Recensions

Le grand bouleversement. La nature humaine et la reconstruction de l’ordre social, de Francis Fukuyama, Paris, Éditions de La Table Ronde, 2003, 414 p.[Record]

  • Jean-François Caron

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  • Jean-François Caron
    Université d’Ottawa

L’avènement de la « société de l’information » au milieu des années 1960 a engendré un « grand bouleversement » et d’importants changements en ce qui concerne la nature du travail, la production postindustrielle qui s’est mondialisée ou la liberté individuelle qui s’est accrue. À ces changements se sont également associés une augmentation du taux de criminalité et de désordre social, le déclin du principe familial comme fondement social à une baisse des mariages, des taux de natalité et de la confiance envers les institutions de l’État. Selon Francis Fukuyama, ces désordres seraient attribuables à une transformation des normes et des valeurs qui étaient à la base de la « société industrielle » qui nous a précédés. Face à l’individualisme excessif et à l’éclatement des anciens modèles de hiérarchie, F. Fukuyama s’inscrit dans la liste des auteurs qui ont fait porter leurs travaux sur le fait de savoir si les sociétés occidentales pourront continuer à maintenir des normes morales et sociales nécessaires au « vivre-collectif » et à la présence d’un « cercle de confiance » entre les individus. Dans les sept premiers chapitres, F. Fukuyama constate par des études empiriques à quel point le « capital social », sans lequel il ne pourrait y avoir de société selon Charles Alexis Clérel de Tocqueville, s’est effrité dans les États occidentaux. À cet égard, Le grand bouleversement fait mention des problèmes liés à la criminalité, au sein de la famille et de la confiance. Dans les chapitres trois à cinq, l’auteur se prononce sur les causes généralement admises par les sociologues qui sont à la base du rétrécissement social que l’on observe. Il faut attendre les deuxième et troisième parties pour voir F. Fukuyama développer sa thèse. Réfutant les principes de Thomas Hobbes, de John Locke et de Jean-Jacques Rousseau selon lesquels l’état de nature était caractérisé par des individus isolés, il postule plutôt que « les hommes sont par nature des créatures politiques et sociales, et non des individus isolés et égoïstes » (p. 216). D’ailleurs, les études scientifiques tendraient à démontrer que le chimpanzé – le plus proche parent de l’homme sur le plan génétique – aurait un comportement essentiellement coopératif. Cette capacité de créer du capital social reposerait sur la nature humaine et le processus d’auto-organisation. Les liens de parenté et de réciprocité seraient à la base du premier élément. En effet, selon l’auteur, alors que « la sociabilité humaine commence avec la parenté » (p. 226), les individus en viennent rapidement à reconnaître que la « coopération entraîne à long terme de meilleurs résultats individuels » (p. 229), dont le degré dépendra du principe de la répétition. En s’appuyant sur des études de neurochirurgie, F. Fukuyama affirme également que l’homme est généralement motivé par l’altruisme et qu’il a une sensibilité innée par rapport aux lois morales, telles qu’elles sont développées par Emmanuel Kant. C’est ainsi qu’il croit que les hommes « parviennent à des normes de coopératives beaucoup plus aisément que les affirmations plus individualistes sur la nature humaine ne le laisseraient prévoir » (p. 249). Le processus d’auto-organisation reposerait également sur l’idée que les hommes soient en mesure de créer eux-mêmes du capital social et qu’ils soient capables de se coordonner d’eux-mêmes de façon informelle. Il n’en reste pas moins que F. Fukuyama ne va pas jusqu’à affirmer que le « capital social » est une création spontanée. Dans les chapitres treize et quatorze, il fait état de plusieurs raisons « pour lesquelles les sociétés ne seront pas toujours en mesure de s’en sortir avec des solutions d’ordre spontané » (p. 282). Selon lui, « les …