Recensions

Comprendre l’État d’Israël : idéologie, religion et société, de Yakov Rabkin, Montréal, Ecosociété, 2014, 269 p.[Record]

  • Erik Burgos

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L’effervescence politico-médiatique associée à la question israélienne semble avoir gagné depuis longtemps l’opinion publique internationale. Cette focalisation permanente, dont la dernière manifestation en date est la reconnaissance officielle par les autorités suédoises de l’État palestinien, rend toute analyse – aussi rigoureuse soit-elle – complexe. Le dernier ouvrage de Yakov Rabkin, professeur d’histoire à l’Université de Montréal, est à cet égard manifeste. Car, avouons-le d’emblée, caveat lector : son titre est trompeur. Il s’agit moins ici de mettre l’accent sur une analyse classique du système politique, religieux ou sociétal israélien que de proposer une contre-histoire de l’idéologie sioniste qui le sous-tend. Sur le fond, c’est donc dans le sillage des nouveaux historiens israéliens – mouvement qui remet en cause depuis les années 1980 certains postulats habituels de l’historiographie hébraïque – que s’inscrit la démarche intellectuelle de l’auteur. Celui-ci souhaite en réalité « mettre en relief des pans entiers de l’histoire » (p. 16) et « remettre à l’ordre du jour des aspects de l’histoire qui ont fini par tomber dans les oubliettes » (p. 17). Connu du grand public canadien pour ses interventions médiatiques, l’universitaire n’en est pas à sa première diatribe : déjà en 2004, dans une monographie controversée et intitulée Au nom de la Torah, il vilipendait, à l’aune d’une herméneutique antisioniste religieuse, cette prétention à l’émancipation nationale que représente selon lui le sionisme. Reprenant pour partie les mêmes idées maîtresses et la même verve critique, ce nouvel opus avance l’hypothèse centrale du rejet intégral de l’idéologie sioniste par une grande majorité de juifs (p. 12) dont le ferment principal serait la rupture religieuse profonde et la perte de repères traditionnels qu’aurait entraînées l’apparition au vingtième siècle de ce nationalisme ethnique juif que Rabkin nomme le « national-judaïsme » (p. 13). Cette thèse et ses implications normatives sont savamment ordonnancées tout au long des neuf chapitres que comporte Comprendre l’État d’Israël. Les quatre premiers chapitres abordent la question des origines et de la nature du projet sioniste. Selon l’auteur, le sionisme en tant qu’idéologie politique aurait été inspiré par une vision antérieure, externe au judaïsme et propre au protestantisme de type messianique, voire eschatologique. D’abord formulé par la doctrine anglicane dite « dispensationaliste » portée par John Nelson Darby, repris depuis par d’autres ecclésiastiques, ce mouvement téléologique affirmait que « le Second Avènement du Christ n’est possible que si la Terre d’Israël appartient exclusivement aux juifs » (p. 55). Ce sionisme à l’européenne aurait ainsi impressionné en son temps un Theodor Herzl, lequel transposera finalement cette version en une variante judaïsante, création idéologique qui témoigne pour Rabkin d’une véritable déthéologisation des juifs au cours des dix-neuvième et vingtième siècles (p. 38-39). Parallèlement, l’expérience des nationalismes exclusifs d’Europe centrale et orientale aurait également eu un impact sans précédent sur la forme de nationalisme arboré par la société israélienne, les activistes sionistes européens n’ayant pas connu « un nationalisme tolérant qui fasse une nette distinction entre la nation, la religion, la société et l’État » (p. 75). Les cinquième et sixième chapitres prolongent chronologiquement les précédents en cherchant à déterminer la position du mouvement sioniste par rapport au génocide juif et à ses implications communautaires. Bien que le massacre des Juifs demeure un événement fondamental dans le discours sioniste, l’ambiguïté régnerait quant aux positionnements des défenseurs du sionisme avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Parmi ceux-ci, la posture la plus contestable selon l’auteur est celle de la subordination de la question du sauvetage des Juifs d’Europe à l’édification d’un nouveau peuple hébreu : plusieurs tentatives auraient ainsi été entreprises dans le but avoué de faire échouer le sauvetage …