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Le terme « remodelage » désigne une dynamique biologique qui se développe au sein d’un organe ou d’un tissu et qui, à travers des mécanismes à visée le plus souvent adaptative, conduit finalement à une dégradation de sa fonction. Ce processus est le fait de la plasticité du vivant qui permet aux cellules de modifier l’expression de leurs gènes en fonction de modifications de leur environnement. Celles-ci sont à l’origine de nombreux signaux qui sont intégrés par l’organe, le tissu et les cellules qui le constituent, ces dernières activant diverses voies de transduction conduisant à la reprogrammation de l’expression de leurs gènes. Ces cascades de signaux extra- et intracellulaires constituent autant de cibles potentielles pour des thérapeutiques visant à contrôler le remodelage et à en prévenir les aspects délétères.

Ce schéma général s’applique particulièrement bien aux événements biologiques survenant, au niveau du coeur, à la suite des multiples et diverses agressions que constituent pour le myocarde et les cellules qui le constituent les syndromes coronariens aigus (Encadré 1). Ceux-ci, au contraire de la brève ischémie myocardique de l’angor d’effort, dont l’effet de préconditionnement est protecteur, conduisent à divers degrés de lésion myocardique, qui vont des lésions topographiquement limitées, faisant suite à des emboles plaquettaires à partir d’un caillot formé sur une plaque rompue dans le cadre de l’angor instable, jusqu’à la nécrose des cellules de toute l’épaisseur - de l’endocarde à l’épicarde, l’infarctus est alors appelé transmural - d’un segment du ventricule gauche, à la suite de l’occlusion complète et prolongée d’une grosse artère épicardique.

Si les mécanismes du remodelage ventriculaire secondaire à un infarctus transmural sont maintenant bien connus, en particulier grâce à l’étude de modèles expérimentaux simples, il n’en va pas de même des remodelages succédant aux embolies distales spontanées (dans le cadre de l’angor instable) ou associées aux procédures de revascularisation, ou encore aux lésions infligées au myocarde par la reperfusion du tissu ischémique, qu’il s’agisse là encore d’un processus survenant lors de la lyse spontanée du caillot ou, au contraire, provoqué par les procédures de revascularisation. Au décours de l’infarctus transmural, le remodelage est caractérisé par la dilatation et la déformation progressive de la chambre ventriculaire, associée à une désadaptation du couplage ventriculo-artériel.

Qu’est-ce que le remodelage ventriculaire post-infarctus ?

Le remodelage ventriculaire est un processus complexe, dynamique, qui débute dans les toutes premières minutes suivant l’occlusion coronaire et se poursuit pendant plusieurs semaines (Encadré 2). Chez le rat, où il a été étudié extensivement à la suite de la ligature de l’artère interventriculaire antérieure, on peut le décrire dans le temps selon trois phases et, dans l’espace, selon trois niveaux.

Phases du remodelage post-infarctus

Les premiers jours associent nécrose cellulaire, oedème et inflammation tissulaire : les polynucléaires neutrophiles et les macrophages envahissent la zone infarcie et phagocytent les myocytes nécrosés jusqu’à la détersion complète du tissu infarci. La quantité de cellules inflammatoires se localisant principalement au niveau de la zone frontière entre tissu nécrosé et tissu sain croît jusqu’à la fin de la première semaine, puis décroît.

La seconde phase est la réparation fibrotique de la zone nécrosée : les myofibroblastes jouent un rôle essentiel dans ce processus, dès le troisième jour qui suit l’infarctus. Au 7e jour, on distingue trois zones dans l’infarctus : la zone centrale nécrosée, entourée d’une zone de macrophages et de myofibroblastes, puis d’une zone périphérique ou prédominent les myofibroblastes.

Un mois après l’infarctus, on ne retrouve pratiquement plus de cellules inflammatoires et les myofibroblastes ont envahi la totalité de la zone infarcie qui est le siège d’un important dépôt de collagène. Parallèlement, le myocarde non infarci subit un remodelage hypertrophique associant hypertrophie des myocytes, hyperplasie des cellules non musculaires et fibrose interstitielle.

Niveaux du remodelage post-infarctus

Le remodelage concerne les trois niveaux d’organisation structurale et fonctionnelle du coeur, auxquels on peut rajouter un 4e niveau moléculaire.

Le premier niveau est celui de la pompe cardiaque ou, pour simplifier, du ventricule gauche, structure tridimensionnelle de forme ellipsoïde constituée de myocarde réparti autour d’une cavité dont le volume change en permanence au cours du cycle cardiaque.

