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Saba Mahmood, Politics of Piety. The Islamic Revival and the Feminist Subject. Princeton, Princeton University Press, 2005, 233 p., bibliogr., index.[Record]

  • Jean-Michel Landry

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  • Jean-Michel Landry
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

Difficile de traverser le premier ouvrage de Saba Mahmood sans céder au vertige par moments. Pour cause : la réflexion ethnographique que propose Politics of Piety secoue quelques-unes des certitudes les plus tenaces de la pensée féministe et progressiste. Pour autant, l’entreprise ne verse pas dans la pure déconstruction. Si le sol de nos convictions se lézarde au fil des pages, les brèches entrouvertes par Saba Mahmood laissent toutefois entrevoir des avenues de recherche anthropologique jusqu’ici inexplorées. Prenons les choses une à une. Saba Mahmood est une chercheuse féministe. Elle s’intéresse à l’implication des femmes à l’intérieur du mouvement islamique « des mosquées » (mosque mouvement) qui anime Le Caire (Égypte). Politics of Piety s’ouvre d’ailleurs sur la question qui, actuellement, brûle les lèvres de plusieurs féministes occidentales : « why would such a large number of women across the Muslim world actively support a movement that seems inimical to their “own interests and agendas” » (p. 2) ? Cette question, plutôt que d’y répondre, Saba Mahmood décidera de la saisir à revers, de l’explorer. Car elle la soupçonne d’abriter et de reconduire l’éternel présupposé voulant que les femmes soient intrinsèquement prédisposées à combattre les pratiques, valeurs et injonctions incarnées par les mouvements islamiques. Afin d’interroger cette conviction, Saba Mahmood choisira de concentrer son activité ethnographique sur une problématique qui, jusqu’ici, est demeurée dans l’angle mort de la pensée féministe : la valeur politique des formes d’agencéité éthique (ethical agency) que plusieurs femmes musulmanes acquièrent à travers certaines des « pratiques de soi » destinées à cultiver leur piété religieuse. Par là, elle cherche à corriger « the profound inability within current feminist political thought to envision valuable forms of human flourishing outside the bounds of a liberal progressive imaginary » (p. 155) – il faudra revenir sur ce point. D’abord l’ethnographie. Échelonné sur deux ans, le travail de Saba Mahmood fut entièrement consacré au women’s mosque movement, lequel prit naissance au cours de la décennie 70 en réponse à la vague de sécularisation et d’occidentalisation qui traverse la société égyptienne et marginalise la pratique religieuse. En comparant les différentes pédagogies grâce auxquelles le Coran est enseigné, Saba Mahmood opère un premier déplacement significatif. Elle suggère d’envisager la tradition coranique, non pas comme une somme de prescriptions fossilisées et dressées en rempart contre ce qui apparaît contemporain, mais plutôt comme « the very ground through which the subjectivity and self-understanding of a tradition’s adherents are constituted » (p. 115). Profitant de la brèche ouverte par les travaux de Michel Foucault et Talal Asad, elle montre que la tradition discursive n’est pas extérieure au sujet; suggérant par là que toute tradition n’existe que dans la mesure où elle s’actualise à travers le rapport (sensible, éthique, affectif et rationnel) que le sujet entretient avec lui-même. Autrement dit : l’enseignement de la tradition islamique ne relève pas de l’endoctrinement, mais plutôt de la formation du sujet – lequel sujet est d’ailleurs invité à naviguer entre les diverses interprétations de la loi coranique. La seconde portion ethnographique de l’ouvrage concerne des pratiques d’incorporation (embodied practices) favorisées par le mosque movement. Là encore, les témoignages et expériences vécues colligés dans Politics of Piety récusent courageusement les schémas d’intelligibilité qui dominent la littérature scientifique sur le sujet. Prenons le port du voile : l’angle sous lequel Saba Mahmood aborde cette question est emblématique du changement de perspective proposé. Plutôt que de percevoir cette pratique corporelle (bodily practice) comme un symbole identitaire ou un moyen d’exprimer leur foi religieuse, les femmes interrogées par Mahmood considèrent le voile comme …