Recensions

Gérard Leclerc, Rome et les lefebvristes. Le dossier. Paris, Éditions Salvator, 2009, 94 p.[Record]

  • Philippe Roy

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  • Philippe Roy
    Université Laval, Québec

Le dernier livre du philosophe et journaliste Gérard Leclerc — éditorialiste de France catholique — sort à point. En effet, après la publication du motu proprio Summorum Pontificum (7 juillet 2007) revalorisant le rite tridentin, après la levée des excommunications (21 janvier 2009) des quatre évêques sacrés par Mgr Marcel Lefebvre en 1988, après le motu proprio Ecclesiae unitatem (8 juillet 2009) par lequel Benoît XVI a rattaché la Commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la Doctrine de la foi, le monde occidental s’interroge sur l’issue des discussions doctrinales commencées le 26 octobre dernier entre Rome et les lefebvristes. En outre, l’intégration de la Commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la Doctrine de la foi n’est pas innocente : de pastoral et disciplinaire, son travail devient essentiellement doctrinal, ce qui est tout un changement de perspective. Le dialogue doctrinal s’est ouvert, mais il s’annonce difficile. Si Benoît XVI exige « l’acceptation du Concile Vatican II et du magistère post-conciliaire des papes » (lettre du 10 mars), les lefebvristes ne sont pas unis entre eux : le supérieur de la Fraternité Saint Pie X, Mgr Fellay, a déclaré accepter 95 % du Concile (La Liberté, 2001) et semble favorable à un accord, tandis que l’un de ses confrères, Mgr Tissier de Mallerais, affirmait le 3 juillet dernier, que « jamais nous ne signerons de compromis ; les discussions n’avanceront que si Rome réforme sa manière de voir et reconnaît les erreurs dans lesquelles le Concile a mené l’Église » (La Vie). Les traditionnalistes s’opposent particulièrement à la liberté religieuse, à la séparation de l’Église et de l’État, au dialogue oecuménique et interreligieux et à la collégialité tels qu’ils furent définis par le Concile Vatican II. Dans son essai, Gérard Leclerc « voudrait prendre la mesure des désaccords, des possibles rapprochements, sans sous-estimer la difficulté d’un plein accord » (p. 15). Son « ambition est de donner quelques clés de compréhension du dossier » (p. 16). Pour cela, il tâche tout d’abord de faire table rase des clichés et de situer les choses dans leur contexte. Il s’attaque tout d’abord au mythe bien établi selon lequel la rupture de Marcel Lefebvre trouverait ses origines lointaines dans la condamnation de l’Action française et les démêlés de Charles Maurras avec Pie XI : Marcel Lefebvre n’a probablement jamais lu un seul ouvrage du maître de Martigues et s’il fut proche du père Le Floch (supérieur du Séminaire français de Rome de 1904 à 1927 et écarté à cause de son opposition à la condamnation du mouvement maurassien), c’est en raison d’une proximité spirituelle et non politique ; en tout cas c’est ce que les écrits et discours de Lefebvre laissent penser et l’auteur a raison d’insister. Gérard Leclerc tente donc de replacer les choses à leur place, c’est-à-dire sur le terrain proprement religieux et plus précisément sur celui du catholicisme intransigeant issu de la Révolution française. L’auteur aurait cependant pu s’étendre davantage sur cette notion, car son renvoi aux travaux d’Émile Poulat est un peu rapide et par conséquent trop simplifié. Il insiste en revanche avec pertinence sur la formation romaine de Marcel Lefebvre, sur ses études à la Grégorienne, et sur le thomisme du cardinal Louis Billot, l’un de ses maîtres. L’auteur aurait pu (même s’il le mentionne plus loin) présenter plus en détail le climat qui prévalait dans la Rome de cette époque, climat dominé par la chaleur intense qui se dégageait de la lutte papale contre le modernisme. Tous ces éléments expliquent en effet la réaction de la minorité à Vatican …