Le second niveau est celui du myocarde, tissu musculaire constitué de myocytes répartis en plusieurs couches, de cellules non musculaires, de vaisseaux et de matrice extracellulaire. Ce niveau inclut la zone infarcie et la zone non infarcie du ventricule. La région infarcie subit un remodelage cicatriciel, tandis que les régions du myocarde qui n’ont pas subi - ou ne vont pas subir pendant la phase aiguë - d’ischémie participeront, essentiellement par l’intermédiaire d’une hypertrophie des myocytes, au processus d’adaptation de la pompe ventriculaire à ses nouvelles conditions de fonctionnement.

Le troisième niveau est celui des cellules constitutives du myocarde, et en premier lieu des myocytes, cellules musculaires striées présentant de grandes similitudes structurales et fonctionnelles avec les cellules des muscles du squelette, qui vont accroître leur volume par divers degrés d’augmentation de longueur ou d’épaisseur selon le type de surcharge mécanique qu’ils subissent.

Le quatrième niveau est moléculaire, des isoformes de protéines absentes à l’état normal se trouvant anormalement exprimées (actine α-squelettique), d’autres voyant leur expression augmentée (chaîne lourde β de la myosine, peptides natriurétiques de type A et B…) ou encore diminuée (chaîne lourde α de la myosine, Ca2+-ATPase du réticulum sarcoplasmique…) à l’occasion du processus de remodelage (réexpression du programme foetal).

Dans le post-infarctus, chacun de ces niveaux est concerné par un processus de remodelage spécifique et relativement autonome. Ils se retrouvent dans les autres situations pathologiques qui créent une surcharge chronique de travail hémodynamique pour le ventricule gauche, mais le cas de l’infarctus est compliqué par la coexistence de deux tissus dont l’évolution est distincte, voire opposée : la cicatrice, qui va devoir résister aux contraintes mécaniques, et les régions non nécrosées, qui vont participer aux mécanismes d’adaptation de la pompe ventriculaire à ses nouvelles conditions de fonctionnement.

La dilatation ventriculaire, primum movens du remodelage cardiaque

Dans le cas typique d’un infarctus transmural d’étendue significative, le remodelage du ventricule est caractérisé par une dilatation extrêmement précoce, observée dès la 3e heure et n’évoluant pratiquement plus pendant la première semaine [1].

La perte de fonction contractile d’une partie du myocarde amène en effet le ventricule à se dilater presque instantanément pour maintenir son volume d’éjection au prix d’une élévation de la pression qui y règne en fin de remplissage. Cette dilatation est adaptative, tendant à maintenir le débit cardiaque à la suite de la perte d’une partie du capital contractile. Par le mécanisme de Frank-Starling, l’étirement des myofibres permet en effet d’augmenter la contractilité des myocytes. En outre, un moindre raccourcissement des sarcomères est suffisant pour assurer un même débit cardiaque quand les dimensions du ventricule sont augmentées. Il s’y associe une déformation de la chambre ventriculaire dont l’importance dépend de la taille et de l’évolution de la zone infarcie. Avec la dilatation, la déformation de la chambre ventriculaire est responsable d’un découplage ventriculo-aortique, cause d’une augmentation de l’impédance systolique, véritable moteur de la surcharge mécanique chronique du ventricule. Il en résulte un déséquilibre entre l’élévation des contraintes mécaniques, qui s’exercent sur les régions indemnes et nécrosées du ventricule, et la capacité de chacune de ces régions à développer les forces nécessaires pour assurer un débit cardiaque suffisant.

L’augmentation du volume du ventricule, sa déformation, le découplage ventriculo-artériel en résultant et la dysfonction contractile qui y est associée, mis en évidence dès les premiers jours qui suivent l’infarctus [2], constituent l’élément central du remodelage précoce du post-infarctus et de la dégénérescence à plus long terme de la fonction pompe du coeur : c’est le plus fort facteur prédictif de mortalité et de morbidité au cours des mois et des années qui vont suivre [3, 4]. C’est pourquoi toutes les mesures thérapeutiques sont mises en oeuvre pour éviter la dilatation en agissant sur ses causes le plus en amont possible : diminution de la durée et de l’étendue de l’ischémie myocardique par une revascularisation aussi rapide que possible ; diminution des lésions de reperfusion et, en cas d’infarctus constitué, limitation de la dilatation ventriculaire. Ces objectifs constituent autant de sujets de recherche expérimentale et clinique pour diminuer la mortalité, non plus à court terme, mais à moyen et long terme, des patients atteints d’un syndrome coronarien aigu.

