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Bertrand Masquelier et Jean-Louis Siran (dir.), Pour une anthropologie de l’interlocution. Rhétoriques du quotidien. Paris et Montréal, L’Harmattan, 2000, 459 p., réf., ann., bibliogr.[Record]

  • Bruno Rouers

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  • Bruno Rouers
    Centre d’Anthropologie de Toulouse
    39 allées Jules Guesde
    31000 Toulouse
    France

Ouvrage collectif interrogeant le statut de la parole et le contexte de sa production, Pour une anthropologie de l’interlocution est un livre important pour les sollicitations méthodologiques qu’il adresse à l’anthropologue et à la réflexivité qu’il doit avoir sur son propre travail : quels rapports peuvent-ils être établis entre le discours recueilli et son contexte d’énonciation, entre rhétorique et efficacité du discours, comment ces rapports influent-ils sur la manière dont l’anthropologue va interpréter discours et contexte? Alban Bensa souligne que l’ethnologue ne donne que peu d’informations sur ce contexte ; or, c’est dans l’espace dynamique de la production de la parole que se trouve le complément indispensable qui permettra la restitution du discours et de sa signification au moment de l’élocution (Perla Petrich). Si la variabilité est une caractéristique du discours qui peut parfois être facilement perçue, les conditions de celle-ci sont souvent difficiles à mettre en évidence. Elles peuvent prendre des formes diverses selon le sexe du locuteur (c’est le cas des proverbes à Futuna — Jean-Louis Siran), selon la classe d’âge (les devinettes au Yémen — Samia Naïm-Sanbar) ou selon l’évolution de la société (les allusions imprimées sur les kanga [pièces de tissu] des femmes Swahili — David Parkin). Le genre de discours peut aussi être modulé en fonction du contexte et il est important d’étudier le registre du langage dans lequel il opère (Sa’idu Babura Ahmad et Graham Furniss). À côté de ce type de variabilité qu’on pourrait qualifier de régulée par un statut social en existent d’autres plus diffus comme la façon dont est perçu l’anthropologue par son informateur (touriste ou représentant d’une ONG) influant sur le contenu du discours, ici des récits de vie de guérisseurs au Chiapas (Perla Petrich) ; ce n’est plus uniquement la forme du discours qui change, mais bien son sens et son contenu révélé. L’énonciation publique peut posséder une valeur d’officialisation (les récits sur l’histoire des clans en Nouvelle-Calédonie dont parle Michel Naepels varient en fonction des auditeurs présents et sont encore différents si le seul auditeur est l’ethnologue) et les procédés d’activité langagière obéissent aux conditions sociales de leur usage (Bertrand Masquelier sur le désaveu des chefs Ide au Cameroun, Yves Moñino sur une levée de malédiction en Centrafrique). Un autre élément dont doit tenir compte l’anthropologue est constitué par les détours que les procédés de communication peuvent emprunter pour compliquer efficacement le sens du discours : du non-dit à l’autrement-dit (Micheline Lebarbier relate que dans les contes facétieux roumains, une situation d’adultère féminin ne sera jamais explicitement décrite mais représentée symboliquement en utilisant une métaphore alimentaire), en passant par le double-sens ou le caractère allusif (David Parkin), ou la présence d’un sens caché sous un sens apparent (Dominique Casajus à propos d’un procédé rhétorique Touareg, le tangalt). Catherine Alès fait état de discours-écran à propos du dialogue amoureux des Yanomami, discours composés de justifications stéréotypées sans grand rapport avec la réalité mais imposés comme vérité officielle pour renforcer une norme sociale. Il peut s’agir aussi de l’utilisation d’actes d’interlocution particuliers comme l’adressage indirect quand l’interdit d’altercation verbale directe est fort (Christiane Bougerol sur le commérage aux Antilles). Ces quelques éléments montrent à quel point peut être biaisée l’interprétation ethnologique du discours et comment une mauvaise compréhension est toujours possible (le fait de s’en rendre compte ne dit pas ce qui aurait dû être compris — Johannes Fabian). Nous sommes alors en droit de nous demander si « le rôle d’interprète de l’anthropologue se réduit à une approche aventureuse » ne débouchant que sur des « simulations de la réalité » (Perla Petrich). En espérant une réponse négative, il …