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Les facteurs de transcription de type Forkhead constituent un groupe d’une centaine de membres chez l’homme et possèdent des fonctions biologiques variées qui vont de la formation des organes à l’acquisition du langage. Au sein de ce groupe, la famille FOXO comprend quatre membres : FOXO1, FOXO3, FOXO4 et FOXO6. Les FOXO ont été particulièrement étudiés ces dernières années en raison de leur rôle pivot dans la voie de signalisation de l’insuline et des facteurs de croissance.

FOXO : des cibles cruciales de la voie PI3K-Akt

En réponse à l’insuline ou aux facteurs de croissance (IGF1, insulin growth factor 1), la protéine kinase Akt est activée et phosphoryle directement les FOXO sur trois sites régulateurs (Thr32, Ser253 et Ser315 pour FOXO3), conduisant ainsi à la séquestration de ces facteurs de transcription dans le cytoplasme [1]. À l’inverse, en l’absence d’insuline ou de facteurs de croissance, Akt est inactive et les FOXO migrent dans le noyau où ils agissent comme activateurs de la transcription, déclenchant ainsi une multitude de réponses cellulaires (pour revue, voir [2]). Les FOXO contrôlent l’arrêt du cycle cellulaire à la fois en phase G1 et en phase G2. Ces facteurs de transcription permettent également la réparation des dommages de l’ADN ainsi que la détoxication cellulaire des radicaux libres produits par le stress oxydatif. Enfin, dans certaines cellules comme les neurones ou les lymphocytes, les FOXO peuvent déclencher la mort cellulaire par apoptose.

Fonction conservée des FOXO dans la longévité des organismes

Les facteurs de transcription FOXO sont remarquablement conservés au cours de l’évolution. Chez le nématode Caenorhabditis elegans, le gène orthologue du gène codant pour les FOXO de mammifères (nommé Daf-16) est impliqué dans le contrôle de la durée de vie globale de l’organisme. En effet, les nématodes chez lesquels une mutation du récepteur de l’insuline a induit l’activation de FOXO ont une durée de vie trois fois supérieure aux nématodes témoins [3]. La capacité de FOXO d’accroître la longévité chez C. elegans semble être liée à l’induction, par ce facteur de transcription, de gènes de résistance au stress oxydatif. Les fonctions de FOXO dans la longévité et dans la résistance au stress oxydatif sont conservées au cours de l’évolution puisque l’activation de FOXO accroît aussi la durée de vie de la drosophile comme le montrent deux études récentes utilisant la production de drosophiles transgéniques pour FOXO [4, 5]. Chez les mammifères, le rôle des FOXO dans la longévité n’a pas encore été étudié mais l’accroissement de la longévité des souris déficientes pour le récepteur de l’IGF-1 ou de l’insuline suggère que, chez les mammifères, tout comme chez le ver ou la mouche, les FOXO pourraient être impliqués dans le contrôle de la durée de vie [6, 7].

Connexion entre les FOXO et le gène de longévité Sir2

En accord avec un rôle probable de FOXO dans le contrôle de la longévité, une série d’études récentes a révélé une nouvelle connexion entre les FOXO et le produit du gène Sir2 (SIRT1) [8-10]. La surexpression de Sir2 induit un prolongement de la durée de la vie chez la levure et le nématode [11]. De manière intéressante, Sir2 relaie les effets bénéfiques sur la longévité de la réduction de l’apport calorique ((→) m/s 2004, n° 1 p. 7) ou même du resvératrol, un composé présent dans le vin rouge [12]. Le gène Sir2 code pour une protéine à activité désacétylase. Sir2 désacétyle non seulement les histones mais aussi des facteurs de transcription comme p53 [13, 14], suggérant ainsi une connexion possible entre Sir2 et les facteurs de transcription FOXO. Notre groupe, ainsi que deux autres équipes, ont montré que Sir2 et FOXO interagissaient au sein d’un même complexe protéique en réponse au stress oxydatif (Figure 1). En outre, Sir2 désacétyle directement les FOXO in vitro et in vivo. Les effets de Sir2 sur la capacité qu’ont les FOXO de contrôler leurs gènes cibles semblent différer selon les gènes et peut-être selon les types cellulaires [8-10]. L’analyse comparative des trois études publiées indique que Sir2 inhibe la capacité des FOXO à promouvoir la mort cellulaire tout en facilitant leur déclenchement de la résistance cellulaire au stress. En d’autres termes, Sir2 serait un élément crucial pour faire pencher la balance en faveur de la résistance au stress et au détriment de la mort cellulaire [15]. Sachant que l’augmentation de résistance au stress est intimement liée à l’accroissement de la durée de vie, cette capacité de Sir2 de modifier les fonctions de FOXO en faveur de la résistance au stress pourrait expliquer l’effet positif de ces deux protéines sur la durée de vie. Il reste à déterminer si l’interaction physique entre Sir2 et les FOXO joue un rôle important dans le contrôle de la longévité de l’organisme entier chez les mammifères. Cela semble être le cas au moins chez le nématode, puisque que la capacité de Sir2 d’accroître la durée de vie nécessite la présence de Daf-16, l’orthologue de FOXO chez C. elegans [16].

Figure 1

Régulation, partenaires protéiques et rôles des protéines FOXO.

