Notes de lecture

CHAURETTE, Normand, Comment tuer Shakespeare, Montréal, Presse de l’Université de Montréal, 2011, 240 p.[Record]

  • Cassy Bouchard

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  • Cassy Bouchard
    Université du Québec à Montréal

Avec Comment tuer Shakespeare, l’auteur dramatique québécois Normand Chaurette, bien connu pour l’intertextualité dépaysante de ses pièces, convie son lecteur pour une toute première fois au récit de ses expériences de traducteur et de lecteur du répertoire shakespearien. Ce livre a d’ailleurs été publié quelques mois avant la production de sa version du Roi Lear, présentée au Théâtre du Nouveau Monde en mars 2012, dans une mise en scène signée Denis Marleau. L’auteur de l’ouvrage y rassemble les nombreuses réflexions, préoccupations et questions qui ont façonné, depuis vingt-cinq ans, son rapport à la fable shakespearienne, à la réception de l’oeuvre du dramaturge anglais ainsi qu’aux transformations sémantiques qu’impose le travail de la traduction. À la lecture de ce livre qui fait se confondre réel et imaginaire, vécu et rêve, force est de constater qu’un tel rapport au texte étranger se présente, pour l’homme de théâtre québécois, aussi conflictuel que complexe. Aux frontières de l’essai, du journal et du récit de fiction, Comment tuer Shakespeare s’ouvre sur une reconstitution des derniers moments du chanteur et traducteur bulgare Bantcho Bantchevsky, au Metropolitain Opera de New York. Dans ce premier chapitre, intitulé « Les Amants », l’expérience fatale de cet homme qui s’est donné la mort lors d’une représentation décevante de l’opéra Macbeth de Giuseppe Verdi permet de soulever d’entrée de jeu d’intéressantes questions sur les attentes et la réception du spectateur, de même que sur les risques de l’interprétation. « À quoi servaient les génies de Shakespeare et de Verdi si c’était pour être compris, analysés au regard de leurs époques, des courants littéraires et musicaux? » (p. 18), demande Chaurette. S’ensuit une hypothèse selon laquelle on pourrait distinguer, sur les plans sociolinguistique et même génétique, les Anglo-Saxons des Latins dans leur perception du monde : « [N]ous serions constitués de telle manière que nous verrions, percevrions, ingurgiterions, respirerions et existerions de manière spécifique à un groupe d’appartenance » (p. 21). Les remarques de cette première partie du livre ont le mérite d’évoquer habilement, quoique trop brièvement, certains des écueils que rencontre inévitablement le traducteur du texte élisabéthain. À l’instar de Bantcho qui, du balcon de l’opéra, a basculé du côté de la scène, l’auteur québécois s’est lui aussi jeté « dans le vide » (p. 23) après avoir choisi de se lancer dans une quête obsessionnelle visant la résurrection du lyrisme shakespearien. Chaurette confie qu’il avait longtemps rêvé de traduire Othello pour « faire se rencontrer le labeur de Shakespeare et le génie de Verdi. Les superposer l’un à l’autre. Voir lequel, le premier, va manger l’autre » (p. 26). Aussi s’affaire-t-il d’abord à mesurer et à interpréter l’important décalage entre l’Othello de Shakespeare et celui de Verdi : « [Tout] ce qui condamne Iago avec des mots dans la pièce est exclu de l’opéra de Verdi. Où le personnage est déloyal chez Shakespeare, il est idéaliste chez Verdi » (p. 29). Constamment relancé par les subtilités de la pièce, Chaurette fait ensuite le récit de rencontres fantasmées entre les deux personnages clés que sont Iago et Cassio. On descend alors dans la cave du traducteur québécois où s’opère la « dissection des mots, depuis leurs syllabes jusqu’aux idées qu’elles [font] naître » (p. 41), notamment sous l’influence de Iago. Convaincu que « le problème avec Othello, c’est Shakespeare » (p. 47), le dramaturge affine sa compréhension de la traduction en rappelant « que ce ne sont pas juste les mots qu’on doit traduire quand on entre dans un monologue tourmenté », mais plutôt « la souffrance que réclame le personnage » (p. 51). Le même constat …

Appendices