Mécanismes impliqués dans le remodelage ventriculaire

L’élévation de la pression de remplissage du ventricule en fin de diastole est responsable d’un étirement des myocytes, principal mécanisme à l’origine de la reprogrammation de l’expression de leur génome qui conduit à leur hypertrophie et à l’augmentation de la masse du myocarde non nécrosé. Quand l’étirement diastolique persiste, il est responsable d’un allongement des myocytes par adjonction de sarcomères en série qui participe à la dilatation du ventricule. Mais, d’après la loi de Laplace (σ = kP.r/e), à pression égale ou même faiblement diminuée, la dilatation du ventricule (augmentation du rayon r) est aussi responsable d’une augmentation de la charge (contrainte = σ) et donc de la force que doivent développer les myocytes lorsqu’ils se contractent. Le mécanisme adaptatif mis en jeu est alors l’augmentation d’épaisseur (e) du myocarde qui tend à normaliser σ. Globalement, l’élévation des contraintes systoliques et diastoliques exerce sur la zone infarcie en cours de cicatrisation des contraintes mécaniques importantes qui, à un moment où elle s’amincit par détersion de la nécrose, peut conduire à la constitution d’un anévrisme, voire à la rupture du ventricule [5, 6]. Dans le cercle vicieux de la dilatation du ventricule, l’hypertrophie du myocarde non nécrosé « court » en quelque sorte derrière la dilatation sans arriver à la « rattraper » [7], d’autant que l’hypertrophie myocardique ne résulte pratiquement pas de l’hyperplasie des myocytes, mais de leur hypertrophie qui, bien que potentiellement importante, n’est pas illimitée.

Deux grandes voies de signalisation sont activées par l’étirement des myocytes et la stimulation neuro-hormonale observée à la phase aiguë des infarctus de grande taille compliqués d’insuffisance ventriculaire gauche : la voie des MAP kinases, activées par la stimulation des récepteurs à 7 domaines transmembranaires couplés aux protéines G (essentiellement Gαs et Gαq/α11 couplées aux récepteurs de la noradrénaline, de l’angiotensine II, et de l’endothéline) [8], et la voie de la calcineurine, activée par l’augmentation de la concentration en Ca2+ libre à l’intérieur des myocytes [9]. Ces deux voies aboutissent à l’activation de facteurs de transcription qui déclenchent, de façon additive ou non selon le gène considéré, le processus hypertrophique et la réexpression du programme foetal, mais qui peuvent aussi favoriser l’apoptose des myocytes. Une troisième voie, de découverte récente [10], est également activée par l’étirement des myocytes : elle fait intervenir des signaux qui trouvent leur origine au niveau de la ligne Z du sarcomère et des protéines d’ancrage de la ligne Z à la membrane cellulaire (costamère), et sont transmis au noyaux par une cascade de protéines en cours d’identification, dont, peut-être, la T-cap/téléthonine, la calsarcine et la calcineurine.

Remodelage de la matrice extracellulaire

Dans les premiers jours qui suivent l’infarctus, la nécrose des myocytes et leur détersion par les cellules inflammatoires prédominent. Ces phénomènes impliquent la dégradation de la matrice extracellulaire (MEC) et la mise en place d’une fibrose substitutive. Le remodelage de la MEC est régulé en grande partie par les métalloprotéinases de la matrice (MMP). Les MMP sont divisées en six familles selon leur structure et leur spécificité de substrat. Elles sont caractérisées par une région de liaison au zinc et la présence d’un domaine catalytique. La partie carboxyterminale est responsable de la reconnaissance des substrats et de l’association avec leurs inhibiteurs (TIMP, tissue inhibitors of metalloproteinases). L’activité des MMP est régulée à trois niveaux : l’expression, l’activation, et l’inhibition [11] (Figure 1).

Figure 1

L’activité MMP tissulaire est contrôlée à trois niveaux.

L’activité MMP tissulaire est contrôlée à trois niveaux.

L’expression des MMP (métalloprotéases matricielles) est stimulée par l’étirement, ainsi que par des peptides tels que l’angiotensine II, le TGF-β (tumor necrosis factor-β) ou certaines cytokines. Elles sont sécrétées sous forme de zymogène et doivent être activées. Cette activation se fait par d’autres MMP, ou par des sérine-protéases telles que la plasmine. L’activité protéolytique des MMP peut être inhibée par des TIMP (tissue inhibitors of metalloproteinases).

