Comptes rendus

Michael Ignatieff, L’honneur du guerrier. Guerre ethnique et conscience moderne. Traduction de Jude des Chênes. Québec et Paris, Les Presses de l’Université Laval et La Découverte, 2001, 210 p., index.[Record]

  • Frédéric Boily

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  • Frédéric Boily
    Département des sciences humaines
    Université du Québec à Chicoutimi
    555, boul. de l’Université
    Chicoutimi (Québec) G7H 2B1
    Canada

La chute du mur de Berlin laissait planer, rappelle Michael Ignatieff, l’espoir d’une humanité enfin réconciliée. Mais les événements tragiques survenus au Rwanda et en ex-Yougoslavie ont ramené bien des gens à la dure réalité. Dans cet essai, l’auteur cherche à comprendre pourquoi les démocraties occidentales sont intervenues, dans certains conflits, au nom de la compassion plutôt que par intérêt comme cela était le cas dans le passé. Certes, d’aucuns lui reprocheront d’accepter trop facilement l’idée que l’interventionnisme est réalisé au nom d’un engagement moral et, par conséquent, d’être aveugle à la part de calculs stratégiques et de réalisme politique encore à l’oeuvre dans l’interventionnisme des États. L’auteur se demande d’abord si la télévision a contribué à une « internationalisation » des consciences ou si elle n’a pas simplement satisfait le goût de voyeurisme de téléspectateurs qui, sagement assis dans leur salon, assistent à des massacres en direct. La télévision, avance Ignatieff, a pu éveiller les consciences. Toutefois, la forme présente des actualités télévisées, laquelle privilégie les images-chocs, ne permet plus aux téléspectateurs, juge-t-il, de faire preuve d’esprit critique. L’auteur propose donc d’abandonner la formule actuelle au profit de reportages documentaires plus étoffés. Il s’intéresse aussi, dans le texte qui donne son titre à l’ouvrage, aux acteurs de l’intervention, plus exactement au Comité International de la Croix-Rouge (CICR). Celui-ci est né, rappelle-t-il, dans un contexte (le XIXe siècle) où la guerre devenait de plus en plus sauvage, mais où l’idée qu’il existait un code d’honneur du guerrier était encore partagée par les belligérants. Or, avec les « guerres irrégulières », ceux qui prennent les armes, comme les Talibans, ne croient plus en aucun code d’honneur. Les civils sont ainsi fréquemment pris pour cibles par des soldats-enfants. Dans ces conditions, peut-on encore « dompter » la guerre comme le voulait le fondateur du CICR, Jean-Henry Dunant? L’auteur croit que l’objectif du CICR d’amener les combattants à obéir à des codes d’honneur doit encore être poursuivi (p. 167-168). Cela serait d’autant plus nécessaire que l’idée de laisser tous ces gens s’entre-tuer gagnerait de plus en plus de terrain. C’est en effet l’impression que ramène l’auteur de son périple, en juillet 1995, du Rwanda au Burundi, en compagnie de Boutros Boutros-Ghali. Ignatieff constate alors que le secrétaire général de l’ONU conseille à ceux qu’ils rencontrent de ne pas trop attendre d’aide de la communauté internationale, laquelle se désintéresse de leur sort. On fera toutefois remarquer à l’auteur, puisque l’on parle du Rwanda, que le massacre des Tutsi vient démentir l’idée, avancée par Ignatieff, que le génocide est le résultat d’une « nouvelle technologie » (p. 17), les machettes n’étant pas une arme bien nouvelle. Mais pourquoi, se demande l’auteur, des gens autrefois voisins, comme les Serbes et les Croates, en viennent-ils à s’affronter si violemment? Récusant après bien d’autres la thèse du « choc des civilisations » de Samuel Huntington (et non Daniel comme il est écrit à la page 34), l’auteur affirme plutôt qu’il faut rechercher une explication du côté des phénomènes de constructions identitaires. Il adhère à la thèse d’inspiration freudienne du « narcissisme de la petite différence » voulant que moins les différences sont importantes plus il faut lutter pour les exprimer. Les différences mineures sont ainsi transformées en distinctions majeures qui viennent conforter l’idée d’un Moi national différent. Certes, la théorie n’explique pas, reconnaît Ignatieff, le passage à la violence, mais elle permettrait de tirer une leçon importante : il ne faut pas trop attendre de la réduction des différences du niveau de vie entre les peuples. Au contraire, plus les peuples sont semblables, plus il y aurait …