Depuis l’époque du conflit entre les régionalistes et les exotiques, la passion de l’ailleurs a fait au Québec l’objet d’interrogations constantes, si ce n’est de débats. Transporter son imaginaire dans un pays étranger, semble-t-il, ne va pas de soi et n’a de cesse d’interpeller la critique. En 1990, Lise Gauvin signalait une « frénésie de voyages qui anime plus particulièrement les héros des romans des années [19]80 ». La même année, Noël Audet dressait un constat semblable en prenant position contre ce goût de « l’ailleurisme » qui gagnait des adeptes, dénonciation à laquelle répondrait Christiane Lahaie neuf ans plus tard en soutenant que l’identité québécoise pouvait s’affirmer autrement que par « l’iciisme ». Vingt-quatre ans après Noël Audet, le chroniqueur du Devoir Louis Cornellier s’inquiète à son tour de la prolifération de romans québécois puisant leur inspiration ailleurs que dans la réalité québécoise, y voyant un signe d’aliénation culturelle. D’autres lui opposent une interprétation plus positive du phénomène, comme Mathieu Bélisle qui, dans un dossier de L’Inconvénient sur les nouvelles voies qu’emprunte la littérature québécoise, parle des « grandes explorations » menées par les écrivains de la relève. L’année suivante, André Brochu constate lui aussi que le « roman québécois situe de plus en plus son action dans un ailleurs ». À propos de l’ouverture à « d’autres contextes géographiques, sociaux, culturels et historiques », Anne Martine Parent précise pour sa part qu’elle « n’est pas le seul fait des écrivains migrants », mais s’inscrit au contraire massivement dans les oeuvres des « non migrants ». Michel Biron, enfin, signale « parmi les mutations de la littérature québécoise contemporaine » ces « extensions de l’imaginaire romanesque qui ne s’apparentent ni à la thématique de l’exil ni à l’exotisme proprement dit ». De telles observations empiriques demandent à être corroborées par une exploration plus systématique. Il importe aussi de réfléchir à ce dont l’ailleurs se fait le signe, d’en relever et d’en interpréter les différentes manifestations, et d’examiner la modification de ses enjeux au fil du temps. Il faut admettre que la recherche s’est jusqu’à tout récemment penchée en priorité sur les récits du territoire national (qu’ils soient du terroir ou urbains), et relativement moins sur la tendance inverse qui consiste à interroger l’attrait pour le vaste monde. Devant la traditionnelle opposition, au sein de la critique québécoise, entre « aventuriers et sédentaires » ou « arpenteurs et navigateurs », les arpenteurs sédentaires semblent avoir attiré davantage l’attention. Certes, l’affirmation des écritures migrantes a mis l’ailleurs et l’altérité culturelle à la portée du lectorat québécois, qui s’est ainsi laissé transformer par ces récits et témoignages. Mais l’attention portée à cette capacité d’accueillir l’autre chez soi n’a pas encore été suivie d’un examen approfondi de cette seconde manière de découvrir l’autre et qui consiste à se rendrechez lui. Il s’agit pourtant d’une manifestation on ne peut plus claire de cette « tension de l’identitaire et de l’hétérogène », de cet « espace transfrontalier de la liberté et du désir », de cette « circulation des imaginaires » qui seraient, aux dires de Pierre L’Hérault, l’un des traits marquants de la littérature québécoise depuis les années 1980. Ainsi, le présent dossier entend contribuer à l’avancement des connaissances concernant la représentation de l’ailleurs dans les fictions québécoises (tant anglophones que francophones). L’attrait pour les contrées étrangères, qu’on rattache à une forte tendance dans la production contemporaine, est-il aussi récent qu’on le prétend ? Au-delà du goût de l’exotisme, que peut impliquer cette migration de l’imaginaire hors du territoire natal ? Désir de connaître l’Autre ou symptôme d’un mal-être ? Dans …
FICTIONS QUÉBÉCOISES DE L’AILLEURS
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Dominique Garand
Université du Québec à Montréal/Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture au Québec (CRILCQ)Pierre Rajotte
Université de Sherbrooke/Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture au Québec (CRILCQ)
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