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La dégradation précoce de la matrice par les MMP permet l’infiltration des cellules inflammatoires et des macrophages nécessaire à la détersion du tissu nécrotique et à la cicatrisation [12]. La lymphe cardiaque post-ischémique est capable de stimuler la sécrétion et l’activation de la MMP-9 par les polynucléaires neutrophiles [13]. Etoh et al. [14] ont montré une activité gélatinolytique in vivo augmentée 80 minutes après l’infarctus. Bien que nécessaire pour la phagocytose des myocytes nécrosés, la dégradation précoce de la MEC est associée au risque de rupture du ventricule, puisque l’incidence de mortalité précoce par rupture ventriculaire est diminuée chez les souris MMP-9-/- ou MMP-2-/- [12, 15].

Les MMP sont sécrétées par la cellule sous forme de zymogènes et nécessitent une activation par clivage protéolytique. In vivo, cette activation est réalisée par d’autres MMP ou par des sérine-protéases. Le système plaminogène/plasmine est impliqué dans cette activation (pour revue, voir [16]). Le plasminogène circulant est activé en plasmine par d’autres sérine-protéases, l’uPA (urokinase-type plasminogen activator) et le tPA (tissue-type plasminogen activator), ces activateurs étant inhibés par le PAI-1. L’importance de ce système est démontrée dans le modèle d’infarctus constitué chez la souris dont le gène du plasminogènea été invalidé [17]. Dans ce modèle, les cellules inflammatoires ne migrent pas dans la zone infarcie et on observe la persistance d’une zone nécrotique plusieurs semaines après l’infarctus. La dilatation cavitaire n’est cependant pas prévenue. Plus en aval, les souris uPA-/- montrent également une altération de la cicatrisation normale et une persistance de la zone nécrotique. Une surexpression transitoire de PAI-1 donne des résultats semblables. La cicatrisation tardive chez ces souris est associée à une baisse du risque de rupture cavitaire [12].

Les TIMP, inhibiteurs endogènes des MMP, s’y associent par une liaison non covalente dans un ratio stoechiométrique de 1 :1. Au nombre de quatre (TIMP-1 à -4), seule la TIMP-4 est plus ou moins spécifique du coeur [18]. Les données concernant l’expression des TIMP dans le post-infarctus sont disparates : on observe généralement des augmentations de l’expression de leurs ARNm [19-22], mais les résultats divergent au niveau protéique [23-26]. Cependant, une baisse des taux protéiques des TIMP est le plus souvent rapportée, qui reflète une régulation post-transcriptionnelle importante. Cette baisse des TIMP implique un environnement plus permissif à la dégradation de la MEC par les MMP.

Le revers de la médaille de la dégradation de la MEC est son dépôt. La fibrose substitutive tente de maintenir l’intégrité structurale de la zone infarcie à la suite de la nécrose et de la détersion des myocytes. Les myofibroblastes apparaissent dans la zone infarcie dès le 3e jour et se colocalisent avec l’expression des collagènes I et III [22]. Les taux de collagène sont augmentés surtout dans la zone infarcie, mais aussi dans le myocarde non infarci. On observe dès le 3e jour après l’infarctus une augmentation des ARNm, avec un pic au 7e jour et une diminution ensuite [22, 27]. L’accumulation de collagène est donc plus tardive que sa dégradation, le décalage représentant la période de risque de rupture du ventricule. Les efforts thérapeutiques devraient logiquement viser à réduire une dégradation trop rapide de la MEC dans les premiers jours post-infarctus. Cependant, cette dégradation est nécessaire à la cicatrisation, comme le démontre les travaux d’Heymans et al. et de Creemers et al. menés chez des souris génétiquement modifiées [12, 17], et il est donc capital de ne pas la bloquer entièrement. L’accumulation chronique de collagène dans les semaines et les mois qui suivent l’infarctus représente cependant une menace importante pour la fonction ventriculaire [28], mais qui est maintenant minimisée par l’utilisation thérapeutique des inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone.

