Il peut être étonnant qu’un dossier dédié à la scénarisation soit publié dans une revue de recherche consacrée à la littérature québécoise telle que Voix et Images. C’est que pour plusieurs, et ce, tant du côté des théoricien·nes que des professionnel·les et du public de différents horizons, le scénario est affaire de cinéma et du monde de l’audiovisuel et, surtout, il « ne s’agit pas vraiment d’un texte ». L’importance du scénario peut ainsi être valorisée au moment de l’écriture et du développement d’un projet de film, de série télé, voire de contenu Web ou vidéoludique, tandis qu’on n’accordera que peu de crédit artistique et littéraire au texte scénaristique, notamment parce qu’en contexte de production audiovisuelle, le scénario ne paraît jamais « achevé », « fixé », ni « abouti », puisqu’il existe habituellement à travers plusieurs versions dont l’ampleur des réécritures peut varier grandement. En bref, pour le dire autrement, envisager le scénario et la scénarisation en tant que forme textuelle et pratique d’écriture légitimes ne va pas de soi. Aussi, encore aujourd’hui, le scénario (tous domaines médiatiques confondus) est un objet méconnu. Il ne circule que peu à l’extérieur des sphères d’initié·es et, malgré le travail de création considérable qu’il suppose de la part du ou de la scénariste, il est, le plus souvent, pensé « seulement » comme une étape (stimulante pour certain·es, contraignante pour d’autres) en vue de la fabrication d’un film, sinon d’une production audiovisuelle. J’ai d’abord exploré ces questions dans mon livre Scénario et scénariste, paru en 2015. Les enjeux en présence m’ont interpellée en premier lieu non pas en tant que situations à cautionner ou à déplorer, mais en tant que cadres discursifs à analyser afin d’en exposer les tenants et les aboutissants. À l’époque, je m’intéressais principalement à la reconnaissance socio-esthétique du scénario de cinéma en France – tout en effectuant quelques parallèles avec le contexte cinématographique québécois. Dans mon ouvrage, le scénario est appréhendé précisément en tant que « système esthétique », un concept emprunté au sociologue Howard S. Becker. Ce dernier explique qu’un « système esthétique clairement formulé sert à divers usages dans un monde de l’art » donné. Ainsi, un tel système « rattache les activités des participants à la tradition de l’art [en question], et les autorise à réclamer les ressources et les avantages dont disposent normalement les personnes qui produisent cette sorte d’art ». En résumé, une « esthétique démontre, à l’aide d’arguments suffisamment généraux et convaincants, que les activités de certains membres d’un monde de l’art sont du même ordre que d’autres activités déjà bénéficiaires des privilèges attachés à l’“art” ». Dans Scénario et scénariste, je concluais que plus d’un siècle après l’avènement du cinéma, le scénario en tant que forme textuelle de fiction ne semblait pas avoir trouvé les « arguments suffisants » pour se constituer en tant que « système esthétique clairement formulé ». Ma thèse de doctorat, en 2019, a été l’occasion de me consacrer à l’étude du contexte québécois en matière scénaristique, et j’ai développé comme projet théorique une conception de la lecture de scénarios en tant que geste interprétatif et geste de médiation, voire en tant que geste d’appropriation, de transposition, d’adaptation, de projection et de création. Dans ma thèse, une réflexion critique s’articule principalement autour du scénario de cinéma, tout en s’ouvrant, par endroits, à ce qui concerne les différents ancrages médiatiques de la forme scénaristique (télévision, Web, littérature, etc.). Une telle démarche m’a permis de prolonger et de préciser ma pensée en ce qui a trait aux enjeux que soulève la question de la littérarité du …
REGARDS ACTUELS SUR LA SCÉNARISATION AU QUÉBEC[Notice]
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Gabrielle Tremblay
Université du Québec à Montréal