Disputatio

Aron, philosophe de l’histoire ou sociologue dans l’histoire ?[Record]

  • Olivier Leclerc-Provencher

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  • Olivier Leclerc-Provencher
    Professeur d’éthique et de culture religieuse, École secondaire Henri-Bourassa (Montréal)

Comment penser politiquement lorsque la société ou le monde dans lequel nous évoluons semble traverser une « crise » historique profonde : effondrement des valeurs, perte de sens, crise de la vérité, approche de la guerre, etc. ? C’est la grande question sous-jacente à l’ouvrage de Sophie Marcotte Chénard, Devant l’histoire en crise. Raymond Aron et Leo Strauss. Plus spécifiquement, l’auteure s’attaque à cette vaste problématique en présentant la philosophie de deux grands auteurs — Strauss et Aron — qui ont pensé la politique à un moment charnière de l’histoire du xxe siècle. D’ailleurs, l’étude « du parcours croisé » de ces deux penseurs autour et à partir de la « crise de l’historicisme » est admirablement effectuée. Il faut ainsi saluer brièvement la grande valeur de l’ouvrage de Sophie Marcotte Chénard, qui traite avec une maîtrise certaine et une étonnante clarté d’une multitude de sujets à la fois complexes et difficiles, sans jamais que le propos de l’ouvrage soit lourd, obscur ou même ennuyeux. Parallèlement à cette remarque, il faut ajouter que la présentation de l’auteure ne bascule pas non plus dans les explications superficielles ou les résumés trop simplifiés. En ce qui concerne plus précisément son versant aronien, le livre Devant l’histoire en crise a le mérite de révéler au lecteur trois aspects de la pensée d’Aron qui n’avaient pas encore été explicitement traités par les commentateurs de l’oeuvre. Premièrement, nous l’avons évoqué, le travail de l’auteure expose et reconstruit habilement un dialogue entre Leo Strauss et Raymond Aron sur la question de l’historicisme et, plus largement, sur leurs différentes conceptions de la philosophie politique. En plus de son intérêt indéniable, cette matrice qui constitue le socle de l’ouvrage établit un lien significatif et nuancé entre deux penseurs importants qui n’avaient jamais été rapprochés de la sorte auparavant. Deuxièmement, dans le troisième chapitre du livre, en s’attaquant aux sources allemandes de la pensée aronienne, l’auteure dévoile les liens théoriques qui existent entre Aron, Dilthey et Rickert. En plus de l’habileté à rendre intelligible cette filiation complexe, l’auteure est l’une des rares parmi les spécialistes d’Aron à traiter de cet enjeu. Mise à part Sylvie Mesure, dont les travaux datent déjà de quelques décennies, Sophie Marcotte Chénard est la seule spécialiste, dans le monde francophone, à explorer en profondeur et avec aisance les origines germaniques de la philosophie aronienne. Pour souligner encore une fois les mérites du troisième chapitre, il faut attirer également l’attention du lecteur sur le fait que le contenu de L’Introduction à la philosophie de l’histoire — la thèse de doctorat de Raymond Aron —, texte aride dont le propos à forte teneur épistémologique tranche nettement avec la clarté des écrits politiques d’Aron qui paraissent après-guerre, est exposé dans ses grandes lignes et relié avec clarté et précision, par l’auteure, au néokantisme allemand. Troisièmement, au quatrième chapitre, l’auteure montre aussi clairement la manière dont Raymond Aron s’est approprié et a incorporé à sa propre réflexion politique des éléments de la sociologie de Max Weber. Encore une fois, Sophie Marcotte Chénard est l’une des rares spécialistes à expliciter plus en profondeur le lien entre ces deux penseurs. Si l’on souligne presque toujours automatiquement le rapport revendiqué entre Aron et Weber, peu de commentateurs sont capables d’expliquer véritablement et de manière précise les ramifications qui unissent les deux théoriciens. À cet égard, le passage du livre intitulé « La théorie de l’histoire comme philosophie de l’action politique » est particulièrement révélateur. L’auteure le rappelle d’ailleurs dans une note de la page 227, mais une telle exposition est assez novatrice. Finalement, pour ces trois raisons et surtout …

Appendices