Revue multidisciplinaire sur l'emploi, le syndicalisme et le travail
Volume 6, numéro 2, 2011 Travail des femmes et santé : un dialogue France-Québec Sous la direction de Romaine Malenfant et Régine Bercot
À la mémoire de Robert Plante, médecin du travail
Sommaire (7 articles)
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Présentation du numéro
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Si le bruit rend sourd, rend-il nécessairement sourde ? Le défi d’appliquer l’analyse différenciée selon le sexe à la recherche d’informations sur la santé et la sécurité du travail
Karen Messing, Katherine Lippel, Susan Stock et France Tissot
p. 3–25
RésuméFR :
Au Québec, des données spécifiques concernant les conditions d’emploi, de travail et de rémunération des hommes et des femmes sont publiées régulièrement. Depuis peu, des données ventilées selon le sexe commencent à alimenter les efforts de prévention en santé au travail. Malgré ces progrès, certains défis techniques, idéologiques et politiques demeurent: allant des difficultés dans les calculs des populations à risque, à la réticence à adapter les postes de travail ou à adapter la formation à la spécificité biologique des femmes. La recherche sur la santé des femmes au travail a beaucoup progressé, mais il reste plusieurs étapes à franchir. Notons également que les spécificités associées au genre des hommes sont presqu'entièrement oubliées dans les études. Il est difficile de conserver un équilibre entre la protection de la santé et l’égalité des sexes dans la recherche et l’intervention en santé au travail. Pour assurer cet équilibre, la recherche doit se faire en collaboration avec les travailleuses et travailleurs. Ils peuvent ainsi contribuer à construire une base solide d’informations qui permettront aux gouvernements, aux organismes responsables de la prévention en santé au travail, aux employeurs et aux syndicats de tenir compte, dans leurs politiques, des besoins des deux sexes en santé au travail.
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La santé des femmes au travail en France
Régine Bercot
p. 26–49
RésuméFR :
Notre objectif est de rendre compte de la santé des femmes au travail en France. Celle-ci ne peut réellement se mesurer qu’en la mettant en perspective avec la place occupée dans l’emploi et le travail. Notre choix est également d’établir des comparaisons avec la situation des hommes et de développer ainsi une approche en termes de genre. Tout au long de notre article, nous ferons référence aux différentes enquêtes nationales et aux travaux de terrain monographiques qui permettent d’éclairer la question. Les analyses qui articulent à la fois les questions de santé au travail et le genre sont encore inégalement développées en France. Sur l’aspect qualitatif notamment, il n’est pas toujours possible de différencier le vécu des hommes et des femmes, mais il est utile à tout le moins de rendre compte des difficultés au travail même si les travaux ne spécifient pas toujours le point de vue des femmes.
Pour comprendre l’exposition des femmes aux différents risques, il est nécessaire de rappeler la place qu’elles occupent dans l’emploi tant en termes de niveau, de secteur et de statut. L’importance en volume de l’emploi des femmes, leur place et leur responsabilité sociale dans l’éducation des enfants, mettent en évidence l’enjeu sociétal que représente la santé des femmes au travail et la fragilisation de leur santé liée à cette posture, à l’articulation de ces deux sphères du travail et du hors travail. C’est ce que nous traiterons dans un premier temps.
Dans un deuxième point, nous rendrons compte des risques liés aux discriminations dont les femmes sont l’objet en termes d’emploi et de carrière. Le troisième point sera consacré aux disparités d’exposition au risque en lien avec les secteurs dans lesquels les femmes travaillent.
Les places dans différents secteurs ou le statut dans l’emploi rejaillissent sur les rythmes de travail. La répartition des horaires, l’organisation du temps ont un impact sur le confort de vie et les rythmes de sommeil; nous étudierons dans un quatrième point comment les femmes sont concernées. Nous consacrerons ensuite une partie de notre recension aux travaux qui étudient les effets des mauvaises conditions d’activité sur les troubles musculo-squelettiques et les risques psychosociaux.
L’emploi des femmes étant très marqué par la précarité d’emploi, nous traiterons de la santé des populations occupant ce type de statut. Nous dirons en quoi elles apparaissent plus fragilisées. Nous soulignerons l’insuffisance des dispositifs et des modalités de connaissance de la santé de ces populations à statut précaire.
En France, l’analyse des effets de l’organisation du travail sur la santé des salariés est très développée. Notamment, il est mis en évidence le fait que les salariés ne parviennent pas à articuler l’investissement subjectif qui leur est demandé avec une absence de sens pour eux de leur travail. Le concept de précarité au travail permet de désigner cet état qui conduit à la souffrance psychique.
