Recensions

Xavier Dufour, dir., Les grandes religions. Regards historique et chrétien. Préface de Jean-François Colosimo, Paris, Les Éditions du Cerf, 2018, 207 p.[Record]

  • Florence Pasche Guignard

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  • Florence Pasche Guignard
    Université Laval, Québec

Une huile sur toile de Paul Gauguin, intitulée « D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? » (1897), illustre la couverture de l’ouvrage recensé. Celui-ci présente comment les « grandes » religions ainsi que quelques autres traditions marginalisées ou considérées comme moins importantes, ou comme des « sagesses » (p. 32), appréhendent ces questions fondamentales. Cette nouvelle édition revue et augmentée d’un manuel publié pour la première fois en 2005 est parue alors qu’émergeaient des controverses autour de la conduite de Gauguin en Polynésie française, colonisée et catholicisée, auprès de ceux (et surtout celles) chez qui il avait fui la civilisation occidentale pour y trouver une inspiration et des valeurs autres que chrétiennes. Dans un contexte français généralement peu réceptif à ce type de polémiques, l’oeuvre en couverture n’a sûrement pas été choisie pour déconstruire l’exotisme et l’érotisme coloniaux de son artiste. Cette sélection s’explique mieux en raison de son titre et par ce que ce tableau représente d’une altérité religieuse telle que perçue d’un point de vue occidental. En ceci, un tel choix est cohérent avec la perspective de ce guide présenté comme « enraciné et citoyen » (quatrième de couverture) dont les contributions proposent un regard sur les « autres » religions. Le titre annonce d’emblée la couleur : Les grandes religions. Regards historique et chrétien. Précisément, ce regard est catholique puisqu’est invoqué dans la préface « l’esprit de dialogue prescrit par le concile Vatican II » (p. 5). Cet ouvrage n’est donc pas destiné à accompagner des cursus universitaires en sciences religieuses, mais plutôt à préparer des catholiques à un dialogue interreligieux qui consiste premièrement à distinguer dans les autres religions les semina verbi (les semences du Verbe, comme expliqué en p. 37). Un tel regard est peu ancré à l’observation anthropologique contemporaine et aux questionnements les plus récents de la recherche à l’international. Ce point de vue catholique, qui a le mérite d’être explicite et assumé, se remarque jusque dans les détails. Ainsi, les dates sont données selon le système « avant » ou « après J.-C. » plutôt qu’en référence à « l’ère commune ». Le point de vue proposé suffit à « dépasser la simple curiosité du touriste » (p. 6), mais certainement pas à une pensée critique sur le fait religieux qui, au-delà d’une explicitation, exige aussi une remise en question de son propre regard, de sa positionalité et de ses préjugés. L’ouvrage part en effet du présupposé que son lectorat, tout comme ses contributeurs et contributrices, sont catholiques et connaissent leur religion. Un retour au sommaire (p. 8 et 9) permet de le vérifier après le constat d’un saut étonnant du judaïsme à l’islam sans passer par le christianisme : après la préface (p. 5) et une très brève introduction (p. 6-7), l’ouvrage comporte six chapitres dont le premier porte sur l’universalité du fait religieux, les quatre suivants sur le judaïsme (chap. 2), l’islam (chap. 3), l’hindouisme (chap. 4) et le bouddhisme (chap. 5), et le dernier sur les nouvelles religiosités (chap. 6). Il n’y a donc aucun chapitre sur le christianisme, ce qui correspond à la visée exprimée dans la préface et l’introduction et ce qui disqualifie d’emblée ce manuel pour l’enseignement universitaire en sciences religieuses proprement dites. Le christianisme est ainsi soustrait au regard historique et critique. Est-ce que, comme affirmé dans la préface, « l’anthropologie chrétienne échappe au mythe scientiste et aux dérives sociologiques » (p. 5) ? Même si elle s’en défend, elle n’est en tout cas pas exempte d’un vocabulaire dépréciatif à l’égard des autres traditions. Ainsi, dans la page d’introduction du chapitre sur …

Appendices