ChroniquesÉtudes autochtones

Entre la suspension du corps et la réécriture de l’Histoire

  • Marie-Eve Bradette

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  • Marie-Eve Bradette
    Université Laval

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Couverture de Démarches de recherche-création, Volume 48, numéro 3 (144), printemps–été 2023, p. 9-104, Voix et Images

Dans son passage à l’écrit, que reste-t-il du corps sinon sa mémoire, si tant est que celle-ci ait été consignée ? Son inscription dans un temps suspendu, celui de l’écriture littéraire, un temps à rebours de la vie et de l’histoire qui, pourtant, porte la possibilité même d’une incarnation, ou d’une « en-corporation » faudrait-il dire, question de rejeter la dimension religieuse du premier terme, est-elle possible ? Puis, dans l’écriture de l’Histoire, que reste-t-il des corps autochtones et racisés, des corps féminins, voire des corps qui refusent la binarité du genre ? Que peut la littérature pour redonner vie, souffle et voix aux personnes autochtones, à leurs histoires, à leurs luttes, à leurs résistances lorsque cette littérature suppose une corporalité et une oralité initiales dans la mise en scène théâtrale par exemple ? Si, au cours des quinze dernières années, on assiste à une réémergence fulgurante des littératures et des arts autochtones au Québec, à laquelle s’ajoutent régulièrement de nouvelles voix, c’est précisément parce que la littérature peut quelque chose, parce qu’elle est un outil pour contrer l’effacement, un moyen de réinscrire la présence du corps et de réécrire et réimaginer l’histoire au présent et au futur. Parmi ces nouvelles voix qui, par l’écriture, s’élèvent, voire se relèvent contre le silence historique, contre l’effacement des corps et des identités, qui s’élèvent aussi pour remettre en question les stéréotypes, les préconceptions culturelles, raciales et identitaires et donner à entendre, à voir et à lire d’autres manières de penser l’autochtonie dans son historicité et dans sa contemporanéité, il faut compter celles de l’artiste pekuakamilnu Soleil Launière et de la dramaturge anichinabée Émilie Monnet, qui ont chacune, à la suite de performances sur scène, publié une oeuvre théâtrale percutante en 2023 : Akuteu (Launière) et Marguerite, le feu (Monnet). Tantôt par une écriture qui fait se croiser le poétique et le théâtral dans une construction complexe et nuancée de l’identité (Akuteu), tantôt par l’alliance des luttes noires et autochtones dans la réécriture de l’histoire coloniale et de l’esclavage en Nouvelle-France (Marguerite), ces textes renouvellent considérablement les formes et les thèmes chers aux littératures autochtones les plus actuelles. Alors que d’aucuns ont suggéré que Kuessipan de l’écrivaine innue Naomi Fontaine avait provoqué « un petit séisme » dans le paysage littéraire autochtone et québécois au tournant des années 2010, j’ai envie de prédire, une dizaine d’années plus tard, qu’Akuteu, dans sa transposition particulièrement efficace à l’écrit dans la collection « La Nef » des Éditions du remue-ménage, produira une nouvelle secousse et même, plus qu’un après-choc, un véritable ébranlement du corps, de l’identité et du littéraire. Filant la métaphore de la suspension comprise à même le titre du livre, qui signifie « quelque chose est suspendu. Accroché, juché », Akuteu est plus qu’une version écrite d’un spectacle théâtral : c’est une performance littéraire sur papier, une oeuvre qui incarne, par le geste de l’écriture et à même la page du livre, par un travail stylistique et formel, le mouvement de la suspension. La suspension déborde en effet la thématique pour se faire véhicule poétique et textuel. Akuteu est ainsi une oeuvre inclassable, à la croisée des genres, à entendre ici tant dans ses aspects littéraires que sexuels, qui sont tous deux matérialisés dans un refus du normatif et de la binarité imposée. Toute tentative de saisie de ce texte, celle-ci comprise, est nécessairement lacunaire tant il nous file entre les doigts, nous conduisant là où nous ne pensions pas qu’il nous amènerait. Mais je tente tout de même l’exercice, chronique oblige ! Ponctué de quelques illustrations de …

Parties annexes