Études stratégiques et sécurité : Le triangle Russie/États-Unis/Chine. Un seul lit pour trois ?Legault, Albert, André Laliberté et Frédéric Bastien. Coll. Politique étrangère et sécurité, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2004, 156 p.[Record]

  • Frédéric Lasserre

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  • Frédéric Lasserre
    Département de géographie et
    Institut québécois des hautes études internationales,
    Université Laval

Depuis la disparition de l’Union soviétique en 1991, de nombreux ouvrages se sont penchés sur la redéfinition des questions de sécurité mondiale et des relations entre les grandes puissances. Système unipolaire sous l’hégémonie américaine (Le xxie siècle sera américain, Alfredo Valladao, 1993) ou au contraire déclin des États-Unis (Le xxie siècle ne sera pas américain, Pierre Biarnès, 1998 ; Après l’Empire, Emmanuel Todd, 2002), multipolarité naissante avec l’avènement de nouvelles puissances régionales comme la Chine, l’Union européenne ou l’Inde, une profusion d’ouvrages abordent la dynamique de la recomposition du monde post-guerre froide, le plus souvent sous l’angle de la rivalité persistante entre les États-Unis et les autres puissances. Ils sont moins nombreux à envisager une convergence des intérêts de trois puissances importantes, les États-Unis, la Russie et la Chine, convergence qui se traduirait par un accord tacite pour préserver la stabilité du statu quo actuel. Non pas que la question des relations entre ces trois États soit ignorée : elle est abordée, notamment dans Asie centrale et Caucase : une sécurité mondialisée (Gérard Hervouet, Thomas Juneau et Frédéric Lasserre, 2004), ou encore par Alexei Voskressenski, dans Russia-China-usa : Redefining the Triangle (1996) ; par Hafeez Malik, dans The Roles of the United States, Russia, and China in the New World Order (1997) ; Yves Boyer et Isabelle Facon dans La Politique de sécurité de la Russie : Entre continuité et rupture (2000) ou par Rocco Michael Paone dans EvolvingNew World Order/Disorder : China-Russia-United States-nato (2001). Mais l’ouvrage présenté ici, s’inspirant pour son titre du livre d’André Fontaine Un seul lit pour deux rêves : histoire de la détente, élabore une réflexion sur les facteurs convergents qui, selon les trois auteurs, permettent de penser à l’instauration d’un système mondial de coopération triangulaire entre Washington, Moscou et Beijing : la lutte antiterroriste et la dépendance pétrolière des États-Unis et de la Chine, dont la Russie entend bien profiter en pariant sur la stabilité des deux autres pôles du triangle. L’ouvrage est divisé en trois parties : une par puissance étudiée. Albert Legault aborde la question d’une Russie sur la défensive, mais pragmatique ; Frédéric Bastien développe la question d’une puissance américaine toujours messianique, mais inquiète depuis les attentats du 11 septembre 2001 ; André Laliberté conclut avec l’examen de la montée en puissance de la Chine. Face à la menace perçue de séparatismes en Russie, notamment en Tchétchénie, et à l’émergence d’une menace terroriste sur l’ensemble du territoire, tragiquement concrétisée lors de la prise d’otages d’octobre 2002 à Moscou, le gouvernement russe a signifié sa volonté de coopérer pleinement avec les Américains dans le domaine de la lutte contre les réseaux terroristes, a fortiori après les attentats du 11 septembre 2001 et malgré l’intervention américaine en Afghanistan, qui s’est traduite par l’installation, semble-t-il durable, de bases américaines en Asie centrale, soit au coeur du « ventre mou » de l’ex-empire soviétique. Moscou cherche donc à optimiser sa collaboration avec Washington sur le plan de la sécurité tout en s’efforçant de sauver ce qui peut l’être de son influence dans la cei, ce qui ne va pas sans grogne au sein de la hiérarchie militaire russe. Sur le plan économique, les demandes pétrolières croissantes des États-Unis et de la Chine vont dans le sens des intérêts de la Russie, qui, à part l’Arabie saoudite, semble être le pays le mieux placé, compte tenu de ses réserves et de sa position géographique, pour les satisfaire. Une double dépendance s’instaure ainsi entre la Russie et les États-Unis, ceux-ci voyant leur dépendance énergétique croître envers …