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Aurore Monod Becquelin et Philippe Erikson (dir.), Les rituels du dialogue. Promenades ethnolinguistiques en terres amérindiennes. Nanterre, Société d’ethnologie, 2000, 608 p., tabl., cartes, illustr., bibliogr. [Record]

  • Denis Gagnon

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  • Denis Gagnon
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Sainte-Foy (Québec) G1K 7P4
    Canada

Tout d’abord, il faut avouer que la recension d’un livre de plus de 600 pages, si passionnante qu’en soit la lecture, n’est pas une tâche facile et demande au préalable de choisir un type de présentation. J’ai privilégié un bref résumé de toutes les contributions à un regroupement par thèmes, ce qui aurait demandé de nombreux croisements entre les auteurs en raison des nombreux points communs que partagent les articles. Cet ouvrage plurilingue (français, anglais et espagnol) et multidisciplinaire (anthropologie et linguistique) est le résultat d’un symposium tenu à Quito en 1997 à l’occasion du 49e Congrès international des américanistes. Bien que le sous-titre puisse laisser croire que les promenades auxquelles nous sommes conviés couvrent l’ensemble des Amériques, les vingt articles de ce volume sont exclusivement consacrés aux aires mésoaméricaine, amazonienne et andine. La problématique, magistralement énoncée dans l’introduction de Monod Becquelin, remet en question la réponse du courant postmoderniste face à l’ethnocentrisme des monologues propres à l’ethnologie classique. Monod Becquelin souligne que cette réponse, qui proposait de mettre la dimension dialogique — en tant que réalité construite sur le terrain — au coeur du projet anthropologique, déplace plus qu’elle ne résout le problème des notions de dialogue et qu’il faut surtout « s’interroger sur l’exercice de la parole [...] dans tel ou tel contexte culturel [et] interroger les notions dans une perspective véritablement ethnolinguistique, au lieu de les reprendre comme allant de soi » (p. 24). C’est dans cette optique que les vingt et un auteurs se sont intéressés à l’utilisation conceptuelle du dialogue et à sa dimension corporelle en tant qu’outil d’analyse. En explorant la zone d’ombre qui sépare les deux pôles que sont les dialogues cérémoniels et les dialogues du quotidien, ils remettent en question cette opposition ethnocentrique responsable de la dichotomie entre l’anthropologie et la linguistique. Soulignons que l’objet linguistique est ici interprété dans son contexte en tenant compte des théories indigènes de la communication et que le dialogue le plus ordinaire est analysé avec autant d’application que le rituel le plus complexe. Deux articles accompagnent l’introduction de Monod Becquelin. Dans le premier, Manheim et van Vleet mettent en évidence quatre niveaux du dialogisme qui démontrent que les narrations quechua n’existent pas indépendamment de certains contextes d’énonciation qui tiennent compte de l’auditoire. Dans cet article remarquable, les auteurs dénoncent la présentation traditionnelle de ces narrations orales qui consiste à les montrer sous forme de recueil de contes et légendes selon une structure événementielle façonnée par la main du traducteur et de l’éditeur. Dans le second, dont l’aridité des équations linguistiques détonne avec l’ensemble de l’ouvrage, Desclés et Guentchéva montrent comment la structure des langues amérindiennes oblige le locuteur à prendre position sur la véracité et le statut du discours au moyen de marques linguistiques. L’ouvrage est divisé en quatre parties dont la première traite des échanges cérémoniels et des dialogues de la rencontre en Amazonie. Dans une étude comparative entre deux ethnies pano, Erikson démontre que la dimension ontologique des salutations quotidiennes les plus ordinaires qui ont lieu dans le cadre du travail et des fêtes de boisson sont intimement reliées à l’organisation sociale et politique et servent à délimiter la frontière spatio-temporelle entre les morts et les vivants. Ces fêtes de boisson sont également traitées par Journet qui s’intéresse à la dimension métaphorique des dialogues chantés chez les Curripaco. L’auteur analyse la façon dont la prédominance masculine et les pratiques pacifiques de l’alliance, dans un contexte de dépendance des hommes par rapport aux femmes et de violence entre affins, séparent l’humain de l’animal. Dans un article sur les dialogues cérémoniels yanomami, Lizot montre comment …