Régulation, partenaires protéiques et rôles des protéines FOXO.

TNF-α : tumor necrosis factor-α ; TGF-β : transforming growth factor-β ; PI3K : phospho-inositide 3-kinase ; IKKβ : I kappaβ kinase.

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Les FOXO sont-ils de nouveaux gènes suppresseurs de tumeurs ?

Une des observations très attrayantes résultant des études sur la longévité en général est que les mécanismes qui induisent une longue durée de vie semblent aussi protéger contre une série de maladies liées à l’âge, comme le cancer ou les maladies neurodégénératives. La première indication que les FOXO pouvaient jouer un rôle dans la tumorigenèse découle de l’observation selon laquelle FOXO1, FOXO3 et FOXO4 sont présents aux points de cassures chromosomiques impliqués dans des rhabdomyosarcomes (pour FOXO1) et des leucémies aiguës myéloïdes (pour FOXO3 et FOXO4). Les fonctions cellulaires des FOXO (arrêt du cycle cellulaire et apoptose) sont également en faveur d’une fonction de « suppresseur de tumeurs » de ces facteurs de transcription. Enfin, la phosphatase nommée PTEN, un suppresseur de tumeur connu, s’est révélée être un très bon activateur des FOXO. Mais ces données n’étaient que des arguments indirects, et le rôle direct des FOXO dans la tumorigenèse n’avait pas encore été étudié jusqu’à deux travaux récents. La première étude révèle une corrélation entre la présence de FOXO3 dans le cytoplasme de cellules cancéreuses dans des biopsies de cancer du sein et un pronostic défavorable pour ce cancer [17]. Ce résultat suggère que, lorsque FOXO3 est inactivé, la tumorigenèse est accélérée, probablement parce que les FOXO ne peuvent plus induire l’arrêt du cycle et l’apoptose. En parallèle, cette étude propose une nouvelle voie de signalisation contrôlant FOXO3 dans le contexte des cellules cancéreuses [17]. En effet, en réponse au TNF-α, la protéine kinase IKKβ (I kappaB kinase) phosphoryle FOXO3 et inhibe FOXO3 en induisant sa séquestration dans le cytoplasme et sa dégradation par la voie du protéasome (Figure 1). L’implication de FOXO3 dans la tumorigenèse est également suggérée par une étude du groupe de Joan Massagué démontrant que FOXO3 participe à la fonction cytostatique du TGF-β, une fonction essentielle pour empêcher l’apparition de tumeurs [18]. En effet, en réponse au TGF-β, FOXO3 interagit avec les facteurs de transcription de type Smad (Figure 1). Cette interaction entre les facteurs FOXO et Smad conduit à l’expression du gène codant pour p21, un inhibiteur du cycle cellulaire et par conséquent arrête la prolifération. Une forme constitutivement activée de FOXO empêche la prolifération cancéreuse de glioblastomes et restaure l’effet cytostatique du TGF-β dans ces cellules [18]. Les FOXO pourraient donc jouer un rôle crucial dans le cancer du sein et le glioblastome, deux types de cancer dans lesquels le gène suppresseur de tumeur PTEN est très fréquemment muté. Ces observations suggèrent que la famille FOXO joue un rôle majeur en aval de PTEN.

Rôle des FOXO dans l’atrophie musculaire

Ces rôles positifs de FOXO dans l’allongement de la durée de vie ou la protection contre le développement tumoral sont tempérés par la nouvelle fonction décrite pour les FOXO dans l’atrophie musculaire [19, 20]. Ces protéines sont exprimées dans les muscles striés et sont déphosphorylées et par conséquent activées par de nombreux stimulus conduisant à l’atrophie musculaire, comme les glucocorticoïdes ou le déficit en facteurs de croissance. L’expression d’une forme constitutivement activée des FOXO dans les fibres squelettiques in vivo induit l’atrophie de ces fibres musculaires (Figure 1). Un des gènes cibles de FOXO potentiellement impliqué dans cette atrophie musculaire est la protéine Atrogin-1. Atrogin-1 est une ubiquitine ligase qui induit la dégradation de nombreux substrats via la voie du protéasome, et conduit ainsi à l’atrophie musculaire.

Conclusions

Au vu de ces travaux, il semble donc que les FOXO ont de multiples actions en fonction des tissus et des organes cibles dans lesquels ces protéines s’expriment. Il sera donc intéressant de déterminer quelles sont les fonctions primordiales de chacun des membres de la famille FOXO, et ce dans chaque organe, et au cours du temps. Il est aussi fort possible que ces facteurs de transcription jouent des rôles différents lors de l’embryogenèse ou chez l’adulte. L’inactivation fonctionnelle de FOXO1, FOXO3 et FOXO4 chez la souris a récemment été réalisée [21, 22], mais ces études offrent pour le moment peu de réponses aux questions posées en raison de la redondance des membres de la famille FOXO et de la présence d’un quatrième membre, FOXO6. Comprendre les mécanismes moléculaires qui gouvernent l’action des FOXO sera une prochaine étape cruciale qui pourrait permettre de découpler les diverses fonctions physiologiques des FOXO et ainsi, peut-être, permettre de vivre longtemps tout en gardant ses muscles !