Comptes rendus

Frédéric Marty, Louise Dupin. Défendre l’égalité des sexes en 1750, Paris : Classiques Garnier, 2021, 338 pages[Record]

  • Aurélie Knüfer

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  • Aurélie Knüfer
    Université Paul-Valéry
    Institut universitaire de France

Louise Dupin (1706-1799) est encore peu connue des philosophes. Elle est parfois mentionnée comme salonnière, proche de certains penseurs des Lumières, tels Montesquieu, Voltaire ou l’Abbé de Saint-Pierre. On se souvient que Rousseau a été son secrétaire pendant quelques années. On signale enfin son Ouvrage sur les femmes, texte inachevé dont on pense souvent — à tort — qu’il visait, en s’inscrivant dans une tradition remontant à la querelle des femmes, à produire un éloge des femmes et de leurs vertus. Tiré de sa thèse en Lettres modernes soutenue en 2014 à l’Université de Toulouse, l’ouvrage de Frédéric Marty permet de dépasser de tels poncifs et devrait retenir l’attention des historien·ne·s de la philosophie. Il constitue une bonne introduction à la pensée d’une théoricienne remarquable, dont l’invisibilisation tient en grande partie au phénomène bien documenté, par l’histoire féministe de la philosophie, de l’effacement des femmes du canon. La méconnaissance de la pensée de Louise Dupin est aussi l’effet de circonstances matérielles singulières : la dispersion de la plupart de ses « papiers » à la suite de ventes aux enchères dans les années 1950. Étudier cette philosophe exigeait au préalable un patient travail de localisation des sources et de transcription des manuscrits, auquel l’auteur du présent ouvrage a largement contribué (p. 24-27). Il a déjà fait paraître quelques chapitres de l’Ouvrage sur les femmes dans différentes revues. Il prépare actuellement un nouveau livre dans lequel d’autres seront donnés à lire. Frédéric Marty n’est ni le premier ni le seul à avoir entrepris d’exhumer l’oeuvre de Louise Dupin. Dans un article, Angela Hunter retrace l’histoire de ces recherches au long cours, depuis les travaux pionniers d’Anicet Sénéchal, dans les années 1960, et ceux de Jean-Pierre Le Bouler, dans les années 1970-1980. Plus récemment, une biographie de Louise Dupin a été publiée. Il faut noter enfin qu’Angela Hunter fera paraître prochainement une sélection d’extraits de l’Ouvrage sur les femmes traduits en anglais, accompagnés d’un appareil critique. Parfaitement informé de ces travaux, le livre de Frédéric Marty constitue le premier ouvrage universitaire consacré au parcours et à l’oeuvre de Louise Dupin. La première partie présente son milieu social et son « réseau relationnel ». Issue de la bourgeoisie et épouse d’un fermier général, elle reçoit dans son salon parisien de nombreux aristocrates, mais aussi des philosophes et des scientifiques. Elle est proche de certains membres de l’Académie des sciences et s’informe régulièrement de leurs travaux. Ce premier moment du livre se penche également sur les relations entre Rousseau et le couple Dupin. L’Ouvrage sur les femmes fait l’objet de la seconde partie. Frédéric Marty émet des hypothèses convaincantes au sujet de la chronologie — entre 1743 et 1751 environ — et de la méthode d’écriture de ce texte aux ambitions encyclopédiques. Il en propose également un plan et un résumé, ainsi que la liste des 47 articles qui devaient le composer (p. 311). Enfin, il s’efforce de mettre au jour les « sources » de la philosophe. Il examine ainsi son rapport à Poulain de la Barre, auquel elle emprunte sa critique cartésienne des préjugés ainsi qu’une partie de sa généalogie des inégalités entre les femmes et les hommes. Les quelques pages consacrées à Marie de Gournay sont moins convaincantes : Frédéric Marty ne parvient pas à justifier cette comparaison. Pourquoi Marie de Gournay plutôt que Gabrielle Suchon ou Anna Maria Van Schurman, pour ne citer qu’elles ? Plus généralement, c’est l’inscription de Louise Dupin au sein de l’histoire de la philosophie féministe qui n’est pas suffisamment explorée. Il eût sans doute été plus fécond d’avancer dans cette voie, …

Appendices