Recensions hors thème

La tyrannie des droits, de Brewster Kneen, Montréal, Éditions Écosociété, 2014, 166 p. [Édition originale : The Tyranny of Rights, traduit de l’anglais par Daniel Poliquin.][Record]

  • Magali Marc

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Dans La tyrannie des droits, Brewster Kneen entend démontrer que la revendication de défense des droits de la personne qui était, au départ, essentiellement un discours tenu par les dissidents en lutte contre les dictatures dans l’arène internationale post-guerre-froide, a été récupérée et se trouve maintenant monopolisée par les riches et les puissants de la planète qui ont imposé le langage des droits pour le substituer à la notion de justice sociale. Afin de défendre cette position, l’auteur consacre la moitié de ce livre à étayer sa thèse de la prise en main de l’« universalité » des droits par les États occidentaux qui s’emploient à imposer une tyrannie linguistique et conceptuelle de la notion de « droits ». Ainsi les entreprises prétendant être des personnes sur le plan juridique et moral revendiquent pour elles-mêmes les droits humains de manière à assurer leur hégémonie et à protéger leurs profits. L’auteur voue les sept premiers chapitres à étayer sa thèse décrivant la montée de l’individualisme (chap. 2) et du discours des droits comme discours dominant (chap. 3). Adossé à un postulat d’universalisme des droits que Kneen considère comme une imposture (chap. 4), l’État devient l’objet des demandes de redressement. Le « grand public » et ses responsabilités morales ou politiques sont relégués dans l’ombre comme le veut l’idéologie néolibérale et la dépendance à l’égard de l’État est accrue (chap. 6). La paternité du postulat selon lequel le droit à la propriété fait partie des droits de la personne revient à John Locke, nous dit Kneen (chap. 7). Mais Locke écrivait à l’ère préindustrielle. La montée de la puissance privée, notamment aux États-Unis au dix-neuvième siècle, a donné lieu à la création d’une multiplicité d’entreprises dont certaines acquièrent des « droits », c’est-à-dire des brevets de propriété intellectuelle. Les compagnies pharmaceutiques qui souhaitent protéger leur propriété intellectuelle sur leurs médicaments ou des compagnies comme Monsanto qui protège la propriété de ses semences sont citées en exemples. L’État, dit l’auteur, va même jusqu’à s’autoriser à utiliser des bombardements et des invasions (comme les États-Unis en Irak et en Afghanistan) au nom de la défense des droits démocratiques. Il cite Milan Kundera (L’immortalité, 1990) : « À mesure que la lutte pour les droits de l’homme gagnait en popularité elle perdait tout contenu concret, pour devenir finalement l’attitude commune de tous à l’égard de tout, une sorte d’énergie transformant tous les désirs en droits. » (p. 52) Dans les chapitres suivants, Kneen passe en revue les droits relatifs à la propriété (chap. 8), le droit à l’alimentation (chap. 9), les droits des agriculteurs et ceux des sélectionneurs (chap. 10), les droits fonciers (chap. 11), les droits et les ressources de la création à la commercialisation (chap. 12), le droit de l’eau (chap. 13), les droits de la nature : plantes, animaux, poissons (chap. 14), les droits de l’intellect (chap. 15), le droit de mourir comme on veut (chap. 16) et le droit d’ingérence (chap. 17). Kneen entend distinguer les droits, concept juridique, et le respect, concept moral. D’après lui, le régime des droits est une responsabilité définie en termes juridiques et dévolue à l’État. De même, les interventions humanitaires et le droit d’ingérence peuvent servir à détourner l’attention des situations ou des pratiques d’inégalité sociale et économique et du coup déresponsabiliser les autorités locales. On en vient à s’interroger sur le respect du principe de la souveraineté de l’État, nous dit-il. La souveraineté devient un « attribut sélectif » défini par les grandes puissances qui trouvent du coup le moyen de justifier des interventions qui servent leurs intérêts. L’auteur conclut que …