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Grossesse et travail : au-delà des facteurs de risques pour la santé
Romaine Malenfant, Anne Renée Gravel, Normand Laplante et Robert Plante
p. 50–72
RésuméFR :
Cet article met en lumière les risques pour la santé liés au travail des femmes en abordant la problématique de la conciliation travail-grossesse. Cette analyse adopte comme cadre de référence la division sexuelle du travail (Kergoat, 2004). Cette perspective analytique est rarement intégrée dans les études portant sur la santé des femmes au travail. Le contexte de pénurie de main d'oeuvre qui touche actuellement le Québec en raison du vieillissement de sa population active, et dans certains secteurs en raison de la pénibilité des conditions de travail, marque l'importance d'ajouter cette perspective dans l'analyse de la santé des femmes au travail. Pour les femmes, l'expérience vécue du travail durant la grossesse constitue l'élément annonciateur du degré d'acceptation de la part des milieux de travail et de la société québécoise des spécificités féminines au travail. L'article fait ressortir où en sont rendues les organisations sur ce plan, à travers l'étude du traitement des demandes de retrait préventif de la travailleuse enceinte, droit inclus au Québec dans la Loi sur la santé et sécurité au travail. Malgré des avancées significatives dans certains milieux, on constate encore la prédominance d'une logique gestionnaire traditionnelle et sexiste dans l'application du droit qui mène les travailleuses au retrait du travail durant leur grossesse. La recherche a été menée auprès d'employeurs, de représentants syndicaux et de travailleuses du secteur hospitalier.
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La santé des infirmières françaises
Chantal Horellou-Lafarge
p. 73–102
RésuméFR :
La médecine du travail est née en France après la Première Guerre mondiale et progressivement l’éventail des maladies et des accidents du travail s’est élargi. Aujourd’hui, la collectivité se soucie du bien-être au travail, et raisonne en terme de santé au travail. Les grandes enquêtes cernent non seulement l’état de santé physique mais aussi l’état de santé psychologique des salariés. Les infirmières sont particulièrement une population à risque du fait de leurs conditions de travail souvent morbides et du fait qu’elles soient des femmes. Parce qu’elles sont femmes, elles seraient ontologiquement vouées à se dévouer à autrui sans que cela ne leur coûte. La reconnaissance de leur activité est passée par une lutte commune pour être considérées comme des professionnelles du soin. Mais la reconnaissance professionnelle se mesure avant tout à l’aune des actes techniques et leur travail de compassion, d’accompagnement parce qu’il est non quantifiable est jugé comme superflu dans un monde de rentabilité.
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Gestion des émotions, santé et régulation du travail dans les services à domicile
Annie Dussuet
p. 102–127
RésuméFR :
L’article s’intéresse à l’impact de la gestion des émotions dans le secteur des services à domicile. Dans ce monde où l’on trouve quasi uniquement des femmes comme salariées, gérer les émotions constitue une partie indispensable mais invisible du travail. Produire un service de qualité suppose en effet sa « personnalisation » et cela impose aux salariées de tenir compte d’autrui dans la réalisation même de leurs tâches, dans une posture de genre, caractéristique du travail au féminin. Si cet engagement dans la relation est bien un travail à part entière, qui nécessite un apprentissage, sa similitude avec les tâches et les postures de la sphère domestique tend à l’occulter, posant ainsi la question de sa reconnaissance. Faute de celle-ci, la gestion des émotions, surtout lorsqu’elle est effectuée dans l’isolement, devient une source de risques pour la santé de salariées en manque d’identité professionnelle. A contrario, l’existence de temps et d’espaces, où peut émerger un collectif qui assure une certaine régulation du travail émotionnel, constitue un dispositif de prévention minimal pour la santé de ces salariées. Cela démontre l’importance d’élaborer un cadre « public » à ce travail effectué dans la sphère privée.
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(In)Visibles : genre, émotions et violences au travail
Angelo Soares
p. 128–148
RésuméFR :
Dans cet article, nous présentons trois exemples d’invisibilités présentes dans le travail des femmes au Québec. Premièrement, l’invisibilité du travail des femmes, à partir du secteur de la santé au Québec. Ensuite, l’invisibilité des émotions au travail, car même si les femmes occupent massivement les emplois dans le secteur des services qui sollicitent particulièrement un travail émotionnel, les qualifications émotionnelles ne sont presque jamais reconnues. Pour conclure, nous présentons l’invisibilité des violences au travail faites contre les femmes à partir des données statistiques disponibles au Québec.