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L’écrivain[Record]

  • Robert Melançon

On sait que Gilles Marcotte a été critique. Journaliste au Devoir et à La Presse, chroniqueur à L’Actualité, collaborateur de revues – notamment Les Écrits du Canada français, Cité libre, Liberté, Études françaises –, essayiste – Une littérature qui se fait, en 1962, a durablement défini le discours sur la littérature québécoise –, il s’est imposé, dès les années cinquante, comme le critique littéraire auquel chacun devait se reporter. Très jeune, il a joui d’une autorité manifeste. Le compte rendu d’un roman ou d’un recueil de poèmes par Gilles Marcotte dans Le Devoir ou La Presse du samedi, certains ne l’oubliaient pas aussitôt qu’ils l’avaient parcouru en prenant leur café. Ils sentaient qu’ils venaient de se mesurer, sur papier journal, à une pensée complexe et nuancée, qui n’esquivait pas les difficultés et qui était un moment dans une réflexion de longue haleine, développée tout au long de six décennies. On sait aussi qu’il a été professeur, à l’Université de Montréal, où il a marqué des générations d’étudiants. Un cours de Gilles Marcotte – j’ai suivi celui qu’il a donné, en 1968, sur la poésie québécoise contemporaine – était une pensée à l’oeuvre ; je me souviens que nous nous imaginions fort bien connaître la poésie québécoise, mais nous avons vite mesuré les limites de notre petit savoir et compris que nous avions tout à apprendre de ce maître, en commençant par apprendre à lire un poème. Il a dirigé je ne sais combien de mémoires de maîtrise et de thèses de doctorat, dont plusieurs sont devenus des livres qui comptent. Il a apporté des contributions substantielles à la sociocritique, bien qu’il n’était pas trop porté sur la théorie littéraire, il a écrit un livre exceptionnel sur La Prose de Rimbaud, publié des articles savants – oui, savants. Il a dirigé de grands projets : une Anthologie de la littérature québécoise et le groupe de recherche « Montréal imaginaire ». Chacun sait cela, dont je ne rappelle rapidement que quelques faits saillants. Mais on ignore, on oublie, on minimise l’écrivain que fut Gilles Marcotte, l’un des plus considérables de sa génération. Écartons un malentendu. Gilles Marcotte ne s’est pas fait écrivain, romancier en parallèle ou en sus d’être critique, essayiste ou chercheur universitaire. Écrivain, c’est-à-dire non seulement attentif à la langue mais faisant de la langue le lieu de sa pensée et de sa vie intérieure, il ne l’était pas moins dans un article de journal ou dans un essai critique que dans un roman ou une nouvelle. Il était écrivain naturellement, sans se départir de sa façon d’être coutumière, jusque dans sa correspondance et même dans sa conversation. Lorsque je l’entendais me dire « c’est un peu plus compliqué que ça », je savais qu’allait se déployer une pensée souvent imprévisible, portée par des phrases parfaitement construites, parfois drôles, un peu brusques ou même apparemment incongrues. Sans jamais se départir du ton de la conversation familière ; il ne parlait pas comme un livre, trop maître de la langue pour tomber dans ce travers de demi-savant. On se fait généralement, de nos jours, une idée rudimentaire et partielle de la littérature, réduite à quelques genres actuellement canoniques – le roman, la poésie, le théâtre et une sorte de fourre-tout, souvent appelé essai ou prose, dans lequel on entasse tout écrit un peu remarquable qu’on ne peut ranger dans les genres conventionnels. Il y a bien des explications à cet état de fait, mais je ne me lancerai pas ici dans des considérations de théorie littéraire. Ce serait inutile. Cette conception restreinte de la …

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