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Formoso Bernard, 2021, La production des cultures. Ethnicité, médiations et coculturations. Paris, CNRS Éditions, coll. « Bibliothèque de l’Anthropologie », 302 p.[Notice]

  • Adolphe Badiel

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  • Adolphe Badiel
    Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles (LinCS), Université de Strasbourg, Strasbourg, France

Le concept de coculturation, d’une nouveauté incontestable, traduit cette dynamique de co-construction qui est au coeur des différences culturelles ; elle passe par des compromis ou les intérêts partagés entre les groupes sociaux. Pour le démontrer, l’auteur procède à une réhabilitation heuristique du concept de culture qui, dès lors, est repensée comme une pratique sociale. La culture est une activité socialisatrice ; c’est en ce sens qu’elle est vectrice des identités. Elle se construit sous l’effet des jeux d’intérêt, se reproduit et est ouverte à des mutations. L’ethnicité, qu’il définit plutôt comme un sentiment d’appartenance à un groupe social, entretient toujours une relation avec ce système englobant qu’est la culture. Par cette approche, le concept de coculturation permet d’explorer ces multiples interstices, internes et externes, où s’édifie la culture. Il recoupe ceux d’acculturation et de transculturalité qui procèdent de la coculturation. La démarche de l’auteur est une approche empirico-déductive qui s’appuie sur un matériau ethnographique collecté au fil des décennies en Asie et en Europe. Les dynamiques de la coculturation ont permis à l’auteur d’élaborer une typologie de ses formes. Il distingue la coculturation par la médiation des objets ou de partenariat qu’il a étudiée dans l’économie des Tsiganes ; la coculturation par la participation de l’autre à l’imaginaire qui se retrouve dans le religieux, où le rituel du Xiu gugu est convoqué. De plus, on note la coculturation par le regard de l’autre ou celle par fusion qui est explicitée dans le flamenco. En outre, la coculturation par enchâssement a pour spécificité de conserver les traits culturels des groupes. Enfin, il distingue la coculturation agonistique qui est illustrée par l’étude des sports collectifs : il y a un partage réciproque de valeurs et de normes, mais cela reste un préalable à l’affrontement et à l’affirmation identitaire. Ces formes de coculturation ne s’excluent pas ; elles peuvent s’entrelacer, d’où l’on perçoit les phénomènes d’acculturation ou le transculturel. Le concept de coculturation met au jour une autre dynamique culturelle qui permet de s’interroger sur le devenir de la discipline anthropologique. S’adressant à un lectorat d’initiés, cet ouvrage impose une rupture dans la démarche anthropologique dont les cadres ont éclaté avec la globalisation. La recherche ethnographique a longtemps pris pour objet les sociétés préservées d’influence extérieure. Cette pensée dichotomique a aussi façonné la constitution des disciplines à l’image de la binarité Nord-Sud, également remise en cause avec la violence globale (Badiel 2023). L’étude des phénomènes complexes d’échange entre les cultures s’impose désormais comme une condition de compréhension de leurs spécificités. Comme l’auteur l’a explicitement défendu, cet ouvrage promeut une alternative à la « pensée de la séparation » dans les approches de l’ethnicité (p. 265). C’est le peu qu’induit le concept de coculturation, qui précise les contours d’une anthropologie du contemporain. Aussi, l’ouvrage affirme la fécondité d’une généralisation dans la démarche anthropologique. Au-delà des différences, les cultures humaines se co-construisent autour d’intérêts communs. David Graeber (2018) notait que l’anthropologie s’était limitée à tenir le catalogue des cultures. Avec cette approche, la vision de la discipline évolue vers une science générale qui peut explorer les emprunts, parfois institutionnalisés, entre les sociétés. Pour ce faire, l’anthropologie doit recourir à l’histoire qui met au jour l’émergence et les processus de transformation sociale qui sont le lieu d’observation des cultures. C’est à ces conditions que l’anthropologie pourra répondre aux enjeux contemporains. Ainsi, l’ouvrage, à juste titre, peut être qualifié de manifeste : il rehausse la valeur heuristique du concept de culture et prend en compte les grands enjeux contemporains, dont la globalisation et les revendications identitaires.

Parties annexes