Reperfusion coronaire et phénomène d’absence de reperfusion (no-reflow)

L’étendue de l’infarctus et son caractère transmural sont des déterminants essentiels du remodelage ventriculaire [29, 30]. La réouverture précoce de l’artère occluse et la reperfusion tissulaire qui en découle limitent la taille de la zone infarcie et s’accompagnent d’un bénéfice clinique net en termes de mortalité, de survenue d’insuffisance cardiaque et d’arythmies [31]. Toutefois, une proportion de patients semble ne pas tirer bénéfice de cette reperfusion. Les dommages causés par la reperfusion sont connus [32] et incluent notamment des lésions au niveau de la microvascularisation. Ces lésions associent un dysfonctionnement endothélial à une obstruction microvasculaire, liée à une embolisation distale de débris thrombotiques et d’érythrocytes, ainsi qu’à la migration de polynucléaires. Il s’agit d’un phénomène dynamique prenant place au cours des premiers jours de l’infarctus. La conséquence en est finalement une insuffisance ou une absence de reperfusion (no-reflow) au niveau tissulaire, en dépit d’une artère épicardique réouverte [33], qui prolongent et aggravent l’ischémie et la mort cellulaire du territoire concerné. Différentes techniques cliniques permettent de documenter ce phénomène : visualisation échographique ou par IRM (imagerie par résonance magnétique) d’un défaut de prise de contraste tissulaire après injection intracoronaire ou périphérique d’un soluté, mesure de la réserve coronaire par Doppler.

La présence d’un phénomène de non-reperfusion a été associée au remodelage ventriculaire [34, 35]. De façon intéressante, la corrélation entre le degré d’obstruction microvasculaire et le remodelage semble indépendante de la taille de l’infarctus [36]. Cela semble être dû à un effet de l’obstruction microvasculaire sur la mécanique ventriculaire : en effet, l’obstruction microvasculaire altère très précocement la distensibilité de la zone infarcie (rôle de l’hémorragie et de l’oedème intramyocardique), puis des régions adjacentes [36], provoquant une augmentation du stress pariétal local et finalement du remodelage. Ainsi, un des défis thérapeutiques actuellement non résolu est l’obtention la plus rapide possible d’une reperfusion tissulaire optimale, et pas seulement la réouverture de l’artère épicardique.

Impact des thérapeutiques sur le remodelage ventriculaire post-infarctus

Traitements médicamenteux « antiremodelage »

De nombreux agents thérapeutiques visant à réduire le remodelage ventriculaire après l’infarctus sont couramment utilisés en clinique, en général après avoir été testés dans des modèles expérimentaux animaux, tandis que d’autres sont encore en cours d’étude dans ces modèles. Les dérivés nitrés donneurs de monoxyde d’azote (NO), par leurs effets vasodilatateurs artériels et veineux, réduisent les pressions artérielles et la pression de remplissage du ventricule, et donc les contraintes pariétales systoliques et diastoliques ; un effet favorable sur le remodelage et notamment sur la taille de l’infarctus a ainsi pu être observé. Toutefois, les études cliniques de mortalité réalisées chez des patients bénéficiant d’une reperfusion ont échoué à démontrer un quelconque bénéfice de ces agents [37, 38].

En revanche, les β-bloquants et les antagonistes du système rénine-angiotensine-aldostérone ont clairement montré un bénéfice sur la mortalité. Les β-bloquants agissent classiquement par le biais d’une baisse de la consommation en oxygène du myocarde, résultant en une réduction de la taille de l’infarctus et une diminution du risque d’arythmies. Il agissent aussi probablement en bloquant l’effet direct des catécholamines sur les myocytes. L’utilisation des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine I (IEC) a été validée par 7 essais randomisés, menés contre placebo, qui ont montré de façon univoque une réduction de la mortalité [39]. Dans plusieurs de ces essais, le traitement, débuté dans les 24 premières heures suivant l’infarctus, montrait un bénéfice dès le premier jour. Un effet hypotenseur précoce trop marqué s’est toutefois révélé délétère.

