoit un essai contrôlé randomisé avec des mesures objectives biologiques (p. ex. hormones de stress), afin d’évaluer l’efficacité de +Fièr/+Proud. Pour assurer la faisabilité et l’avancement de ce projet de recherche, une bourse sera octroyée à un auxiliaire de recherche s’identifiant comme trans dans le cadre de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leur famille. De plus, deux bourses seront octroyées à des auxiliaires de recherche s’identifiant comme membre de la communauté LGBTQ+, dans le cadre de fonds provenant d’autres agences fédérales canadiennes.

Figure I

Protocole du programme de recherche

Protocole du programme de recherche

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CONCLUSION

Avec +Fièr/+Proud, nous espérons fournir les outils technologiques nécessaires pour augmenter les facteurs de protection et favoriser la résilience des jeunes LGBTQ+ victimes d’intimidation et leur famille. +Fièr/+Proud les aidera à mieux s’adapter face à l’adversité qu’ils vivent et aidera à diminuer les risques de développer des troubles de santé mentale et physique. À terme, notre espoir est que les jeunes LGBTQ+ n’aient plus à être confrontés à ces sources de stress sociaux seuls. +Fièr/+Proud représente un vecteur de changement vers un monde plus sécuritaire pour ces jeunes et leur famille.