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Dalia Cohen et Ruth Katz, Palestinian Arab Music : A Maqam Tradition in Practice. Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 2006, 518 p., bibliogr., index.[Record]

  • Yara El-Ghadban

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  • Yara El-Ghadban
    Département d’anthropologie
    Université de Montréal
    C.P. 6128, succursale Centre-Ville
    Montréal (Québec) H3C 3J7
    Canada

Si vous êtes anthropologue de la musique ou ethnomusicologue, l’étude que vous offrent Dalia Cohen et Ruth Katz, professeures de musicologie à la Hebrew University, des poétiques et modalités de performance des chansons de tradition orale des Arabes d’Israël ne peut qu’exacerber un dilemme aussi difficile à résoudre que le conflit israélo-palestinien. Comment départager ou concilier (selon votre position : pour la partition en deux États ou pour un État binational) la part ethnologique de la part purement musicale de votre discipline? À l’instar de l’ethnolinguistique d’ailleurs, les disciplines qui se distinguent des autres de par leur objet d’intérêt (la musique pour l’une, la langue pour l’autre), jouissent de la sécurité identitaire qu’apporte la présence d’un objet spécifique et tangible à examiner, tout en souffrant des limites que cet objet impose à ses savants de par sa structure et ses règles internes. Peut-on vraiment étudier les langues sans s’attarder à leur structure linguistique, phonologique, grammaticale, syntaxique, etc.? Peut-on prétendre comprendre une tradition musicale sans connaître son système d’accord, ses techniques de jeu, son répertoire? Or, ces systèmes d’expression sont tellement complexes qu’il est quasiment impossible de s’en sortir si jamais le chercheur les choisit pour point de départ dans son entreprise anthropologique. Et si le chercheur dépose les armes et opte pour un camp plutôt que pour un autre, le musical dans ce cas-ci, pour se consacrer à l’étude en profondeur des aspects purement musicaux d’une tradition – et pourquoi pas? – quelle est la pertinence de cette entreprise pour les non-musicologues? C’est la question que suscite le travail colossal des deux auteures de Palestinian Arab Music. Dans la tradition des enquêtes ethnographiques de l’âge pré-merriamiste de l’ethnomusicologie – Merriam étant l’anthropologue américain qui a proposé en 1964 une véritable « anthropologie » de la musique dans tout le sens boasien du terme – Cohen et Katz tentent d’encapsuler en une monographie volumineuse la pratique musicale d’un groupe spécifique, celui des Arabes d’Israël, à travers une recension quasi totalisante du répertoire chanté, afin d’en relever les « régularités » ou « constantes musicales » qui traversent la grande variabilité de performance inhérente à toute tradition transmise oralement et ancrée dans l’improvisation. C’est une étude objective qui, à l’aide de logiciels, d’instruments de mesure électroacoustiques, de transcriptions, d’illustrations graphiques, d’enquêtes statistiques et de questionnaires à choix multiples – oui, des informateurs y participent aussi malgré tout – décortique avec une précision chirurgicale les diverses composantes de quelque 600 interprétations du répertoire chanté. Intonation, rythme, structures poético-musicales, modes (maqâms), mélismes et bon nombre d’autres paramètres musicaux et extramusicaux (le texte par exemple), méritent chacun un chapitre entier. Pour les adeptes de l’analyse musicale, les acousticiens, les théoriciens de la musique, peut-être aussi les compositeurs, l’ouvrage met en scène une véritable orgie acoustique. L’expérience est d’autant plus réelle que le livre est accompagné d’un disque, extrêmement intéressant d’ailleurs. Le corpus musical est ensuite joliment encadré d’une courte mise en contexte socioculturelle, une biographie de deux pages d’un informateur « typique » qui sert d’échantillon représentatif pour les quelque 70 informateurs participant au projet et enfin d’un sommaire tout aussi modeste des implications (musicales) et retombées possibles de celui-ci. « Oui, mais… », répliquerait sans hésitation l’ethnologue, si ces données purement objectives ne sont pas ancrées dans les multitudes d’enjeux sociaux et politiques qui les engendrent, à quoi ça sert-il? La question est d’autant plus pertinente que l’étude est basée sur l’analyse de données recueillies dans les années 1960 et ne sont pas du tout resituées dans le contexte musical actuel, sinon pour dire – toujours dans la tradition classique de l’ethnographie musicale …