Comme pour l’insuffisance cardiaque chronique, le bénéfice obtenu avec ces agents dépasse celui attendu d’un simple effet vasodilatateur, suggérant une action spécifiquement liée à leur inhibition des effets cardiaques de l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone. En effet, le remodelage est, au-delà des catécholamines, largement influencé par l’angiotensine II et l’aldostérone [40, 41]. De plus, ces agents diminuent le renouvellement (turn-over) du collagène dans divers modèles expérimentaux. Plusieurs essais cliniques ont montré qu’un antagoniste de l’aldostérone prescrit à faible dose (et donc dénué d’effet hypotenseur) diminuait la mortalité post-infarctus. De façon intéressante, cet effet était plus marqué chez les patients présentant des stigmates biologiques sanguins suggérant un turn-over plus important de la matrice extracellulaire (présence de fragments de dégradation du collagène ou du fragment aminoterminal du procollagène de type III) [42]. L’éplerone, un antagoniste de l’aldostérone de ce type, prescrit à plus de 6 000 patients entre les 3e et 14e jours après l’infarctus, a réduit la mortalité de 15 % [43]. Un autre essai a évalué plus précisément l’effet de la spironolactone, prescrite en plus des IEC dans les premières heures d’un infarctus antérieur reperfusé [44] : les patients traités avaient un mois après l’infarctus un ventricule nettement moins dilaté que ceux du groupe témoin et une fraction d’éjection du ventricule supérieure. L’hypothèse d’une action suppressive de la spironolactone sur le turn-over du collagène était à nouveau confortée par une réduction de la concentration plasmatique de procollagène de type III.

Une action plus directe sur la matrice extracellulaire (MEC) peut être obtenue avec des inhibiteurs des métalloprotéases matricielles (MMP) ou de leurs inhibiteurs endogènes (TIMP). L’utilisation de certains inhibiteurs des MMP résulte en une moindre dilatation ventriculaire dans l’insuffisance cardiaque expérimentale [45-47]. Toutefois, une transposition de ces résultats au contexte de l’infarctus aigu n’est pas évidente en raison d’un rôle différent du remodelage de la matrice extracellulaire, au cours du temps, dans les zones infarcie et non infarcie. En effet, de tels agents peuvent exposer à une moindre cicatrisation de la zone infarcie, et donc à un plus haut risque de rupture ventriculaire.

Place potentielle d’une thérapie cellulaire

La recolonisation de la zone infarcie par des myocytes cardiaques est une stratégie thérapeutique en cours d’évaluation ((→) m/s 2004, n° 6-7, p. 651). L’injection expérimentale, en zone infarcie ou en zone bordante de l’infarctus, de myoblastes ou de cellules pluripotentes ou progénitrices issues du sang ou de la moelle osseuse s’accompagne d’une amélioration du remodelage et de la fonction ventriculaire, et d’une néovascularisation. Néanmoins, la plupart de ces expériences ont été réalisées sur des infarctus constitués. Plusieurs essais cliniques ont déjà montré la faisabilité d’une telle pratique chez l’homme, par délivrance chirurgicale [48] ou endocoronaire [49] des cellules à distance de la phase aiguë. Les cellules de moelle osseuse semblent mieux adaptées pour recoloniser un infarctus aigu, avant la formation de la cicatrice fibreuse. Une étude menée sur 20 patients a également montré la faisabilité et la bonne tolérance de l’injection endocoronaire de telles cellules, précocement (3-4 jours) après un infarctus antérieur aigu reperfusé [50]. Ces résultats suggèrent une moindre dilatation ventriculaire, ainsi qu’une amélioration de la viabilité de la zone infarcie recolonisée par ces cellules ; toutefois, encore très préliminaires, ces données demandent à être validées par de grands essais multicentriques.

Conclusions

Les syndromes coronariens aigus doivent être considérés comme des modifications majeures de l’environnement cardiaque constituant autant de stress auxquels sont confrontés les myocytes, le myocarde et le ventricule. Face à ces stress, divers processus visant à préserver la fonction de l’organe sont mis en jeu, processus comportant souvent des aspects délétères à plus ou moins long terme, tels que la fibrose des régions non infarcies. De nombreux progrès thérapeutiques ont été réalisés au cours des dernières décennies pour minimiser ces effets délétères.

Il existe cependant des processus de défense naturelle du myocarde encore insuffisamment exploités au plan thérapeutique, tels que les mécanismes de pré- et post-conditionnement, ou encore la stimulation des voies de survie des myocytes lors des procédures de revascularisation myocardique. Ces mécanismes de mieux en mieux connus ((→) m/s 2004, n° 5, p. 521) seront à n’en pas douter exploités au cours des années à venir pour atténuer le remodelage cardiaque consécutif aux accidents coronariens aigus.

Enfin, il est certain que les capacités d’adaptation de chacun face à ces stress sont différentes. Des profils de patients à risque de remodelage délétère devraient pouvoir être établis à partir de phénotypes intermédiaires ou du génotypage des patients, autorisant en cela la mise en oeuvre de procédures thérapeutiques spécifiques à chaque individu et à chaque statut coronarien.